8 mars 2022

Ivo Perelman Tony Malaby Tim Berne James Carter/ Paulina Owczarek & Witold Oleszak/Gino Robair Cristiano Calganile Stefano Giust/Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway

(D)IVO Quartet Ivo Perelman Tony Malaby Tim Berne James Carter Mahakala Music
https://divo-quartet.bandcamp.com/album/d-ivo

Aux crédits : Ivo Perelman - Tenor Saxophone Tony Malaby - Soprano Saxophone Tim Berne - Alto Saxophone James Carter - Baritone Saxophone. Un quartet de saxophones ! Improvisations libres basées sur l’écoute mutuelle et la construction musicale collective et instantanée en sept parties où chacun des protagonistes, saxophonistes de haut vol, a clairement choisi son instrument et son apport sonore dans l’ensemble. Il s’agit d’un projet initié par Ivo Perelman, le saxophoniste ténor Brésilien qui s’affirme comme le chantre de la libre improvisation (totale, sans compositions). Récemment il a enregistré en duo avec de nombreux collègues souffleurs comme le légendaire David Murray, Tim Berne (justement) et le clarinettiste basse Rudi Mahall, un des plus grands « reed » players de notre époque. Cette formule de quatuor à vents est ouverte vers une multitude d’occurrences, de connexions mélodiques et expressives, de contrepoints et figures impromptues où un sens inné des formes ferait jurer qu’il y a une partition ou un cheminement prévu (mais peu prévisible). Boucles, dégagements hard-free, épanchements spontanés de ballades, conglomération de vitesses et de cadences contrastées, équilibres instables ou certitudes explosées, effets de souffle,science de l'imbrication à quatre voix, sautillements coordonnés sur plusieurs pulsations simultanées que se chahutent. C’est un véritable manifeste qui me rappelle ces séquences délirantes des premiers Company de Derek Bailey de 1977 durant lesquelles Steve Lacy, Evan Parker, Anthony Braxton et Lol Coxhill nous sidéraient par leurs tiraillements et leurs cohérences. Je sais que certains écouteurs pointus et ultrainformés se méfient de ces rassemblements de « pointures » iconiques où un bon sens nous fait craindre qu’une souris accouche de la montagne. Mais ici rassurez-vous, c’est une géographie fascinante des possibles de chaque improvisateur, avec ses vallées, ses sommets, ses chaînes, ses semi-plaines, ses masses basaltiques ou calcaires laissent fuir des cascades rafraîchissantes. Un patchwork de valeurs expressives, d’extrêmes du souffle, d’unissons minimalistes , de saccades imbriquées en escaliers multiformes, et de trouvailles concertantes. Œcuménique, considérant les quatre personnalités en présence. C’est même à l’infini. On n’a de cesse de d’en deviner la richesse. Une belle réussite et la face heureuse et requérante du free-jazz.

Paulina Owczarek / Witold Oleszak mono no aware FreeForm Association FFA5661
https://paulinaowczarek.bandcamp.com/album/mono-no-aware

Toute en détails, nuances, sonorités mystérieuses, cette session en duo met le cap sur la découverte des sons dans la carcasse d’un piano préparé (soft) et dans la colonne d’air d’un saxophone baryton. Paulina Owczarek est une saxophoniste impliquée à fond dans l’improvisation radicale explorant les recoins de son gros saxophone baryton. Les clapets palpitent, le souffle crépite, l’air s’échappe bruissant, borborygmes, éclatements, air comprimé, les mécanismes secoués et les morsures d’anches frictionnent la colonne d’air avec des contrastes dans la dynamique, les sons rares et cette folle articulation des coups de bec. Witold Oleszak manie les touches sur les cordages préparés d’objets, marteaux assourdis ou vibrations bruissantes imprimant des ondulations saccadées , des timbres grisonnants, des textures sombres, des vagues inédites avec une authentique spontanéité. La qualité elliptique du dialogue est primordiale, enferrés tous deux dans leur optique sonore personnelle, ils trouvent des points communs, des éléments d’échanges et de diversions. Une extension permanente de leurs possibilités sonores avec un bel aplomb et une l’ouverture à tous les aléas de l’improvisation pour notre bonheur et… notre surprise. Nous découvrons une saxophoniste de pointe qui s’ajoute au nombre croissant des tritureuses de l’anche (Christine Sehnaoui, Audrey Lauro, Lotte Anker, Cath Roberts, …) en cheville avec un pianiste flibustier entendu en belle compagnie (Roger Turner avec qui il a gravé trois CD’s remarqués) et qui confirme une fois de plus le rôle essentiel qu’il joue en Pologne dans la divulgation de ces recherches sonores et ludiques. Witold Oleszak a produit d’autres albums pour Free Form Association : ses deux duos avec Roger Turner (Fragments of Part, Over The Title) et un extraordinaire coffret 5CD des Recedents (Lol Coxhill-Mike Cooper-Roger Turner) qui est un régal total. Ces deux improvisateurs sont à suivre à la trace. Ils me plaisent pour leur free music radicale et dynamique, sans intentions post-académiques, sans postures, tranchante et convaincante !

Excantatious NONONO Percussion Ensemble Gino Robair Cristiano Calganile Stefano Giust Setola di Maiale SM4350. https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4350

Au fil des ans et avec plus de 400 parutions, le label italien Setola di Maiale frappe de plus en plus fort. Avec ces trois percussionnistes réunis comme un seul homme, nous tenons un projet vraiment peu ordinaire, Excantatious. Dans l’évolution de la « free-music », il y a depuis longtemps une tendance soutenue par de nombreux percussionnistes à s’exprimer et enregistrer en solo ou en duo de percussions comme Milford Graves et Andrew Cyrille ou la paire Paul Lovens et Paul Lytton. Plus récemment, une étonnant Trio de Batteries français rassemblait Didier Lasserre, Edouard Perraud et Mathieu Ponthévia (label Amor Fati). Et voici le NONONO Percussion Ensemble d’une variété sonore et une dynamique fascinantes ! Gino Robair : percussion, electronics, prepared piano ; Cristiano Calcagnile, drums, percussion, DrumTable guitar, effects, Glockenspiel, electrified metal sheet ; Stefano Giust, drums,cymbals, percussion. À la lecture de leur instrumentarium, on se dit que leur palette sonore doit être riche de sonorités, de timbres, de crissements, de découvertes. Et bien, oui ! C’est en fait un véritable chef d’œuvre en équilibre instable,tour à tour délicat et soigné, expressif et étonnamment varié. Les pulsations, ébauches – suggestions de rythmes servent une recherche de sons pluriels tout au long de sept improvisations de durées contrastées qui vont des 17 ou 19 minutes jusqu’à 5 :45 et 2 :43. Bon nombre de techniques de frappes et d’approches sonores sont sollicitées avec un sens du continuum, de l’enrichissement mutuel, de la diversité, du ténu (cymbales à l’archet ou murmures électroniques, frappes délicates dans Brebusu ou Sheena-Na-Gig) au grandiose. Les percussions sont enrichies de fines efflorescences électroniques, de fragments de piano, préparé. Trois conteurs de rêves qui dévident la même histoire, un narratif improvisé qui évoque sans l’emphase et avec le plus grand bonheur, Ionisation, le chef d’œuvre d’Edgar Varèse, pierre miliaire de la musique contemporaine. Le genre d’album qu’on peut écouter et réécouter au fil des heures sans finir d’en saisir toutes les ramifications et les implications, les coins et les recoins vibratoires, soniques, frictionnels, murmures de l’indicible. Un véritable manifeste de percussions d’avant-garde avec un sens de la forme affirmé.

Day and Taxi: Run, the Darkness Will Come Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Percaso 39
https://www.gallio.ch/percasogallioon-otherlabels/percaso/run-the-darkness-will-come/

Saxophoniste Suisse branché Steve Lacy et Thelonious Monk, à la fois au soprano et à l’alto ainsi qu’au C-Melody Sax, Christoph Gallio perpétue imperturbablement sa marque de fabrique « Day and Taxi » avec laquelle il a multiplié enregistrements et concerts depuisplus de trois décennies. Avec un batteur aussi efficace et dynamique que Gerry Hemingway, capable d’assumer et de sublimer toutes les subtilités rythmiques des compositions millimétrées, rebondissantes ou décalées du saxophoniste, Day & Taxi, au départ un groupe « local », joue dans la cour de groupes « In & Out » contemporains incontournables On songe au fabuleux Die Enttäuschung avec Axel Dörner, Rudi Mahall, Jan Roder & Michael Griener ou le quartet Peeping Tom que le même Axel D. partage Pierre-Antoine Badaroux, Joel Grip et Antonin Gerbal ou encore Clusone Trio d’Han Bennink. Comme Steve Lacy, Christoph Gallio aime la poésie qu’il récite lui-même en rerecording sur certaines de ses compositions et aussi les dédicaces à ses musiciens préférés ou personnalités artistiques (Kip Hanrahan, Jack Bruce). Le contrebassiste Silvan Jeger réalise un travail de charpentier/ orfèvre dans la mise au point et la quadrature des compositions ouvertes toutes spéciales de Gallio. Quel allant ! La comparaison avec Lacy s’arrête au fait qu’étant une inspiration de départ, le saxophoniste suisse a trouvé sa voie et sa voix et emprunte une démarche plus diversifiée.Run, The Darkness Will Come qui ouvre et donne son nom à l’album tourne autour d’un simple riff de blues à la contrebasse (solo ok !) auquel le souffle tout à tour mordant ou presque pastel de Gallio imprime une expression authentique tandis que Gerry multiplie les figures et les frappes nuancées en désaxant subtilement un swing « véritable. Quel batteur. Après un intermède bref où Gallio récite un court texte en allemand de Stefan Schmidlin. Troisième morceau, Casual Song est une tendre comptine au sax soprano soutenue par les ponctuations délicates du tandem rythmique qui s’ouvre dans une improvisation . Ensuite R.F. (dédié à Robert Filliou) offre une cadence minimaliste et inspirée. Ego Killer, un binaire enjoué appuyé par la fougue précise du batteur aux frappes en mutation constante et accrochées aux pulsation que le souffleur se déchaîne en découpant les tôles agencées de deux thèmes inoxydable et adroitement enchâssés , laissant un bref moment le temps au contrebassiste de cisailler la rythmique. Les morceaux et les interventions verbales défilent avec de plus en plus d’assurance, consolidant au fil de l’écoute, le travail essentiellement collectif de Day and Taxi, les compositions typées de Christoph Gallio dans une collaboration égalitaire où chaque musicien trouve sa place et assume le projet. Il y a huit brefs interludes récités et 11 compositions très bien ficelées (de 3’ à 6’) sur cet album. Chacune d’entre elles se différencie très précisément des autres, par la métrique, le découpage et les accents des thèmes, faussement répétitifs, le feeling, le swing etc… une belle équipe : le bassiste Silvan Jeger et son acolyte fonctionnent super bien ensemble faisant corps avec un souffleur aussi attachant qu’original et concis. Pas le moindre bavardage ni longueur, mais du punch ! Le groupe idéal pour un festival de jazz contemporain free – improvisé pouvant conclure une fin de soirée avec bonheur ou ravir d’un club chaleureux où un public allumé en veut vraiment. Super !!

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