Misha Mengelberg & Sabu Toyozumi:The Analects of Confucius No Business
1. My guru MM (39:56)
2. Song for AMY~Misha Mengelberg solo (7:38)
3. Teremakashi to Forest of KEYAGU (19:54)
4. Off Minor (Thelonious Monk) (3:44)
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/the-analects-of-confucius
Misha Mengelberg (p) , Sabu Toyozumi (ds)
Recorded on 21,Oct,2000 at Aoshima Hall,Shizuoka City,Japan
Recorded by Shigeru Inoue. Concert produced by Shigeru Inoue/IMA Shizuoka
Produced by Danas Mikailionis & Takeo Suetomi (Chap Chap Records). Thanks to Amy Mengelberg, Hideo Takaoka
Ce n’est pas le premier album de Misha Mengelberg et de Sabu Toyozumi. Chap Chap Records et Takeo Suetomi ont déjà publié The Untrammeled Traveller, un enregistrement de concert de 1994 (CPCD 006). Mais Chap-Chap récidive à travers la série Chap-Chap de No Business avec ce concert du 21 Octobre 2000. Bien que Sabu Toyozumi a joué et enregistré avec de nombreux artistes de haut vol tels que Charlie Mingus, Derek Bailey, Han Bennink, Leo Smith, Barre Phillips, Peter Kowald, Peter Brötzmann, Joseph Jarman, Paul Rutherford, John Russell, ses compatriotes Kaoru Abe, Masahiko Satoh, Yuji Takahashi, Takashi Mizutani, Otomo Yoshihide, le percussionniste voue son plus profond attachement esthétique et spirituel au pianiste Misha Mengelberg, autant au point de vue musical que philosophique. Comme il me l’affirmé : Misha Mengelberg est mon « guru ». Sans doute, Misha est une personne qui lui a beaucoup apporté, pour l’équilibre de sa santé, dit-il. Pour Sabu-san, cet enregistrement revêt une importance tout à fait particulière, une dimension profondément humaine, amicale et admirative. Je dois ajouter que Sabu Toyozumi était un proche du grand maître du shakuhachi, ces flûtes sans bec taillées dans une large tige de bambou par une main experte : Watazumi Dosō. Mais en fait, son instrument était plus exactement un hocchiku dont la pratique très exigeante demandait une ouverture à tous les aléas de la vie et un apprentissage « sauvage » . Celui-ci était aussi une forte personnalité du Zen Rinzai- Shū, et c’est dans le cadre de cette « philosophie » que Sabu est venu à fréquenter le vénérable maître. Indépendant d’esprit, celui-ci refusa de recevoir le titre de Trésor National du Japon pour ces disciplines. Sabu Toyozumi est un homme d’une grande simplicité qui s’intéresse à l’individu musicien et auditeur en tant que personne humaine de manière intensément positive. Il se fait que Misha Mengelberg était très intéressé par les philosophies orientales et l’alimentation japonaise. Amy à qui est dédié le solo de Misha est son épouse dont la mère est d’origine Indonésienne. Un profond échange de valeurs et de sentiments, de discussions musicales ont contribué à créer cette compréhension mutuelle, un lien fondamental entre des improvisateurs qui se fondent en une seule entité lors d’ un concert. L’album se compose d’une longue improvisation de quarante minutes où intervient assez vite un solo de percussion ou plus exactement le batteur joue le temps d’un long silence du pianiste. Celle-ci est suivie d’un solo de Misha Mengelberg dédié à Amy et d’une seconde improvisation en duo longue d’une moitié moindre que la précédente. Le tout est couronné par une interprétation finale de l’Off Minor de Thelonious Monk qui fut une influence majeure de Misha Mengelberg.
On sait que MM fit partie du mouvement Fluxus dans les années 60. Cette démarche a continué à se révéler prépondérante dans sa musique. Il déclarait que sa musique improvisée est vécue comme la vie de tous les jours : on boit un verre, répond au téléphone, ouvre un paquet de cigarettes, on prend une cigarette et on l’allume, on fume, on lit son journal ou on va faire ses emplettes… Sa musique n’établit pas de hiérarchie entre le savant ou le populaire : quelques notes jouées presque par hasard, un morceau de Monk, un air de musique de cirque ou une évocation de chansonnette, des intervalles dissonants dont il a le secret, des miniatures dodécaphoniques ou une cascade de notes virevoltante qui déboule par surprise. Même s’il ne semble pas être concerné, Misha Mengelberg est toujours profondément à l’écoute, car il ne veut pas perdre un seul instant une occasion de nous étonner. À cet égard, le numéro que les deux improvisateurs nous offrent dans cette teremakashi vers la Forêt de KEYAGU aux accents très contrastés. Tout ce que Mengelberg inspire à notre Sabu – san est phénoménal : il y a alors chez le batteur une invention débridée, imaginative et farfelue. Les deux compères s’en donnent à cœur joie, comme des enfants dans un paradis perdu. Sabu Toyozumi fait cliqueter, secouer ou agiter ses ustensiles percussifs, baguettes, cendriers comme on ne l’a jamais entendu faire. Cendriers, oui ! En effet, le cendrier était un objet indispensable pour Misha Mengelberg, ne fut-ce que pour y déposer l’éternel mégot de cigarette qui pendait à ses lèvres par-dessus le clavier. Par contre, lors de la première longue improvisation, Misha -San tâtait scrupuleusement le terrain en jouant avec le silence et laissant les notes parcimonieuses résonner, permettant à Sabu de déployer son univers sonore et rythmique, son abondante imagination. Misha y fait même un long silence, sans doute pour s’intégrer mentalement au rayonnement ludique du percussionniste qui nous donne là une merveilleuse démonstration de son approche joyeuse et unique de la batterie polyrythmique éclatée… et déchaînée lors d’un instant crucial, tant avec les baguettes et les balais que sur toutes les surfaces de ses tambours. Sa démarche est sans nul doute en phase avec cette vision « sauvage », organique de batteurs comme Milford Graves ou Sunny Murray de façon tout aussi originale et authentique. Aussi, on dira que sa spontanéité naturelle est balancée par un sens aigu du dosage équilibré et même de l’épure pointilliste, comme il appert dans cette longue première partie. En finale conclusive, la version à la fois désenchantée et enjouée d’Off Minor est une narquoise, mais fidèle leçon de choses. Le titre de Monk est joué à la lettre un instant par Misha, pour être subitement détourné de manière free au clavier, digne du Cecil des années cinquante (Jazz Advance, High Drivin’Jazz). Sabu ne peut alors s’empêcher de forcer le trait comme une caricature vivante du swing dixieland. Comme quoi, une forme d’humour est partagée par ces deux amis, tout autant que les sujets les plus fondamentaux de l’existence. La musique de la vraie vie. (notes de pochette de J-M VS)
Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira Enleio 4DARecords
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/enleio
Trio à cordes violon -violoncelle – contrebasse avec clarinette basse.
Le violoniste portugais Carlos Alves « Zingaro » a entamé une relation musicale avec le violoncelliste Chicagoan Fred Lonberg-Holm il y a de nombreuses années en 2003 : Grammar les réunissait avec le platiniste Lou Mallozzi (Rossbin CD 2003) et Zingaro / Lonberg- Holm en duo fut enregistré lors du même séjour (label Aspidsitra). Les revoici de 2024 dans deux sessions Lisboètes en compagnie du contrebassiste João Madeira, le boss de 4DARecords et respectivement avec le clarinettiste (basse) Bruno Parrinha dans le présent CD Enleio et avec le guitariste suisse Florian Stoffner dans le CD Na Parede paru sous le même label 4DAR en CD, parution précédée par une publication en digital chez Catalytic et chroniquée dans ces pages. À la fois ou successivement énergique, pointilliste, multiforme et en évolution constante au gré de l’humeur et de l’inspiration instantanée des quatre improvisateurs, la musique d’Enleio comporte plusieurs facettes : dans Trama (9 :47) les improvisateurs sursautent, se relancent par de brèves interventions en zigzag qui se répondent vivement et jouent à saute-mouton sans se laisser le temps de dire ouf, les idées fragmentaires s’emboîtent en cascade… Notez le parti pris du clarinettiste basse, Bruno Parrinha de s’intégrer au plus près de ses camarades comme s’il était l’alto d’un quatuor. Il fait cela avec flair par petites touches plutôt que de jouer au soliste omniprésent par-dessus ses trois camarades. Nervos 18’35’’ commence dans une lente complainte à plusieurs voix formant des torsades expressives. L’accent est mis sur la qualité du travail à l’archet, l’étirement du son, une qualité de timbre spécifique à chacun des trois cordistes s’agrègent et se distinguent par leurs dynamiques, vibrations tactiles boisées respectives et une qualité intensément métamorphique. Il faut vraiment réécouter ce long deuxième morceau est ses multiples phases, ses aspérités, ses fluctuations liquides ou vif argent, ses nuances, ses diversions ludiques et ses formes mouvantes parfois contrastées. Si les violons et violoncelles sont fait de bois, la terminologie générique des vents tels les clarinettes est « les bois ». On ne croyait pas si bien dire tant le souffleur se fond dans ce quartet. Liames 11’35’’ approfondit la démarche initiale de Nervos avec plus de détachement, de lenteur et de langueur et une belle partie de pizzicatos puissants de João Madeira. Notez le contraste entre les envolées en arabesque de Zingaro et certains frottements maniaques et astringents de Lonberg – Holm et aussi comment ils intègrent leurs facéties respectives avec une cohérence complice. Dans Enleio, 5’34’’ , dernier morceau, Lonberg-Holm initie des frappes d’archet en secousse, on entend des col legno, grincements, la touche pressée au point de faire chuinter la corde, violon sifflant dans les aigus, soit un beau et touffu concentré de sonorités expressives tel que le modus operandi , l’empathie et le feeling maniaque de l’improvisation libre collective amène des instrumentistes en trance à laisser éclater au travers de notre perception éblouie. Une séance vraiment réussie.
Breeze Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini Lineae Occultae
https://danielstuder.bandcamp.com/album/breeze
Le duo contrebasse – trombone s’impose comme une des combinaisons instrumentales les plus significatives de la musique improvisée libre. Pensez donc : Paul Rutherford et Barry Guy, Günter Christmann & Torsten Müller, Radu Malfatti & Harry Miller, Paul Hubweber & John Edwards, Patrick Crossland & Alexander Frangenheim. La raison fondamentale : dans les mains d’improvisateurs expérimentés, ces deux instruments sont propices aux dérapages, glissandi, recherches de timbres curieux, effets expressifs, bruissements, délires ludiques, jeu en dehors de la marge et des similitudes au niveau des fréquences…. Giancarlo Schiaffini est un des premiers pionniers du free – jazz en Italie et a contribué à créer le courant improvisation libre « européenne ». Il a laissé un super témoignage « d’avant-garde » sur le légendaire label italien Cramps : Memo From en duo avec le percussionniste Michele Iannacone série DIVerso n°12 – 1979. Schiaffini a gardé pour lui une sonorité issue du jazz tout en jouant vraiment contemporain. On retrouve ces inflexions subtilement blues jouées du bout des lèvres malaxant la pâte sonore alors que G.S. a adopté cet esprit d’invention imaginative instantanée en mutations sonores constantes proches des Rutherford et Christmann avec une expressivité méditerranéenne, abusant joyeusement des soudines. Daniel Studer, contrebassiste Suisse et brillant partenaire d’Harald Kimmig et d’Alfred Zimmerlin au sein du String Trio de Zürich, un groupe incontournable, ou d’un duo de basses avec Peter K.Frey, incarne la démarche « contemporaine » avant-gardiste « sérieuse » des improvisateurs Européens. Il n’a pas son pareil pour pêcher d’innombrables effets soniques dans les moindres recoins de sa contrebasse. Mais c’est vraiment bien vu, leurs différences et leur capacité à dialoguer et partager leurs inventions font de ce rare duo un tandem de grande classe. Jouer de manière aussi disparate en insérant des silences bien calibrés en alternant aussi précisément les moindres gestes, les sonorités crissantes des cordes, les effets de souffle grasseyant du trombone, des changements de registre, des accents lyriques, zig-zags en vrille, notes tenues à l’archet, sourdines wouah-wouah, effets percussifs soudains à même la surface du gros violon, murmures sotto voce dans le pavillon ou harmoniques effilées… C’est une belle conversation entre deux locuteurs, l’un germanique, l’autre italien qui se comprennent profondément dans ressentir le besoin de traduire dans la langue de l’autre, de s’imiter… Ils se racontent des histoires qui elles-mêmes se transforment en une magnifique narration, en précis de philosophie, audace auditive pour artistes visuels visionnaires. C’est absolument magnifique , généreux et mesuré à la fois. Neuf courtes improvisations qui déclinent tous les possibles de l’improvisation sans tambour ni trompette mais avec un sourire en coin, prodige de subtilités toujours renouvelées.
Manœuvres sentimentales Delightfully Deceitful Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins circum disc.com
lien audio disponible à partir du 15 mai.
Un sax ténor et alto d’obédience free jazz expressionniste ou rêveur : Laurent Rigaut ; un guitariste « noise » aux trouvailles et effets multiples : Andrea Bazzicalupo ;un batteur réactif dans la marge : Peter Orins ; changements d’ambiances d’un morceau à l’autre. On a droit à des recherches de sons tous azimuts, et des occurrences d’actions et perspectives pluri dimensionnelles des quelles ruissellent de nombreuses inventions sonores d’une variété profuse au niveau de la guitare et des percussions, elles-mêmes parfois discrètes (Not Loud Enough et Into the Boiling Sand), alors que le souffle de Laurent Rigaut truste plusieurs modes de jeux entre expressionnisme free et déambulation lunaire (Into the Boiling Sand). Le travail percussif de Peter Orins est concentré sur la dynamique, la lisibilité et actionne une belle diversité de frappes sur un ensemble d’ustensiles variés qui rend son jeu intéressant, très remarquablement articulé dans le sillage des batteurs free les plus pointus (Lovens, Turner, Blume). Son style remarquable est particulièrement affirmé avec une belle qualité de toucher et incarne le vrai free drumming authentique et complexe celui qui vous donne le tournis (Into the Boiling Sand). Un très bon point : ça tournoie très vif avec une belle classe. Andrea Bazzicalupo utilise à souhait un maximum des possibilités sonores de la guitare électrique avec une large palette aussi détaillée que confinant au noise brut. Laurent Rigaut, saxophoniste qui peut se révéler outrageusement aylérien avec son acolyte Jérôme Ternoy la joue collective s’insérant excellemment entre les deux pôles électrique / acoustique tout s’autorisant de super dérapages. Là, aussi, on salue sa capacité d’adapter son jeu dans ce trio Manoeuvres Sentimentales lequel manifeste une écoute mutuelle fructueuse et un vrai sens du décalage.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
8 mai 2025
5 mai 2025
Miguel Mira Yedo Gibson & Felice Furioso/ Alexander von Schlippenbach Barry Altschul Quartet Joe Fonda et Rudi Mahall/ Rick Countryman Itzam Cano Gabriel Lauber Juan Castañón/ Wilfrido Terrazas & Kyle Motl/ Nūria Andorrā, Michel Doneda, Lê Quan Ninh
Machinerie Mira Trio : Miguel Mira Yedo Gibson & Felice Furioso 4DARecords 4DRCD014
https://4darecord.bandcamp.com/album/machinerie
Album intrigant du Mira Trio, groupe formé autour du violoncelliste portugais Miguel Mira, un proche collaborateur de ces cordistes portugais Carlos Zingaro, Ernesto & Guilherme Rodrigues, Joao Madeira (le patron de 4DARecords), Hernani Faustino etc… parmi les plus actifs dans leur pays. À ses côtés, le saxophoniste Brésilien Yedo Gibson et le percussionniste Felice Furioso, un habitant d’Alatamura dans les Pouilles entendu aux côtés de Miguel Mira et de son concitoyen, le tromboniste Carlo Mascolo avec qui João Madeira a gravé le cd Cinestesia pour FMR. De Yedo Gibson, j’avais particulièrement apprécié un album Emanem avec Veryan Weston, Marcio Mattos et Martin Blume de haute tenue (Caetitu 2007). J’apprécie particulièrement son travail sur le son hachurant menu la vibration du souffle de manière à la fois frénétique et méthodique, ou vociférante. Felice Furioso développe un jeu ouvert et nuancé à la percussion. Chaque improvisateur apporte des idées de jeu différentes que les deux autres sont libres de suivre ou contourner, puis de faire silence comme dans le n°1 , Machinerie (22’56’’) laissant soit Miguel Mira proposer un ostinato monocorde à l’archet auquel s’associe en réplique quasi similaire le bourdonnement insistant du souffleur. Celui-ci se retrouve à souffler seul un moment jusqu’à ce que son jeu s’ensauvage pour la plus grande joie du batteur qui fait tournoyer caisses et cymbales dans un déluge collectif ravageur. Ces séquences successives s’enchaînent à merveille jusqu’à la conclusion finale faite d’échanges contrastés, brisures, implosions et actions du tac-au tac et au ralenti. Cette dernière passe d’armes trouve sa suite logique dans la délicate introversion détaillée et « minimaliste » bruissante ou murmurée du morceau suivant, Pereira (28’), au bord du silence, sans qu’on devine l’origine de certains sons. Sans doute, les ffff, et plop, plep et légers sifflements sont des effets de souffle de Yedo Gibson, certains suraigus et vibrations mystérieuses proviennent d’ustensiles percussifs frottés ou d’une corde de violoncelle ou des percussions à même l’anche du sax ou du corps du violoncelle. Mystère qui dure durant une douzaine de minutes jusqu’à ce que une sourde tension se fait jour en un très lent crescendo pour livrer le passage à un court « solo » de batterie. Au fil des minutes s’établit un dialogue plus évident basé sur des sons rares, gestes lents, effets de clés et de souffle murmuré au sax … un travail d’exploration sonore introverti. Une deuxième intervention percutée sur les peaux de Felice Furioso emblerait avoir été planifiée... avant que le trio replonge dans cette atmosphère feutrée de sons disconnectés et presque silencieux de laquelle naît l’impression d’une conversation imperceptible de signes sonores, de frottements délicats… Voilà un album intéressant où trois improvisateurs tentent de faire confluer des idées différentes sans se coltiner un cahier de charges trop précis, si ce n’est un goût pour le mystère d’une machinerie impénétrable.
Free Flow Alexander von Schlippenbach & Barry Altschul Quartet with Joe Fonda and Rudi Mahall. Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/free-flow-2cd
Il y a quelques dizaines d’années, le public informé aurait trouvé étrange que deux personnalités apparemment aussi différentes, mais ô combien talentueuses, que sont le pianiste Alexander von Schlippenbach et le batteur Barry Altschul, se commettre dans un enregistrement tel que ce Free Flow, alors qu'ils divergent par leurs parcours, leur esthétiques musicales etc…. À Alex, le free total et convulsif avec Lovens, Parker, Brötzmann et son Globe Unity Orchestra. Barry a été l’enfant chéri du free – jazz « structuré », basé dans le post-bebop et batteur irremplaçable aux côtés de Paul Bley, Chick Corea, Anthony Braxton, David Holland, Sam Rivers et Ray Anderson. Dès les années 65-66, il a sillonné l’Europe et a croisé d’assez près les improvisateurs européens tout comme Braxton lui-même le fera avec Derek Bailey et Evan Parker quelques années plus tard. En 1968, par exemple, il donne un concert avec un quartet de Fred Van Hove avec John McLaughlin et Peter Kowald. Très tôt, on le voit dans le public du Little Theatre Club à Londres avec John Stevens sur scène et il joue avec Chris Mc Gregor. Son alter-ego contrebassiste des seventies, David Holland, a fait partie du même Spontaneous Music Ensemble … avec Evan Parker et Kenny Wheeler. Parker s’est associé à Alex et Wheeler à Braxton et Altschul. Le tromboniste George Lewis qui a succédé à Wheeler dans le quartet de Braxton a ensuite très souvent travaillé avec Schlippenbach dans le Globe Unity et intensément avec Evan Parker et Derek Bailey que Braxton considérait déjà vers 1975 comme étant les « meilleurs improvisateurs de la planète ».
En 2023, Altschul et Schlippenbach réunis par leur amour du jazz authentique, ont réuni un quartet prodigieux. Né en 1937, le pianiste extraordinairement virtuose et volubile a restreint son style en « utilisant moins de notes » ce qui permet de rendre plus lisible sa pensée créatrice et son sens inné des structures musicales complexes dont il tire parti dans ses improvisations multiformes. Étrangement, cela respire le Monkisme de manière organique et musicale en faisant sienne, la définition de l’improvisation d’Éric Dolphy, un artiste qui a eu une grande influence sur lui et sa capacité à architecturer des improvisations tridimensionnelles au clavier àl'instar des improvisations ce souffleur au sax alto. Et Dolphy a inspiré tout autant le clarinettiste basse Rudi Mahall (qui joue de la clarinette en Mib qui n’est pas mentionnée dans les infos de pochette cfr CD2). Rudi est sans doute un des très rares brillants souffleurs « dolphystes », « style » qu’il incarne de manière authentique. Doit – on rappeler que Mahall et Schlippenbach se sont retrouvés dans le Monk’s Casino de Die Enttaüschung dont les enregistrements sont consacrés uniquement à toutes les compositions de Thelonious Monk et enregistrées à la file le même soir. À tomber par terre ! Le contrebassiste Joe Fonda est un ancien fidèle de Braxton et, avec sa sonorité charnue et son énergie, il s’est beaucoup associé avec Barry Altschul dans deux trios successifs avec feu le violoniste Billy Bang et le souffleur prodige Jon Irabagon. Prodigieux est bien le qualificatif qui convient pour décrire la puissance des pizzicati de ce curieux petit bonhomme dont la taille semble inférieure à celle de sa contrebasse. Dans cet enregistrement, on retrouve la facette la plus volatile et sauvage d’Altschul, sans doute un des plus funambules parmi tous les batteurs de Jazz de ces soixante dernières années. Avant de passer l’arme à gauche, le génial Sam Rivers, grand maître de la musique modale « véritable » a tenu à nous laisser un témoignage enregistré avec les deux compères de son trio de choc, David Holland et Barry Altschul. Celui-ci a un talent fou pour jouer à l’intersection mouvante entre le domaine du swing le plus avancé et celui du free drumming avec toutes ses nuances d’accélérations/ décélérations de pulsations et de rythmes, crescendos – decrescendos de puissance motrice et de lévitation surnaturelle. Il est unique en son genre et absolument inimitable! On goûte ici un aspect de son talent multiforme qui consiste à croiser et superposer différents tempi simultanément. Remarquablement, cette option de jeu s’intègre à merveille aux tournoiements de doigtés en cavalcades du pianiste et leurs dimensions intensément polyrythmiques qui swinguent en dehors de la gravitation terrestre. Alex von Schlippenbach ne « détonne » pas « free » en contraste – dérapage par rapport aux pulsations profuses du percussionniste, mais contribue dans une démarche similaire à enrichir le travail du batteur et la cohérence disparate du groupe. Le quartet s’immobilise pour laisser l’initiative à la puissance digitale et boisée de Joe Fonda, un phénomène du pizzicato fondamental et ultra expressif avec un cœur gros comme ça. Deux longues improvisations collectives de 34 :29 et de 50 :31 se partagent les deux CD’s clôturés par un Encore bien tassé de 8:29. On y trouve sur chacun des deux sets un morceau de Monk surgi de toute la monkerie qui percole et fume de ce brouet son aura magique : Work – entre 27 :39 et 34 :25 lors du Set 1 et We See lors de l’Encore entre 5 :22 et 6 :22. Avec Alex au clavier, on entend un grand pianiste issu du milieu classique contemporain « Centre Européen » (il est né à Budapest) avec son style si syncrétiquement personnel sollicitant toutes avancées les innovatrices du piano jazz contemporain. Dans ces embardées c’est toute la furie d’un Eric Dolphy à la clarinette basse que ressuscite un soufflant allumé parmi les plus grands soufflants, notre Rudi Mahall national. Il cite d’ailleurs une célèbre composition de Dolphy et un autre thème bebop (aïïe ma mémoire) vers le milieu du Set 2 et la mise en place de leurs pérégrinations jazziques fleure l’excellence spontanée. Si la balance de l’enregistrement n’est pas parfaite, cette expérience d’occasion a quelque chose de merveilleux tant ces quatre musiciens élaborent sur le champ de multiples variations, combinaisons, enchaînements, séquences improvisées qui se succèdent sans jamais faire faux bond. Le grand art de pousser la jam-session au niveau d’une œuvre d’art éphémère certes, incarnant le fruit de toute une vie musicale.
Interstellar Nao 4 tet Rick Countryman Itzam Cano Gabriel Lauber featuring Juan Castañón. FMR CD 671-0422
https://rickcountryman.bandcamp.com/album/4tet
Rick Countryman a beaucoup joué et enregistré aux Philippines, mais on le trouve aussi dans un autre pays hispanophone de l’autre côté du Pacifique : le Mexique. Contrairement, a ce qu’ont raconté les amateurs et chroniqueurs de jazz stricto sensu formatés aux idées toutes faites, le free-jazz n’est pas une musique d’intellectuels blancs européens ou américains ni l’expression exclusive des Afro-Américains et autres « Black Nationalists ». C’est devenu une way of life planétaire qu’on retrouve aussi bien en Amérique Latine, dans toutes les régions d’Europe, et dans toute l’Asie, Chine, Japon, Thaïlande, Malaisie, Philippines etc… Et quel enrichissement culturel : il suffit d’écouter le batteur Gabriel Lauber et ses roulements extatiques. On y trouve un autre feeling rythmique. Trois improvisations de 12 :38, 22 :33 et 21 :20 enregistrées à Mexico les 7 et 8 mars 2023. On goûtera le souffle envoûtant et sensuel de Countryman, un fidèle du mémorable Sonny Simmons. Un guitariste attentif bien en phase avec les trois autres, Juan Castañón rencontré dans des Trullo Improvisations dans les Pouilles en 2009 avec le batteur Marcello Magliocchi et le saxophoniste Bruno Angeloni https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/trullo-improvisations-2009 Ce quartet a donc fière allure, emporté dans la fureur du free-jazz improvisé, surfant sur les pulsations et le drive impétueux de Lauber. L’intensité de Countryman taille son chemin dans l’impénétrable jungle polyrythmique endiablée à coups de machette sonores : le souffle survolté, coupant et allumé du saxophoniste brûle l’oxygène sur son passage propulsé par l’implacable tandem Itzam Cano – Gabriel Lauber qui finit par libérer les démons soniques du guitariste. Une extase sans nom occultée sans doute par la technique d’enregistrement home made, mais l’énergie est telle que l’on s’en soucie bien peu. Un brûlot, une énergie folle et atavique, et quelques changements de régime pour laisser le contrebassiste faire vibrer et palpiter amoureusement sa contrebasse. Super concert !
Seven Gifts Wilfrido Terrazas & Kyle Motl FMRCD692-0524
Le contrebassiste Kyle Motl a contribué à un excellent trio publié par FMR et réunissant aussi le batteur Nathan Hubbard et le magnifique clarinettiste Peter Kuhn. Celui-ci travailla et enregistra il y a longtemps avec William Parker, Dennis Charles et les trompettistes Arthur Williams et Toshinori Kondo. Récemment No Business a publié des enregistrements de cette équipée déjà illustrée dans Living Right, un rare LP de 1979. Juste pour dire que ces musiciens ne viennent pas de nulle part. Seven Gifts est une affaire plus intime et intimiste, mettant en présence le souffle vagabond du flûtiste Wilfrido Terrazas et de Kyle Motl. On navigue ici dans un univers de nuances détaillées, d’harmoniques happées en plein vol, d’intervalles dissonants, d’effets de souffle bucoliques animés et entraînés par les jeux ondoyants ou rebondissants, ombrageux ou primesautiers de ce contrebassiste de première qu’est Kyle Motl. Les titres nous font entendre des survols (Overflight), des pas (Dance Trance), un dialogue (Conversation), un sens de la liberté (Liberation), un instinct de croissance (Growth), la diffraction des pulsations (Mystery Groove) et un salut mélodique (Goodbye Melody). Une musique d’une grande finesse, libre et sensuelle à souhait avec cette retenue qui évite trop d’expressivités racoleuses pour se concentrer dans la plus profonde sincérité sur l’exploration sonore et l’extension de l’expressivité de nuances infinies. Wilfrido Terrazas est un improvisateur et flûtiste contemporain qui a mis au point une palette instrumentale de très haut niveau qu’il distille intelligemment dans des perspectives formelles et émotionnelles superlatives au fil de sept différentes compositions instantanées. Son camarade est complètement impliqué à lui tisser un écrin avec un travail à l’archet aussi spontané que méticuleux. Un album rare, touchant et subtilement expressif.
El Retorn de l’Escolta A la Memoria de Mariann Brull Nūria Andorrā, Michel Doneda, Lê Quan Ninh Fundacja Sluchaj FSR 07/2025
https://sluchaj.bandcamp.com/album/el-retorn-de-lescolta-a-la-mem-ria-de-marianne-brull
En mémoire d’une amie commune disparue, un enregistrement à trois dans une configuration instrumentale peu commune. Il y a longtemps déjà, Lê Quan & Doneda avaient enregistré en trio avec le saxophoniste Daunik Lazro. Au fil des ans et de nombreuses expériences, on a inversé le rapport de forces instrumental : un saxophoniste concentré sur les deux tuyaux percés et côniques des soprano et sopranino face à deux percussionnistes bruiteurs qui font crisser cymbales et vibrer / grincer la résonance d’ustensiles métalliques, végétaux, ligneux et d’autres à même les peaux de grosses caisses « couchées ». La photo de couverture nous montre une grosse pomme de pin qu’on applique sur la surface horizontale d’un large tambour ou une épaisse cymbale chinoise à la verticale sans doute à portée d’un autre tambour. L’angle d’incidence de cette cymbale sur la surface de la peau détermine l’intensité et la hauteur de son d’un long sifflement – vibration stridente dans l’espace. Les deux percussionnistes, Nūria Andorrā et Lê Quan Ninh fusionnnent leurs efforts dans un même flux où il est quasiment impossible de distinguer les sons et les gestes de l'un et de l'autre. Merveilleux. Plutôt qu’une musique référentielle prédigérée, c’est l’expression insolite et libératrice de sons et fréquences, d’intensités qui prédomine et nous plonge dans un écoute fascinée, une découverte sensorielle, émotionnelle ou avidement curieuse. Il n’y a qu’un seul long morceau, un événement sonique brut, un déparasitage des sensations et de la communication auditive, silencieuse, bruitiste et gestuelle. Décrivez les sons ou tentez de les imaginer « voir se produire » dans l’espace et le temps est une gageure. On est conquis d'emblée ou laissé perplexe à l'écart mais troublé … Le saxophoniste Michel Doneda pressure le bec et l’anche, explose l’articulation du souffle en déconnectant les fréquences de la colonne d’air des gammes et des accents de cette loquacité mélodique propre au saxophone et des harmonies pour les insérer dans un flux sauvage, subjectif et outrancier. Ça couine, éructe, déchiquète le timbre, contorsionne le souffle, nasalise les aigus au delà du registre le plus haut, harmoniques biseautées et magiques qui surgissent comme sans effort... une recherche constante entre le connu et l'inconnu qu'ils découvrent au même instant que l'auditeur attentif. Une débauche de frictions, de scories, d’éclats fragmentés par l’action exacerbée du corps, du souffle, des frappes, grattages, crissements, sons fantômes, excès, suraigus parasites, rumeurs … La durée n’est pas notée sur la pochette, le temps perçu étant une construction éminemment personnelle. Vraiment exemplaire !
https://4darecord.bandcamp.com/album/machinerie
Album intrigant du Mira Trio, groupe formé autour du violoncelliste portugais Miguel Mira, un proche collaborateur de ces cordistes portugais Carlos Zingaro, Ernesto & Guilherme Rodrigues, Joao Madeira (le patron de 4DARecords), Hernani Faustino etc… parmi les plus actifs dans leur pays. À ses côtés, le saxophoniste Brésilien Yedo Gibson et le percussionniste Felice Furioso, un habitant d’Alatamura dans les Pouilles entendu aux côtés de Miguel Mira et de son concitoyen, le tromboniste Carlo Mascolo avec qui João Madeira a gravé le cd Cinestesia pour FMR. De Yedo Gibson, j’avais particulièrement apprécié un album Emanem avec Veryan Weston, Marcio Mattos et Martin Blume de haute tenue (Caetitu 2007). J’apprécie particulièrement son travail sur le son hachurant menu la vibration du souffle de manière à la fois frénétique et méthodique, ou vociférante. Felice Furioso développe un jeu ouvert et nuancé à la percussion. Chaque improvisateur apporte des idées de jeu différentes que les deux autres sont libres de suivre ou contourner, puis de faire silence comme dans le n°1 , Machinerie (22’56’’) laissant soit Miguel Mira proposer un ostinato monocorde à l’archet auquel s’associe en réplique quasi similaire le bourdonnement insistant du souffleur. Celui-ci se retrouve à souffler seul un moment jusqu’à ce que son jeu s’ensauvage pour la plus grande joie du batteur qui fait tournoyer caisses et cymbales dans un déluge collectif ravageur. Ces séquences successives s’enchaînent à merveille jusqu’à la conclusion finale faite d’échanges contrastés, brisures, implosions et actions du tac-au tac et au ralenti. Cette dernière passe d’armes trouve sa suite logique dans la délicate introversion détaillée et « minimaliste » bruissante ou murmurée du morceau suivant, Pereira (28’), au bord du silence, sans qu’on devine l’origine de certains sons. Sans doute, les ffff, et plop, plep et légers sifflements sont des effets de souffle de Yedo Gibson, certains suraigus et vibrations mystérieuses proviennent d’ustensiles percussifs frottés ou d’une corde de violoncelle ou des percussions à même l’anche du sax ou du corps du violoncelle. Mystère qui dure durant une douzaine de minutes jusqu’à ce que une sourde tension se fait jour en un très lent crescendo pour livrer le passage à un court « solo » de batterie. Au fil des minutes s’établit un dialogue plus évident basé sur des sons rares, gestes lents, effets de clés et de souffle murmuré au sax … un travail d’exploration sonore introverti. Une deuxième intervention percutée sur les peaux de Felice Furioso emblerait avoir été planifiée... avant que le trio replonge dans cette atmosphère feutrée de sons disconnectés et presque silencieux de laquelle naît l’impression d’une conversation imperceptible de signes sonores, de frottements délicats… Voilà un album intéressant où trois improvisateurs tentent de faire confluer des idées différentes sans se coltiner un cahier de charges trop précis, si ce n’est un goût pour le mystère d’une machinerie impénétrable.
Free Flow Alexander von Schlippenbach & Barry Altschul Quartet with Joe Fonda and Rudi Mahall. Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/free-flow-2cd
Il y a quelques dizaines d’années, le public informé aurait trouvé étrange que deux personnalités apparemment aussi différentes, mais ô combien talentueuses, que sont le pianiste Alexander von Schlippenbach et le batteur Barry Altschul, se commettre dans un enregistrement tel que ce Free Flow, alors qu'ils divergent par leurs parcours, leur esthétiques musicales etc…. À Alex, le free total et convulsif avec Lovens, Parker, Brötzmann et son Globe Unity Orchestra. Barry a été l’enfant chéri du free – jazz « structuré », basé dans le post-bebop et batteur irremplaçable aux côtés de Paul Bley, Chick Corea, Anthony Braxton, David Holland, Sam Rivers et Ray Anderson. Dès les années 65-66, il a sillonné l’Europe et a croisé d’assez près les improvisateurs européens tout comme Braxton lui-même le fera avec Derek Bailey et Evan Parker quelques années plus tard. En 1968, par exemple, il donne un concert avec un quartet de Fred Van Hove avec John McLaughlin et Peter Kowald. Très tôt, on le voit dans le public du Little Theatre Club à Londres avec John Stevens sur scène et il joue avec Chris Mc Gregor. Son alter-ego contrebassiste des seventies, David Holland, a fait partie du même Spontaneous Music Ensemble … avec Evan Parker et Kenny Wheeler. Parker s’est associé à Alex et Wheeler à Braxton et Altschul. Le tromboniste George Lewis qui a succédé à Wheeler dans le quartet de Braxton a ensuite très souvent travaillé avec Schlippenbach dans le Globe Unity et intensément avec Evan Parker et Derek Bailey que Braxton considérait déjà vers 1975 comme étant les « meilleurs improvisateurs de la planète ».
En 2023, Altschul et Schlippenbach réunis par leur amour du jazz authentique, ont réuni un quartet prodigieux. Né en 1937, le pianiste extraordinairement virtuose et volubile a restreint son style en « utilisant moins de notes » ce qui permet de rendre plus lisible sa pensée créatrice et son sens inné des structures musicales complexes dont il tire parti dans ses improvisations multiformes. Étrangement, cela respire le Monkisme de manière organique et musicale en faisant sienne, la définition de l’improvisation d’Éric Dolphy, un artiste qui a eu une grande influence sur lui et sa capacité à architecturer des improvisations tridimensionnelles au clavier àl'instar des improvisations ce souffleur au sax alto. Et Dolphy a inspiré tout autant le clarinettiste basse Rudi Mahall (qui joue de la clarinette en Mib qui n’est pas mentionnée dans les infos de pochette cfr CD2). Rudi est sans doute un des très rares brillants souffleurs « dolphystes », « style » qu’il incarne de manière authentique. Doit – on rappeler que Mahall et Schlippenbach se sont retrouvés dans le Monk’s Casino de Die Enttaüschung dont les enregistrements sont consacrés uniquement à toutes les compositions de Thelonious Monk et enregistrées à la file le même soir. À tomber par terre ! Le contrebassiste Joe Fonda est un ancien fidèle de Braxton et, avec sa sonorité charnue et son énergie, il s’est beaucoup associé avec Barry Altschul dans deux trios successifs avec feu le violoniste Billy Bang et le souffleur prodige Jon Irabagon. Prodigieux est bien le qualificatif qui convient pour décrire la puissance des pizzicati de ce curieux petit bonhomme dont la taille semble inférieure à celle de sa contrebasse. Dans cet enregistrement, on retrouve la facette la plus volatile et sauvage d’Altschul, sans doute un des plus funambules parmi tous les batteurs de Jazz de ces soixante dernières années. Avant de passer l’arme à gauche, le génial Sam Rivers, grand maître de la musique modale « véritable » a tenu à nous laisser un témoignage enregistré avec les deux compères de son trio de choc, David Holland et Barry Altschul. Celui-ci a un talent fou pour jouer à l’intersection mouvante entre le domaine du swing le plus avancé et celui du free drumming avec toutes ses nuances d’accélérations/ décélérations de pulsations et de rythmes, crescendos – decrescendos de puissance motrice et de lévitation surnaturelle. Il est unique en son genre et absolument inimitable! On goûte ici un aspect de son talent multiforme qui consiste à croiser et superposer différents tempi simultanément. Remarquablement, cette option de jeu s’intègre à merveille aux tournoiements de doigtés en cavalcades du pianiste et leurs dimensions intensément polyrythmiques qui swinguent en dehors de la gravitation terrestre. Alex von Schlippenbach ne « détonne » pas « free » en contraste – dérapage par rapport aux pulsations profuses du percussionniste, mais contribue dans une démarche similaire à enrichir le travail du batteur et la cohérence disparate du groupe. Le quartet s’immobilise pour laisser l’initiative à la puissance digitale et boisée de Joe Fonda, un phénomène du pizzicato fondamental et ultra expressif avec un cœur gros comme ça. Deux longues improvisations collectives de 34 :29 et de 50 :31 se partagent les deux CD’s clôturés par un Encore bien tassé de 8:29. On y trouve sur chacun des deux sets un morceau de Monk surgi de toute la monkerie qui percole et fume de ce brouet son aura magique : Work – entre 27 :39 et 34 :25 lors du Set 1 et We See lors de l’Encore entre 5 :22 et 6 :22. Avec Alex au clavier, on entend un grand pianiste issu du milieu classique contemporain « Centre Européen » (il est né à Budapest) avec son style si syncrétiquement personnel sollicitant toutes avancées les innovatrices du piano jazz contemporain. Dans ces embardées c’est toute la furie d’un Eric Dolphy à la clarinette basse que ressuscite un soufflant allumé parmi les plus grands soufflants, notre Rudi Mahall national. Il cite d’ailleurs une célèbre composition de Dolphy et un autre thème bebop (aïïe ma mémoire) vers le milieu du Set 2 et la mise en place de leurs pérégrinations jazziques fleure l’excellence spontanée. Si la balance de l’enregistrement n’est pas parfaite, cette expérience d’occasion a quelque chose de merveilleux tant ces quatre musiciens élaborent sur le champ de multiples variations, combinaisons, enchaînements, séquences improvisées qui se succèdent sans jamais faire faux bond. Le grand art de pousser la jam-session au niveau d’une œuvre d’art éphémère certes, incarnant le fruit de toute une vie musicale.
Interstellar Nao 4 tet Rick Countryman Itzam Cano Gabriel Lauber featuring Juan Castañón. FMR CD 671-0422
https://rickcountryman.bandcamp.com/album/4tet
Rick Countryman a beaucoup joué et enregistré aux Philippines, mais on le trouve aussi dans un autre pays hispanophone de l’autre côté du Pacifique : le Mexique. Contrairement, a ce qu’ont raconté les amateurs et chroniqueurs de jazz stricto sensu formatés aux idées toutes faites, le free-jazz n’est pas une musique d’intellectuels blancs européens ou américains ni l’expression exclusive des Afro-Américains et autres « Black Nationalists ». C’est devenu une way of life planétaire qu’on retrouve aussi bien en Amérique Latine, dans toutes les régions d’Europe, et dans toute l’Asie, Chine, Japon, Thaïlande, Malaisie, Philippines etc… Et quel enrichissement culturel : il suffit d’écouter le batteur Gabriel Lauber et ses roulements extatiques. On y trouve un autre feeling rythmique. Trois improvisations de 12 :38, 22 :33 et 21 :20 enregistrées à Mexico les 7 et 8 mars 2023. On goûtera le souffle envoûtant et sensuel de Countryman, un fidèle du mémorable Sonny Simmons. Un guitariste attentif bien en phase avec les trois autres, Juan Castañón rencontré dans des Trullo Improvisations dans les Pouilles en 2009 avec le batteur Marcello Magliocchi et le saxophoniste Bruno Angeloni https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/trullo-improvisations-2009 Ce quartet a donc fière allure, emporté dans la fureur du free-jazz improvisé, surfant sur les pulsations et le drive impétueux de Lauber. L’intensité de Countryman taille son chemin dans l’impénétrable jungle polyrythmique endiablée à coups de machette sonores : le souffle survolté, coupant et allumé du saxophoniste brûle l’oxygène sur son passage propulsé par l’implacable tandem Itzam Cano – Gabriel Lauber qui finit par libérer les démons soniques du guitariste. Une extase sans nom occultée sans doute par la technique d’enregistrement home made, mais l’énergie est telle que l’on s’en soucie bien peu. Un brûlot, une énergie folle et atavique, et quelques changements de régime pour laisser le contrebassiste faire vibrer et palpiter amoureusement sa contrebasse. Super concert !
Seven Gifts Wilfrido Terrazas & Kyle Motl FMRCD692-0524
Le contrebassiste Kyle Motl a contribué à un excellent trio publié par FMR et réunissant aussi le batteur Nathan Hubbard et le magnifique clarinettiste Peter Kuhn. Celui-ci travailla et enregistra il y a longtemps avec William Parker, Dennis Charles et les trompettistes Arthur Williams et Toshinori Kondo. Récemment No Business a publié des enregistrements de cette équipée déjà illustrée dans Living Right, un rare LP de 1979. Juste pour dire que ces musiciens ne viennent pas de nulle part. Seven Gifts est une affaire plus intime et intimiste, mettant en présence le souffle vagabond du flûtiste Wilfrido Terrazas et de Kyle Motl. On navigue ici dans un univers de nuances détaillées, d’harmoniques happées en plein vol, d’intervalles dissonants, d’effets de souffle bucoliques animés et entraînés par les jeux ondoyants ou rebondissants, ombrageux ou primesautiers de ce contrebassiste de première qu’est Kyle Motl. Les titres nous font entendre des survols (Overflight), des pas (Dance Trance), un dialogue (Conversation), un sens de la liberté (Liberation), un instinct de croissance (Growth), la diffraction des pulsations (Mystery Groove) et un salut mélodique (Goodbye Melody). Une musique d’une grande finesse, libre et sensuelle à souhait avec cette retenue qui évite trop d’expressivités racoleuses pour se concentrer dans la plus profonde sincérité sur l’exploration sonore et l’extension de l’expressivité de nuances infinies. Wilfrido Terrazas est un improvisateur et flûtiste contemporain qui a mis au point une palette instrumentale de très haut niveau qu’il distille intelligemment dans des perspectives formelles et émotionnelles superlatives au fil de sept différentes compositions instantanées. Son camarade est complètement impliqué à lui tisser un écrin avec un travail à l’archet aussi spontané que méticuleux. Un album rare, touchant et subtilement expressif.
El Retorn de l’Escolta A la Memoria de Mariann Brull Nūria Andorrā, Michel Doneda, Lê Quan Ninh Fundacja Sluchaj FSR 07/2025
https://sluchaj.bandcamp.com/album/el-retorn-de-lescolta-a-la-mem-ria-de-marianne-brull
En mémoire d’une amie commune disparue, un enregistrement à trois dans une configuration instrumentale peu commune. Il y a longtemps déjà, Lê Quan & Doneda avaient enregistré en trio avec le saxophoniste Daunik Lazro. Au fil des ans et de nombreuses expériences, on a inversé le rapport de forces instrumental : un saxophoniste concentré sur les deux tuyaux percés et côniques des soprano et sopranino face à deux percussionnistes bruiteurs qui font crisser cymbales et vibrer / grincer la résonance d’ustensiles métalliques, végétaux, ligneux et d’autres à même les peaux de grosses caisses « couchées ». La photo de couverture nous montre une grosse pomme de pin qu’on applique sur la surface horizontale d’un large tambour ou une épaisse cymbale chinoise à la verticale sans doute à portée d’un autre tambour. L’angle d’incidence de cette cymbale sur la surface de la peau détermine l’intensité et la hauteur de son d’un long sifflement – vibration stridente dans l’espace. Les deux percussionnistes, Nūria Andorrā et Lê Quan Ninh fusionnnent leurs efforts dans un même flux où il est quasiment impossible de distinguer les sons et les gestes de l'un et de l'autre. Merveilleux. Plutôt qu’une musique référentielle prédigérée, c’est l’expression insolite et libératrice de sons et fréquences, d’intensités qui prédomine et nous plonge dans un écoute fascinée, une découverte sensorielle, émotionnelle ou avidement curieuse. Il n’y a qu’un seul long morceau, un événement sonique brut, un déparasitage des sensations et de la communication auditive, silencieuse, bruitiste et gestuelle. Décrivez les sons ou tentez de les imaginer « voir se produire » dans l’espace et le temps est une gageure. On est conquis d'emblée ou laissé perplexe à l'écart mais troublé … Le saxophoniste Michel Doneda pressure le bec et l’anche, explose l’articulation du souffle en déconnectant les fréquences de la colonne d’air des gammes et des accents de cette loquacité mélodique propre au saxophone et des harmonies pour les insérer dans un flux sauvage, subjectif et outrancier. Ça couine, éructe, déchiquète le timbre, contorsionne le souffle, nasalise les aigus au delà du registre le plus haut, harmoniques biseautées et magiques qui surgissent comme sans effort... une recherche constante entre le connu et l'inconnu qu'ils découvrent au même instant que l'auditeur attentif. Une débauche de frictions, de scories, d’éclats fragmentés par l’action exacerbée du corps, du souffle, des frappes, grattages, crissements, sons fantômes, excès, suraigus parasites, rumeurs … La durée n’est pas notée sur la pochette, le temps perçu étant une construction éminemment personnelle. Vraiment exemplaire !
9 avril 2025
Sofia Borges/ Stefan Keune Steve Noble Dominic Lash/ Christian Vasseur & François Paquet/ ZAÄAR - Ovules
Sofia Borges Trips & Findings 4DARecords 4DACD005
https://4darecord.bandcamp.com/album/trips-and-findings
Trips and Findings est une intéressante récollection de compositions expérimentales basées sur la pratique des percussions au sens larges. Deux CD’s avec pour chacun d’eux deux compositions enregistrées à Amsterdam en septembre 2017 (3/ Winding and Roll CD2) et en janvier 2022 ( 1/ Trips and Findings, 2/ Chimeric Offering – CD1 et 3/ I am 22 – CD2). Les compositions de Sofia Borges sont créées par elle-même aux percussions, batterie, objets amplifiés, jouets, field recordings et electronics. C’est excellemment enregistré, conçu avec une belle variété de sonorités, de rythmes, d’approches, d’ambiances, de détails et de créativité. Évidemment, la conception de ces œuvres foisonnantes et étrangement évolutives a nécessité l’usage minutieux du multipiste et leur aboutissement révèle le parti-pris de « voyage » dans un univers qui s’ébauche et se définit au fil d’un parcours. Comme elle l’écrit dans les notes de pochette « Trips ad Findings n’est pas une fin en soi mais un segment d’un voyage. Il montre quatre esquisses issu de mon carnet de voyage : ce que j’observe et oublie ce que je découvre, perd et retrouve à nouveau, ce que j’écoute, ce que je touche (ou qui me touche ?) et ce qui me frappe. Chacune de ces pages exprime différentes facettes de mon travail. »
Je peux faire remarquer que ces compositions sonnent comme le travail d’une improvisatrice très expérimentée. D’ailleurs, I Am 22 (20’32’’) est une contraction des mots Improvisation Amsterdam 2022. C’est la seule pièce dans laquelle l’improvisation s’impose en sus de procédés compositionnels sans structures prédéterminées. Il faudrait de nombreuses lignes pour décrire cette musique complexe, évolutive , ses nombreuses sources, ses différents aspects d’une grand richesse. Chimeric Offerings (23’12’’) exploite habilement des enregistrements de terrain dans un parc de Berlin à l’aube en capturant des rumeurs et des instants de presque silence. Sont incluses de remarquables percussions métalliques ou d’objets avec des effet de cloches agitées ou de chocs de coquillages qui semblent créer un narratif dans les bruissements de l’espace du parc et de la ville pour s terminer dans de curieux glissandi électro-acoustiques. Winding and Roll (15’08’’) tire son origine dans la fascination exercée sur Sophia par les sons mécaniques, jouets et boîtes musicales. Les sources sonores de Winding and Roll proviennent principalement de sons causés par des mouvements rotatifs et circulaires, dans lesquels plusieurs éléments mélodiques contrôlés manuellement ou via un software créent une variété étendue de formes et textures. Bref, il s’agit d’un superbe travail de création musicale avec des techniques et des procédés très variés et beaucoup de sensibilité. Vraiment remarquable. Sofia a publié récemment un superbe album de free-jazz – improvisation libre en compagnie du violoniste Carlos Zingaro et du contrebassiste João Madeira, le maître d’œuvres du label 4DA Records dont il assure une multiplicité synergique d’esthétiques musicales qui font toute partie des univers expérimentaux, improvisés contemporains ou jazz libre. Espérons la retrouver en aussi bonne compagnie ou avec d’autres projets de cette envergure. Sorry pour le retard, mais il m'est difficile de suivre la cadence des écoutes et des réflexions.
Stephan Keune Steve Noble Dominic Lash Black Box scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/black-box
Black Box est une série de concerts de musique improvisée programmés par le guitariste Erhard Hirt à Münster, une ville importante située sur les liaisons entre d’une part Cologne, Dusseldorf et d’autre part Hannovre et Berlin, faisant de CUBA un idéal point de chute pour les tournées de groupes d’improvisateurs. Si Steve Noble a acquis une notoriété universelle dans l’univers du free-jazz et des musiques improvisées au côté de Brötzmann, Mc Phee, Alan Wilkinson, John Edwards, Derek Bailey etc…. le nom de Stefan Keune tend seulement à poindre assez récemment sur les programmes, tournées et festivals. Plus jeune que ces deux vétérans de la « seconde génération », Dominic Lash est devenu un contrebassiste incontournable de la scène British, mais aussi guitariste (Alex Ward, Pat Thomas, John Butcher, John Russell Phil Wachsmann).
Souvent l’orientation musicale d’un saxophoniste improvisateur détermine la dynamique d’un trio avec basse et batterie comme celui-ci. La dimension ludique et le souffle de Stefan Keune allie la virulence expressionniste et éruptive post Ayler du free – jazz sanglant et la recherche sonore détaillée evanparkérienne « d’obédience British » qui s’est répandue parmi un série de souffleurs « expérimentaux» ou improvisateurs libres radicaux comme Michel Doneda, John Butcher, Urs Leimgruber et Stefan Keune lui-même. Il suffit d’écouter les deux CD’s gravés par Stefan Keune avec John Russell : Excerpts and Offerings (ACTA) et Frequency of Use (Nur Nicht Nur) pour s’en convaincre ou son album solo Sunday Sundaes (Creative Sources). Ce trio Keune - Lash - Noble a déjà publié deux albums : le LP Fractions pour No Business (2017) et le CD And Now pour FMR (2020). Bien que le genre de trio sax basse batterie est une commodité courante et même redondante dans le flux productiviste improvisé et free-jazz dont j’ai parfois envie de me passer, j’ai quand même un vrai faible pour ces deux sets de club, séparés en six improvisations de durées différentes. On y trouve une série de perles détaillées où le jeu de percussions de Noble, un sérieux catcheur benninkien dans d’autres circonstances, devient une merveille de détails sonores, de déclinaisons ultra-sensibles de frappes, de dynamique ouverte et sélective toute en nuances à la hauteur des Lovens et Turner. Le contrebassiste a un sacré talent à s’insérer dans les frictions sonores et l’éclatement des formes de ces confrères et cimenter la cohésion à l’aide de soigneuses oscillations d’archet boisées et ligneuses à souhait. Keune presse la colonne d’air de tous ses poumons avec des doigtés croisés hallucinés et une articulation mastication dantesque de ses spirales, coups de becs sauvages, cascades de notes broyées et étirées et ses éructations savamment mesurées. Il allie en alternance la rage brötzmanniaque ultra-expressionniste à l’atomisation evanparkérienne des sonorités,notes, diffractions des fréquences. Et laisse aussi l'initiative à ses collègues. Un vrai phénomène triangulé par deux experts en improvisation libre et assauts survitaminés. Il faut réécouter cela à plusieurs reprises pour réaliser à quel point ces lascars sont capables d’entretenir le feu sacré en renouvelant incessamment le propos, l’énergie, l’invention instantanée. À s’taper la tête contre les murs de l’indifférence et du formatage. C’est à cela que sert le label digital scätter… Vive la liberté sauvage !!
Paquet X Vasseur Sérieux, si tu me piques mon banc, t’es vraiment un gros enfoiré Cuchabata Records 2024 CUCH – 229
https://cuchabatarecords.bandcamp.com/album/cuch-229-s-rieux-si-tu-me-piques-mon-banc-t-es-vraiment-un-gros-enfoir-2024
Duo de guitares atypique auquel nous a habitué le guitariste « classique » Christian Vasseur, ici en compagnie de François Paquet dans six pièces variées dont la premièr d’entre elles est viscéralement bruitiste avec les cordes frottées avec je ne sais quels ustensiles (Ici les écureuils dont différents). Le titre de l’album provient d’un graffiti dont un cliché approximatif figure sur un volet de la pochette à rabat signé par une Marylin inconnue : « Sérieux, si tu me piques mon banc, t’es vraiment un gros enfoiré ». Cette première partie évolue vers un travail minutieux, mais saccadé, de recherche sonore improvisée où pointe un peu d’électroniques pour lesquelles chacun des musiciens sont crédités, en ajoutant la voix pour Christian Vasseur. La vielle dame ou about de la rue nous fait entendre une lente déambulation précautionneuse aux touchers délicats mettant en valeur la vibration des cordes nylon et du corps des deux instruments avec de subtiles dissonances et une interaction imbriquée des deux guitaristes. Cet esprit collaboratif se poursuit dans le morceau suivant en faisant habilement évoluer le matériau en boucles tournoyantes, saccadées, presque frénétiques (Il est presque midi trente) insignes de la free-music européenne dans un crescendo de pulsations et de motifs répétitifs décalés à outrance et en rotation vers l’infini. Allez savoir qui joue quoi, c’est une excellente performance instrumentale avec une évolution de formes superbement maîtrisées. Du grand art. Le suivant , Les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel , véhicule une idée similaire mais en utilisant d’autres schémas et intervalles, la musique étant exécutée par les deux artistes comme par le truchement d’un miroir, l’imbrication mutuelle de leurs jeux étant quasi mimétiques. Fort heureusement, s’il y a quelques similarités de procédés entre ces deux pièces successives, chacune d’elles a son identité propre. Tout comme Qu’est ce que tu fais là qui, elle, est singulièrement plus décousue dans sa conception, révélatrice de l’état d’esprit de l’improvisation libre radicale avec ses phrasés volontairement déstructurés et des sons obtenus par frottements, secousses, percussions etc… Je vous dis que ça : le duo PAQUET X VASSEUR met le paquet et un tel duo mérite d’être programmé un peu partout dans le réseau « musiques improvisées et expérimentales ». Belle réussite produite par un label Québécois astucieux !
ZAÄAR Ovules Subsound Records – WV Sorcerer Productions WV 107 – SSR148
https://zaaar.bandcamp.com/album/ovules https://subsoundrecords.bandcamp.com/album/ovules
ZAÄAR est un collectif basé à Bruxelles qui opère à l’intersection du néo-psychédélique, du « space-ambient » , du free-jazz et tente avec succès de défier les limitations des genres musicaux tout en créant un univers sonore fantasmagorique contemporain. Didier Nietzsche : pads, Sébastien Schmit : drums percussion, Guillaume Cazalet : voix, flûte, zourna, Hugues-Philippe Desrosiers : basse électrique et Jean-Jacques Duerinckx : sax sopranino et ténor. Le groupe est une excroissance de Neptunian Maximalist, un « cosmic free-jazz orchestra that has been turning the heads of psychedelic, experimental and space music ambient music lovers for the past two years”. N.M. a tourné aux Pays Bas, en Allemagne, Pologne, Tchéquie, mais les enregistrements de ZAÄAR compilés dans ce CD ont été réalisés lors de concerts à Bruxelles, Gand et Courtrai. D’un point de vue créatif ces musiciens outre-passent les audaces d’un autre temps, cfr Kraut-Rock, le rock noise japonais, etc... et rejoignent par d’autres voies, l’esprit d’improvisation totale de certaines parties totalement libres des concerts du groupe Henry Cow ou des extrapolations expérimentales de Faust, MAIS avec un tout autre propos ! Dire que cette musique est surréaliste n’est pas vraiment exact (cfr le texte de présentation sur le compte bandcamp de Subsound), mais on doit avouer qu’il s’agit d’une mixture gargantuesque qui brise les sens et éclate dans le continuum spatio-temporel, surtout pour la conscience d’un public ouvert à la découverte qui, au départ, ne conçoit que la musique intéressante d’aujourd’hui ne puisse être qu’intensément ou violemment électrique et sous haute tension. Et en contradiction avec la musique commerciale actuelle. La musique totalement improvisée d’Ovules forme un triptyque inspiré de la fable de Tchouang Tseu « Le Rêve d’un Papillon » et décliné en sept improvisations courtes et ramassées (maximum 7:40 et la plupart autour des 3 ou 4 minutes). Donc pas de longues suites, mais de courtes séquences lave, éruptives, tour à tour stratosphériques, magmatiques, intersidérales et multicolores. Cri primal des machines et des vibrations humaines. Subversion des sens, secousses perceptives, rhizomes du délire sonique. J’ajoute que si ces artistes ont des intérêts musicaux diversifiés, Didier Nietzsche et JJ Duerinckx sont des partisans de l’improvisation libre radicale actifs en Belgique.
2 avril 2025
Jean-Jacques Duerinckx Jacques Foschia Adrian Northover/ Kim Dae Hwan & Choi Sun Bae/ Andrea Massaria Alessandro Seravalle Stefano Giust/ Jason Alder Thanos Chrysakis Charlotte Keefe James O’Sullivan
FÖHN Ensemble Jean-Jacques Duerinckx Jacques Foschia Adrian Northover Creative Sources CS862CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/f-hn-ensemble
Deux souffleurs de Belgique impliqués depuis bon nombre d’années dans la libre improvisation : Jean-Jacques Duerinckx aux saxophones sopranino et baryton et Jacques Foschia, aux clarinettes basse, Mi-bémol et Si-bémol « aigu » se sont souvent rencontrés dans des concerts communs et finalement dans un concert en duo (à ma demande), duo qui a perduré au fil des années. Mais J.J. a la marotte des duos ou trios de souffleurs avec entre autres, le saxophoniste alto et soprano Adrian Northover et le clarinettiste Tom Jackson etc… Par la suite Adrian et J.J. ont gravé un véritable bijou à deux saxophones : Hearoglyphics (Setola di Maiale). Pour rendre plus attractive l’occasion d’une seule performance du trio à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles le 23/04/24, il fut décidé de réaliser un enregistrement le jour suivant, le 24, car un 24 du mois en 2024 ça doit être pas mal. Mais depuis l’époque Bruxelloise, Jacques Foschia s’est inventé une nouvelle passion : les flûtes japonaises en bambou (dites « shakuhashi »), dont il sélectionne lui – même des morceaux à même la nature dans la vallée de la Drôme où il réside depuis plusieurs années. Il en découpe des tronçons en fonction des noeuds et taille précisément l’encoche de l’embouchure. Il a appris à souffler dans ses « kyotaku » avec une belle précision et ce supplément d’âme des grands souffleurs, étant lui – même un clarinettiste d’envergure et maestro de la clarinette basse. Adrian et Jacques sont devenus amis au sein du London Improvisers Orchestra entre 2000 et 2011. Ils siégeant dans un section d’anches aux côtés de Lol Coxhill, Evan Parker, John Butcher, Caroline Kraabel, Harrison Smith et Alex Ward. En visite à Londres en 2000, Jacques Foschia a joué un soir avec le L.I.O et l’orchestre lui a demandé de revenir enregistré leur deuxième album The Hearing Continues (Emanem). Sérieusement, le L.I.O. avait alors un super clarinettiste, Alex Ward, mais Jacques jouait de la clarinette basse à un niveau qui n’avait en 2000 aucun équivalent en U.K. dans le domaine de l’improvisation, alors même qu’il se sentait comme un novice issu du classique et du contemporain. De même Jean-Jacques Duerinckx est sans doute le saxophoniste improvisateur le plus distinctif de la scène improvisée en Belgique jouant dans des projets électroacoustiques ou free-rock-psyché-free (Neptunian Maximalist et ZAÄAR). Le sax sopranino est un instrument assez rebutant et difficile à maîtriser et c’est à mettre au crédit de J.J. d’en faire son instrument principal. Et Adrian Northover, saxophoniste talenteux et expérimenté est depuis longtemps un incontournable de la scène londonienne (Adam Bohman, Marcello Magliocchi, Neil Metcalfe, les groupes légendaires B Shops for The Poor et Remote Viewers) avec de nombreuses cordes à son arc..
La musique du trio étant basée sur l’écoute et les idées – feelings – suggestions tacites de chacun, elle couvre un large panorama de timbres, de sonorités, de dynamiques de jeux et de souffles, de substrats mélodiques ou harmoniques, de ramifications, un côté folklore imaginaire. On y entend un solo ou l’autre (Adrian , J.J.), le saxophone soprano « courbé » d’Adrian qui offre une vraie particularité (devinez laquelle, on ne va pas tout expliquer) qui s’adapte avec une vraie singularité face aux techniques alternatives de JJ qui implose la colonne d’air du sopranino ou du baryton avec des effets de souffle « far out » ou réagit au quart de tour en mode « free-jazz » à l’occasion. Mais aussi le mystérieux Ryokaku de Jacques ouvre complètement l’horizon en faisant entendre son filet de son pur éthéré parmi le souffle des deux saxophones. Le Ryokaku , c’est parfait pour souffler avec J.J. lequel n’hésite pas à souffler dans le tube du sopranino sans le bec… la colonne d’air vibre sans anche offrant le passage de l’air insufflé comme une sonorité factice mais vivante. Facétieux , Jacques a conservé une quantité suffisante de tronçons de bambou impropres à se transformer en flûtes pour pouvoir en jouer comme instruments de percussions dans une perspective complètement free voisine des Paul Lovens et Roger Turner, éclatée et sauvage sans excès de volume sonore. Percussions colorées et singulièrement résonnantes avec cette qualité « boisée » naturelle au niveau de la sonorité. Bref, ce trio est un vrai plaisir d’écoute, crée une magnifique atmosphère de création organique, de débats ludiques, faite d’air, de vents, d’anches, de tubes et de bambous…
Korean Fantasy Kim Dae Hwan & Choi Sun Bae No Business Chap Chap Series NBCD 161
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/korean-fantasy
https://nobusinessrecords.com/korean-fantasy.html
No Business propose de nombreux albums qui devraient défrayer la chronique et être pris d’assaut par les acheteurs. Dans la Chap-Chap Series, plusieurs enregistrements captés au Japon par Takeo Suetomi dans les années 80 et 90 immortalisent des concerts fascinants. Certains ont été publiés sur son label Chap-Chap. Grâce à No Business, nous avons eu droit à des rencontres du batteur japonais Sabu Toyozumi avec Peter Brötzmann, Derek Bailey, Leo Smith, Paul Rutherford, Kaoru Abe, Mats Gustafsson, Masahiko Satoh… Mais un autre percussionniste, coréen celui-ci, a les faveurs des Chap Chap Series : Kim Dae Hwan, ici en duo avec un compatriote, le trompettiste Choi Sun Bae. No Business a aussi publié d'aures albums de Choi Sun Bae et de Kim Dae Hwan (Arirang Fantasy) et Chap Chap Records Kim DaeHwan : Echoes of Empty Live at Gallery MAI 1994 (CPCD-027). Si vous aimez les batteurs comme Ed Blackwell, Milford Graves ou Sabu Toyozumi, il faut absolument découvrir ce poly-rythmicien free. Enregistré le 26 novembre 1999 à Hofu City / Yamaguchi, ce concert comporte trois parties intitulées FM-1 (33 :28), FM-2 (12 :49) et FM-3 (7:44).
Choi Sun Bae développe une sonorité détachée alternant avec de superbes implosions au niveau de l’embouchure. Il introduit le concert en solitaire marquant son territoire et son souffle soutenu et amplifié évoque la démarche de Bill Dixon. Après ce bref prélude, le percussionniste démarre faisant rebondir et tournoyer ses frappes avec une réelle complexité et des séquences rythmiques et roulements souvent endiablés et inspirés inévitablement de la musique coréenne traditionnelle. La conception des rythmes dans la musique coréenne qu’on trouve dans les musiques P’ansori et Sinawi est vraiment détonante : irrégulière, « hésitante » avec accélérations et ralentissements instantanés des frappes et des pulsations. Kim Dae Hwan a mis la démarche profuse et multi-rythmique des batteurs free à la sauce coréenne au point que son jeu, sa sonorité et les enchaînements de ses frappes et roulements éminemment lisibles n’appartiennent qu’à lui. On n'a jamais entendu rien de pareil. Aussi son jeu de cymbales et hi-hat est précis et redoutablement efficace car coordonné avec son jeu très original. Omniprésent, mais pas vraiment envahissant. Au fil de l’improvisation, il s’impose au centre comme le moteur de la musique alors que son collègue, sans doute placé sur le côté de la scène émet des commentaires obliques avec sa trompette électrique et un système de delay subtil qui produit un effet vocalisé presque multiphonique. Aussi Choi Sun Bae intervient un moment à l’harmonica et termine le morceau en improvisant avec des motifs mélodiques orientaux et des ultra aigus savamment contrôlés et intersidéraux. Les 33 minutes de la première partie se déroulent sans qu’on en ressente la durée. Deuxième partie : Choi Sun Bae joue de la trompette acoustique et dialogue adroitement sur les vagues multirythmiques et obstinées du batteur. Même s’il joue spontanément et librement, les structures rythmiques sous-jacentes du drumming « free » de Kim Dae Hwan obéit à une conception très ouvragée, précise et complexe qui défie l’ordinaire des batteurs « d’école de jazz » : plusieurs rythmiques coexistent simultanément en se croisant ou se détachant l'une de lautre. Cela donne l’impression qu’il y a deux voire plusieurs percussionnistes. On trouvera des similitudes avec les démarches de Milford Graves ou d’Han Bennink, lesquels ont trouvé leur inspiration dans les musiques africaines et indiennes. Comme il s’agit de deux personnalités aux sensibilités bien différentes la confrontation et l’alternance de leurs interventions respectives ajoutent une forme de mystère et une dimension magique. En effet, la magnifique sonorité de Choi Sun Bae flotte et se répand dans l’espace ou s’écarte l’initiative insistante des rythmes débordants du batteur tout en sautant sur l’occasion de lui répondre vivement dans une ou deux phases de jeu comme quand ils couronnent la fin de la troisième partie de ce magnifique concert. Il y a une apparence cérémonielle, l’achèvement d’un rituel dont les codes nous échappent mais qui s’imposent avec une particulière évidence.
Klang ! Scarto Andrea Massaria Alessandro Seravalle Stefano Giust Setola di Maiale SM 4900
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4900
SCARTO : écart, déchet, rebut, rejet, décalage, défausse, différence, scorie, fossé, élimination. Les notes de pochette citent Fausto Romitelli « Produire un écart (rebut, déchet, rejet etc…) signifie avant tout une brèche dans les habitudes perceptives, dans une situation communicative établie, acquise, rassurante, normalisée ». ( Traduit par mes soins, ayant moi-même étudié l’italien). Ensuite Alessandro Seravalle commente : Dans l’idée de Scarto, on peut retracer une composante thérapeutique liée au fait de « faire de la musique » (ou l’art en général). L’œuvre , de manière vraiment paradoxale mais, proprement en vertu de ceci, en se rapprochant d’une quelconque vérité, peut être interprétée comme un produit de « scarto » (écart, rebut, rejet, décalage etc…) d’une opération de soin (cura), l’issue secondaire d’un traitement thérapeutique, si il se veut une sorte d’effet collatéral du remède (farmaco). En outre, et je reprends la citation romitellienne, lo scarto (écart, rebut, rejet, décalage, etc…) indique un changement de direction, un déplacement sur le côté par rapport à quelque chose, particulièrement à la dérive lobotomisante de l’excès de musique consumériste. Lo scarto (écart, rebut, rejet, décalage, scorie, …) symbolise dans ce cas le refus (du reste quand on joue aux cartes, celles qui ne servent pas sont écartées – si scartano) de se compromettre avec la dérive susmentionnée et pernicieuse, se situer dans une position marginale par laquelle mettre en acte des manœuvres de résistance culturelle. Scarto , 45’09’’ occupe tout l’espace – temps du compact. Jouent : Andrea Massaria : guitar, fx pedalboard, Alessandro Seravalle : electronics, Stefano Giust : batterie, cymbales, percussions. Alessandro Seravalle s’était révélé comme un guitariste d’avant-garde. Lui et Andrea Massaria, sont déjà les auteurs d’une musique en duo : Klang ! Catastrofe del Vuoto Elettrodebole par Andrea Anton Klang Massaria et Alessandro Karlheinz Lärm Seravalle (Setola di Maiale SM 4720), un album de 2023 que je n’ai pu encore écouter. Le trio, lui s’intitule exactement Andrea Anton Klang Massaria Alessandro Karlheinz Lärm Seravalle Stefano Edgard Schüsse Giust. Andrea Massaria est un as de la guitare électronique avec un solide parcours, plusieurs fois mentionné très favorablement dans ces lignes tant avec la violoncelliste Clementine Gasser, le tromboniste Giancarlo Schiaffini Marcello Magliocchi, le pianiste Arrigo Cappelleti et pour son excellent album solo, New Needs, New Techniques. Quant à Stefano Giust, on l’a entendu avec Nicolà Guazzacola, Edoardo Maraffa, Gianni Gebbia, Gino Robair, Thollem McDonas et bon nombre d’autres collaborateurs qui ont défilé sur son extraordinaire label, Setola di Maiale et ses centaines de cd publiés. Mais trêve de considérations, venons au fait ! Voilà un album intéressant réalisé par un trio atypique dédié à l’improvisation totale électrique. La combinaison des talents de Massaria et Seravalle tombe sous le sens tant leurs sonorités électroniques se complètent, se distinguent et évoluent comme le vif-argent et un alliage inconnu qui se métamorphosent, s’agrègent, éclatent ou restent suspendues hors des forces de la gravitation. Bien sûr dans le kaléidoscope des effets électroniques d’Andrea Massaria, on reconnaît la présence du guitariste, le toucher des cordes auxquelles la technologie insuffle une dimension flottante, fantomatique voire irréelle. Mais plus loin, c’est un subtil guitariste destroy qui s’exprime avec des amalgames de sonorités trafiquées, manipulées, contorsionnées à l’extrême avec un étonnant contrôle de la qualité sonore. Il maîtrise très bien les paradigmes de son installation d’effets sans surjouer en créant suffisamment d’espaces et de blancs pour l’équilibre collectif du trio L’écoute attentive et la discrète présence d’esprit d’Alessandro Seravalle tire adroitement parti d’une large palette de sonorités mouvantes qui d’adaptent à merveille aux circonstances, à la dynamique et aux couleurs de cette guitare mystérieuse au point qu’elle s’unissent dans de curieuses harmonies indissolubles. Si Stefano Giust a pu marquer son public par la tonicité et la puissance de son jeu à la batterie, on le découvre ici sur son versant pointilliste, pointilleux et volatile, ses frappes successives étant « amorties » pour ne pas couvrir ses deux collègues . Généralement en matière de guitare , j’ai toujours préféré une archtop amplifiée en stéréo avec seulement deux pédales de volume (Derek Bailey) ou acoustique comme John Russell, Roger Smith ou encore la six cordes « couchée de Keith Rowe. Mais ce qui compte dans KLANG ! c’est la superbe dynamique du trio et cette effrénée recherche de sons, de timbres, d’amalgames de textures virevoltantes et de frictions. Au fil de l’écoute, cela devient surréel, authentiquement non-idiomatique, sincèrement intergalactique ou science-fictionnesque au point que le kraut – rock de vos grands-pères aurait aujourd’hui l’air ringard face à cet OVNI électro-acoustique. Une mention très réussi.
Inward Traces Outward Edges Jason Alder Thanos Chrysakis Charlotte Keefe James O’Sullivan Aural Terrains TRRN 1955
https://www.auralterrains.com/releases/55
https://jasonalder.bandcamp.com/album/inward-traces-outward-edges
Les albums produits par Aural Terrains et Thanos Chrysakis proposent autant des musiques de compositeurs « contemporains » que de l’improvisation radicale, chaque fois réalisées en collaboration avec des instrumentistes et improvisateurs Britanniques. Parmi eux, le clarinettiste Jason Alder, ici la clarinette contrebasse et au sax sopranino, la trompettiste Charlotte Keefe, aussi au bugle et le guitariste James O’Sullivan, avec Thanos Chrysakis crédité laptop computer et synthétiseurs. Rappelons que Thanos est aussi compositeur et curateur des albums purement « musique contemporaine » ; citoyen Grec, il vit à Brest en Biélorussie. Inward Traces Outward Edges comporte cinq parties intitulées PART I, PART II jusque PART V pour des durées de 10 :16 – 04 :24 – 12 :42 – 12 :12 – 07 :53. Si les sons des instruments électroniques joués discrètement par Thanos Chrysakis évoluent sous forme de drones et de sons parasites en suspension, James O’Sullivan s’intègre dans le flux électronique avec des effets, de lents glissandi et de minutieuses griffures dans la marge de l’instrument menant parfois à un bruitisme minutieux. On entend d’ailleurs les deux musiciens émettre un faisceau d’ondes collectives s’unissant comme une seule et même voix dont la hauteur oscille interminablement. Par-dessus ces sonorités électriques Charlotte Keefe improvise librement dans l’embouchure en éclatant colonne d’air dans le pavillon. Tout comme le fit autrefois le regretté Wolfgang Fuchs, Jason Alder manie alternativement son énorme clarinette contrebasse et le court saxophone soprano. Durant ces cinq morceaux, le quartet fait évoluer les paysages sonores et les souffles de manière tout à fait avantageuse. C’est un très bel essai d’interactions – juxtapositions de sons, mouvements, effets sonores, bruissements qui mène à la fascinante PART IV. À ce stade, les quatre improvisateurs sont parvenus à une véritable méta-musique, de combinaisons sonores peu soupçonnables, voire rarement ouïes nous entraînant dans une écoute approfondie. Dans PART V , le décor et les effets sonores, l’art de la répétition offrent une toute autre perspective, l’électronique devenant plus prépondérante, forçant Keefe à jouer comme dans un rêve . Depuis le début (PART I) on est passé du terre à terre à une absence de gravitation qui libère l’imagination spontanée dans les PART IV et V. Une tentative réussie de redéfinition de l’improvisation libre sans idée préconçue. Remarquable.
https://creativesources.bandcamp.com/album/f-hn-ensemble
Deux souffleurs de Belgique impliqués depuis bon nombre d’années dans la libre improvisation : Jean-Jacques Duerinckx aux saxophones sopranino et baryton et Jacques Foschia, aux clarinettes basse, Mi-bémol et Si-bémol « aigu » se sont souvent rencontrés dans des concerts communs et finalement dans un concert en duo (à ma demande), duo qui a perduré au fil des années. Mais J.J. a la marotte des duos ou trios de souffleurs avec entre autres, le saxophoniste alto et soprano Adrian Northover et le clarinettiste Tom Jackson etc… Par la suite Adrian et J.J. ont gravé un véritable bijou à deux saxophones : Hearoglyphics (Setola di Maiale). Pour rendre plus attractive l’occasion d’une seule performance du trio à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles le 23/04/24, il fut décidé de réaliser un enregistrement le jour suivant, le 24, car un 24 du mois en 2024 ça doit être pas mal. Mais depuis l’époque Bruxelloise, Jacques Foschia s’est inventé une nouvelle passion : les flûtes japonaises en bambou (dites « shakuhashi »), dont il sélectionne lui – même des morceaux à même la nature dans la vallée de la Drôme où il réside depuis plusieurs années. Il en découpe des tronçons en fonction des noeuds et taille précisément l’encoche de l’embouchure. Il a appris à souffler dans ses « kyotaku » avec une belle précision et ce supplément d’âme des grands souffleurs, étant lui – même un clarinettiste d’envergure et maestro de la clarinette basse. Adrian et Jacques sont devenus amis au sein du London Improvisers Orchestra entre 2000 et 2011. Ils siégeant dans un section d’anches aux côtés de Lol Coxhill, Evan Parker, John Butcher, Caroline Kraabel, Harrison Smith et Alex Ward. En visite à Londres en 2000, Jacques Foschia a joué un soir avec le L.I.O et l’orchestre lui a demandé de revenir enregistré leur deuxième album The Hearing Continues (Emanem). Sérieusement, le L.I.O. avait alors un super clarinettiste, Alex Ward, mais Jacques jouait de la clarinette basse à un niveau qui n’avait en 2000 aucun équivalent en U.K. dans le domaine de l’improvisation, alors même qu’il se sentait comme un novice issu du classique et du contemporain. De même Jean-Jacques Duerinckx est sans doute le saxophoniste improvisateur le plus distinctif de la scène improvisée en Belgique jouant dans des projets électroacoustiques ou free-rock-psyché-free (Neptunian Maximalist et ZAÄAR). Le sax sopranino est un instrument assez rebutant et difficile à maîtriser et c’est à mettre au crédit de J.J. d’en faire son instrument principal. Et Adrian Northover, saxophoniste talenteux et expérimenté est depuis longtemps un incontournable de la scène londonienne (Adam Bohman, Marcello Magliocchi, Neil Metcalfe, les groupes légendaires B Shops for The Poor et Remote Viewers) avec de nombreuses cordes à son arc..
La musique du trio étant basée sur l’écoute et les idées – feelings – suggestions tacites de chacun, elle couvre un large panorama de timbres, de sonorités, de dynamiques de jeux et de souffles, de substrats mélodiques ou harmoniques, de ramifications, un côté folklore imaginaire. On y entend un solo ou l’autre (Adrian , J.J.), le saxophone soprano « courbé » d’Adrian qui offre une vraie particularité (devinez laquelle, on ne va pas tout expliquer) qui s’adapte avec une vraie singularité face aux techniques alternatives de JJ qui implose la colonne d’air du sopranino ou du baryton avec des effets de souffle « far out » ou réagit au quart de tour en mode « free-jazz » à l’occasion. Mais aussi le mystérieux Ryokaku de Jacques ouvre complètement l’horizon en faisant entendre son filet de son pur éthéré parmi le souffle des deux saxophones. Le Ryokaku , c’est parfait pour souffler avec J.J. lequel n’hésite pas à souffler dans le tube du sopranino sans le bec… la colonne d’air vibre sans anche offrant le passage de l’air insufflé comme une sonorité factice mais vivante. Facétieux , Jacques a conservé une quantité suffisante de tronçons de bambou impropres à se transformer en flûtes pour pouvoir en jouer comme instruments de percussions dans une perspective complètement free voisine des Paul Lovens et Roger Turner, éclatée et sauvage sans excès de volume sonore. Percussions colorées et singulièrement résonnantes avec cette qualité « boisée » naturelle au niveau de la sonorité. Bref, ce trio est un vrai plaisir d’écoute, crée une magnifique atmosphère de création organique, de débats ludiques, faite d’air, de vents, d’anches, de tubes et de bambous…
Korean Fantasy Kim Dae Hwan & Choi Sun Bae No Business Chap Chap Series NBCD 161
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/korean-fantasy
https://nobusinessrecords.com/korean-fantasy.html
No Business propose de nombreux albums qui devraient défrayer la chronique et être pris d’assaut par les acheteurs. Dans la Chap-Chap Series, plusieurs enregistrements captés au Japon par Takeo Suetomi dans les années 80 et 90 immortalisent des concerts fascinants. Certains ont été publiés sur son label Chap-Chap. Grâce à No Business, nous avons eu droit à des rencontres du batteur japonais Sabu Toyozumi avec Peter Brötzmann, Derek Bailey, Leo Smith, Paul Rutherford, Kaoru Abe, Mats Gustafsson, Masahiko Satoh… Mais un autre percussionniste, coréen celui-ci, a les faveurs des Chap Chap Series : Kim Dae Hwan, ici en duo avec un compatriote, le trompettiste Choi Sun Bae. No Business a aussi publié d'aures albums de Choi Sun Bae et de Kim Dae Hwan (Arirang Fantasy) et Chap Chap Records Kim DaeHwan : Echoes of Empty Live at Gallery MAI 1994 (CPCD-027). Si vous aimez les batteurs comme Ed Blackwell, Milford Graves ou Sabu Toyozumi, il faut absolument découvrir ce poly-rythmicien free. Enregistré le 26 novembre 1999 à Hofu City / Yamaguchi, ce concert comporte trois parties intitulées FM-1 (33 :28), FM-2 (12 :49) et FM-3 (7:44).
Choi Sun Bae développe une sonorité détachée alternant avec de superbes implosions au niveau de l’embouchure. Il introduit le concert en solitaire marquant son territoire et son souffle soutenu et amplifié évoque la démarche de Bill Dixon. Après ce bref prélude, le percussionniste démarre faisant rebondir et tournoyer ses frappes avec une réelle complexité et des séquences rythmiques et roulements souvent endiablés et inspirés inévitablement de la musique coréenne traditionnelle. La conception des rythmes dans la musique coréenne qu’on trouve dans les musiques P’ansori et Sinawi est vraiment détonante : irrégulière, « hésitante » avec accélérations et ralentissements instantanés des frappes et des pulsations. Kim Dae Hwan a mis la démarche profuse et multi-rythmique des batteurs free à la sauce coréenne au point que son jeu, sa sonorité et les enchaînements de ses frappes et roulements éminemment lisibles n’appartiennent qu’à lui. On n'a jamais entendu rien de pareil. Aussi son jeu de cymbales et hi-hat est précis et redoutablement efficace car coordonné avec son jeu très original. Omniprésent, mais pas vraiment envahissant. Au fil de l’improvisation, il s’impose au centre comme le moteur de la musique alors que son collègue, sans doute placé sur le côté de la scène émet des commentaires obliques avec sa trompette électrique et un système de delay subtil qui produit un effet vocalisé presque multiphonique. Aussi Choi Sun Bae intervient un moment à l’harmonica et termine le morceau en improvisant avec des motifs mélodiques orientaux et des ultra aigus savamment contrôlés et intersidéraux. Les 33 minutes de la première partie se déroulent sans qu’on en ressente la durée. Deuxième partie : Choi Sun Bae joue de la trompette acoustique et dialogue adroitement sur les vagues multirythmiques et obstinées du batteur. Même s’il joue spontanément et librement, les structures rythmiques sous-jacentes du drumming « free » de Kim Dae Hwan obéit à une conception très ouvragée, précise et complexe qui défie l’ordinaire des batteurs « d’école de jazz » : plusieurs rythmiques coexistent simultanément en se croisant ou se détachant l'une de lautre. Cela donne l’impression qu’il y a deux voire plusieurs percussionnistes. On trouvera des similitudes avec les démarches de Milford Graves ou d’Han Bennink, lesquels ont trouvé leur inspiration dans les musiques africaines et indiennes. Comme il s’agit de deux personnalités aux sensibilités bien différentes la confrontation et l’alternance de leurs interventions respectives ajoutent une forme de mystère et une dimension magique. En effet, la magnifique sonorité de Choi Sun Bae flotte et se répand dans l’espace ou s’écarte l’initiative insistante des rythmes débordants du batteur tout en sautant sur l’occasion de lui répondre vivement dans une ou deux phases de jeu comme quand ils couronnent la fin de la troisième partie de ce magnifique concert. Il y a une apparence cérémonielle, l’achèvement d’un rituel dont les codes nous échappent mais qui s’imposent avec une particulière évidence.
Klang ! Scarto Andrea Massaria Alessandro Seravalle Stefano Giust Setola di Maiale SM 4900
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4900
SCARTO : écart, déchet, rebut, rejet, décalage, défausse, différence, scorie, fossé, élimination. Les notes de pochette citent Fausto Romitelli « Produire un écart (rebut, déchet, rejet etc…) signifie avant tout une brèche dans les habitudes perceptives, dans une situation communicative établie, acquise, rassurante, normalisée ». ( Traduit par mes soins, ayant moi-même étudié l’italien). Ensuite Alessandro Seravalle commente : Dans l’idée de Scarto, on peut retracer une composante thérapeutique liée au fait de « faire de la musique » (ou l’art en général). L’œuvre , de manière vraiment paradoxale mais, proprement en vertu de ceci, en se rapprochant d’une quelconque vérité, peut être interprétée comme un produit de « scarto » (écart, rebut, rejet, décalage etc…) d’une opération de soin (cura), l’issue secondaire d’un traitement thérapeutique, si il se veut une sorte d’effet collatéral du remède (farmaco). En outre, et je reprends la citation romitellienne, lo scarto (écart, rebut, rejet, décalage, etc…) indique un changement de direction, un déplacement sur le côté par rapport à quelque chose, particulièrement à la dérive lobotomisante de l’excès de musique consumériste. Lo scarto (écart, rebut, rejet, décalage, scorie, …) symbolise dans ce cas le refus (du reste quand on joue aux cartes, celles qui ne servent pas sont écartées – si scartano) de se compromettre avec la dérive susmentionnée et pernicieuse, se situer dans une position marginale par laquelle mettre en acte des manœuvres de résistance culturelle. Scarto , 45’09’’ occupe tout l’espace – temps du compact. Jouent : Andrea Massaria : guitar, fx pedalboard, Alessandro Seravalle : electronics, Stefano Giust : batterie, cymbales, percussions. Alessandro Seravalle s’était révélé comme un guitariste d’avant-garde. Lui et Andrea Massaria, sont déjà les auteurs d’une musique en duo : Klang ! Catastrofe del Vuoto Elettrodebole par Andrea Anton Klang Massaria et Alessandro Karlheinz Lärm Seravalle (Setola di Maiale SM 4720), un album de 2023 que je n’ai pu encore écouter. Le trio, lui s’intitule exactement Andrea Anton Klang Massaria Alessandro Karlheinz Lärm Seravalle Stefano Edgard Schüsse Giust. Andrea Massaria est un as de la guitare électronique avec un solide parcours, plusieurs fois mentionné très favorablement dans ces lignes tant avec la violoncelliste Clementine Gasser, le tromboniste Giancarlo Schiaffini Marcello Magliocchi, le pianiste Arrigo Cappelleti et pour son excellent album solo, New Needs, New Techniques. Quant à Stefano Giust, on l’a entendu avec Nicolà Guazzacola, Edoardo Maraffa, Gianni Gebbia, Gino Robair, Thollem McDonas et bon nombre d’autres collaborateurs qui ont défilé sur son extraordinaire label, Setola di Maiale et ses centaines de cd publiés. Mais trêve de considérations, venons au fait ! Voilà un album intéressant réalisé par un trio atypique dédié à l’improvisation totale électrique. La combinaison des talents de Massaria et Seravalle tombe sous le sens tant leurs sonorités électroniques se complètent, se distinguent et évoluent comme le vif-argent et un alliage inconnu qui se métamorphosent, s’agrègent, éclatent ou restent suspendues hors des forces de la gravitation. Bien sûr dans le kaléidoscope des effets électroniques d’Andrea Massaria, on reconnaît la présence du guitariste, le toucher des cordes auxquelles la technologie insuffle une dimension flottante, fantomatique voire irréelle. Mais plus loin, c’est un subtil guitariste destroy qui s’exprime avec des amalgames de sonorités trafiquées, manipulées, contorsionnées à l’extrême avec un étonnant contrôle de la qualité sonore. Il maîtrise très bien les paradigmes de son installation d’effets sans surjouer en créant suffisamment d’espaces et de blancs pour l’équilibre collectif du trio L’écoute attentive et la discrète présence d’esprit d’Alessandro Seravalle tire adroitement parti d’une large palette de sonorités mouvantes qui d’adaptent à merveille aux circonstances, à la dynamique et aux couleurs de cette guitare mystérieuse au point qu’elle s’unissent dans de curieuses harmonies indissolubles. Si Stefano Giust a pu marquer son public par la tonicité et la puissance de son jeu à la batterie, on le découvre ici sur son versant pointilliste, pointilleux et volatile, ses frappes successives étant « amorties » pour ne pas couvrir ses deux collègues . Généralement en matière de guitare , j’ai toujours préféré une archtop amplifiée en stéréo avec seulement deux pédales de volume (Derek Bailey) ou acoustique comme John Russell, Roger Smith ou encore la six cordes « couchée de Keith Rowe. Mais ce qui compte dans KLANG ! c’est la superbe dynamique du trio et cette effrénée recherche de sons, de timbres, d’amalgames de textures virevoltantes et de frictions. Au fil de l’écoute, cela devient surréel, authentiquement non-idiomatique, sincèrement intergalactique ou science-fictionnesque au point que le kraut – rock de vos grands-pères aurait aujourd’hui l’air ringard face à cet OVNI électro-acoustique. Une mention très réussi.
Inward Traces Outward Edges Jason Alder Thanos Chrysakis Charlotte Keefe James O’Sullivan Aural Terrains TRRN 1955
https://www.auralterrains.com/releases/55
https://jasonalder.bandcamp.com/album/inward-traces-outward-edges
Les albums produits par Aural Terrains et Thanos Chrysakis proposent autant des musiques de compositeurs « contemporains » que de l’improvisation radicale, chaque fois réalisées en collaboration avec des instrumentistes et improvisateurs Britanniques. Parmi eux, le clarinettiste Jason Alder, ici la clarinette contrebasse et au sax sopranino, la trompettiste Charlotte Keefe, aussi au bugle et le guitariste James O’Sullivan, avec Thanos Chrysakis crédité laptop computer et synthétiseurs. Rappelons que Thanos est aussi compositeur et curateur des albums purement « musique contemporaine » ; citoyen Grec, il vit à Brest en Biélorussie. Inward Traces Outward Edges comporte cinq parties intitulées PART I, PART II jusque PART V pour des durées de 10 :16 – 04 :24 – 12 :42 – 12 :12 – 07 :53. Si les sons des instruments électroniques joués discrètement par Thanos Chrysakis évoluent sous forme de drones et de sons parasites en suspension, James O’Sullivan s’intègre dans le flux électronique avec des effets, de lents glissandi et de minutieuses griffures dans la marge de l’instrument menant parfois à un bruitisme minutieux. On entend d’ailleurs les deux musiciens émettre un faisceau d’ondes collectives s’unissant comme une seule et même voix dont la hauteur oscille interminablement. Par-dessus ces sonorités électriques Charlotte Keefe improvise librement dans l’embouchure en éclatant colonne d’air dans le pavillon. Tout comme le fit autrefois le regretté Wolfgang Fuchs, Jason Alder manie alternativement son énorme clarinette contrebasse et le court saxophone soprano. Durant ces cinq morceaux, le quartet fait évoluer les paysages sonores et les souffles de manière tout à fait avantageuse. C’est un très bel essai d’interactions – juxtapositions de sons, mouvements, effets sonores, bruissements qui mène à la fascinante PART IV. À ce stade, les quatre improvisateurs sont parvenus à une véritable méta-musique, de combinaisons sonores peu soupçonnables, voire rarement ouïes nous entraînant dans une écoute approfondie. Dans PART V , le décor et les effets sonores, l’art de la répétition offrent une toute autre perspective, l’électronique devenant plus prépondérante, forçant Keefe à jouer comme dans un rêve . Depuis le début (PART I) on est passé du terre à terre à une absence de gravitation qui libère l’imagination spontanée dans les PART IV et V. Une tentative réussie de redéfinition de l’improvisation libre sans idée préconçue. Remarquable.
23 mars 2025
Laurent Paris & Jean Luc Petit / Michael Gregory Jackson Julius Hemphill Abdul Wadud & Pheeroan ak Laff / Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker/Alex Ward Dominic Lash & Emil Karlsen/ Phil Wachsmann Bruno Guastalla David Leahy Trevor Taylor & Catherine Hope Jones
Laurent Paris & Jean Luc Petit Présence Label au bois dormant 001
https://labelauboisdormant.bandcamp.com/album/pr-sence
Duo percussions – Laurent Paris – et clarinette contrebasse / saxophone sopranino - Jean-Luc Petit -. Huit improvisations inspirées et remarquablement enregistrées dans l’Église St Martin de Bignac le 3 septembre 2024 s’échelonnent tout au long d’un échange fructueux. Le souffle de Jean-Luc Petit anime les sons graveleux à travers le bec et l’énorme tube usiné d’orifices, de clapets, tiges et clés. Ça bourdonne, chuinte, gémit, oscille dans l’espace et par-dessus les frappes précises et cliquetantes de Laurent Paris, un habile percussionniste volatile, méticuleux et particulièrement inventif. Il agite allègrement ses fines baguettes sur les rebords des tambours et des ustensiles en bois avec un superbe sens de la dynamique. Son jeu décline de subtiles nuances pour chacune de ses frappes articulées avec vivacité, légèreté …. Ça coule de source : poésie, variations infinies de touchers, rebonds, vibrations, frottements entre murmures et grincements jusqu’à ces superbes éparpillements de pulsations, une articulation éclatée des gestes qui évoque les Lovens et Turner. Jean-Luc Petit métamorphose le souffle en bulles d’air chargé de vapeurs sombres,grondements gravissimes, grumeaux de liquides huileux, vibrations gazeuses, grisailles vapotantes, frissons aériens de la clarinette contrebasse et les harmoniques extrêmes et zézeyantes du sopranino… Laurent Paris joue aussi à mains nues sur les peaux et on songe incidemment à la technique persane du zarb et on entend une cithare, l’archet frottant les cymbales... Voilà un percussionniste qui a compris beaucoup de choses et qui va jusqu’au bout de son potentiel. J’estimais déjà bien Jean-Luc Petit ; l’heureuse compagnie de Laurent Paris le pousse au meilleur. Et une fois arrivé au bout du chemin, Laurent s'éclate en secouant ses ustensiles à même le plancher par surprise. Un sens de la narration s’insinue dans les huit pièces de ce recueil captées d’un seul tenant : ouverture – relâchement – présence – révolution – mobilité – plasticité – tellurique – prémonitoire. C’est un album exquis, fascinant, un univers acoustique foncièrement subtil et sans manière plus qu’un dialogue. Une volière arborescente, un rêve éveillé.
J’avais réussi à écrire la meilleure chronique à propos de cette modeste merveille, mais le texte s’est envolé dans les limbes d’ICloud. J’ai été forcé à réécrire un autre texte et en réécoutant Présence, j’ai encore été ébahi par leur inspiration sans faille. Merveilleux.
FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN // MICHAEL GREGORY JACKSON LIVE! THE LADIES FORT NYC 1977
https://michaelgregoryjackson.bandcamp.com/album/frequency-equilibrium-koan
1. FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN (9:18) 2. HEART & CENTER (9:46) 3. CLARITY 3 (11:20) 4. A MEDITATION (9:09)
MICHAEL GREGORY JACKSON Electric Guitar, Acoustic Guitar Percussion Chimes, Bamboo Flutes & Compositions JULIUS HEMPHILL Alto Saxophone ABDUL WADUD Cello PHEEROAN AK LAFF Drums. MICHAEL GREGORY JACKSON Recording, Post-Production & Digital Editing PETE KEPPLER Mastering.
Au sommet de la vague du Loft Jazz New Yorkais des années 70, un grand nombre de musiciens improvisateurs afro-américains du Midwest et d’ailleurs se produisaient journellement dans une série de lieux consacrés au jazz d’avant-garde : Studio Rivbea, Studio We, Ladie’s Fort etc… rassemblant auditeurs et musiciens enthousiastes découvrant une nouvelle musique. À l’époque une série de 5 LP’s intitulés Wildflowers Sessions virent le jour en 1977, produites par Alan Douglas. Le guitariste Michael Gregory Jackson figure dans cette anthologie en compagnie du saxophoniste Oliver Lake, le bassiste Fred Hopkins et le batteur Paul Maddox a/k/a Pheeroan ak Laff. Ce quartet a enregistré le LP Holding Together et Julius Hemphill, l’album Raw Materials & Residuals avec le violoncelliste Abdul Wadud et le batteur Don Moye, musiciens devenus légendaires par la suite (LP's Black Saint 1976-1977). Ce concert enregistré en 1977 au Ladies’Fort rassemble deux des musiciens des deux groupes aux personnels interchangeables au fil des concerts programmés à NYC. Dès le morceau titre de l’album, Frequency Equilibrium Koan, on navigue à vue dans l’avant-garde faite de subits changements de décor, de timbres rares, de collages de sonorités expressives et d’éléments thématiques/ micro-structures juxtaposées alternativement par l’un ou l’autre instrument et s’emboîtant judicieusement avec un goût pour le contraste avec une évidente dimension visuelle et un impérative concision qui évoquerait les tableaux de Kandinsky ou de Klee. C’est une excellente réussite qui évoque un morceau risqué ou l’autre d’Ornette (cfr The London Concert) et de Marion Brown (cfr Porto Novo ou son duo avec Leo Smith). Le deuxième morceau vole littéralement dans une veine rythmique plus funky propulsant la sonorité chaleureuse de Julius Hemphill (Heart and Center). Le jeu dynamique du violoncelliste Abdul Wadud faisait alors sensation. Hemphill et Wadud avaient déjà beaucoup travaillé ensemble et produit un trésor de plaque : M’Bari, avec le batteur Philipp Wilson et le trompettiste Baïkida EJ Caroll. Le troisième morceau Clarity est un morceau free d’anthologie : on y entend le jeune Pheeroan ak Laff démarrer le morceau avec un drumming ultra éclaté proche de celui d’un Paul Lovens avec ses volées de micro-frappes dans tous les angles de ses tambours et cymbales. Michael G Jackson se révèle un innovateur free à la six cordes avec un jeu hyper mobile, précis, percutant tout en zig-zags et dérapages contrôlés, rejoint par les audaces du violoncelliste et les spirales d’Hemphill. C’est frais, audacieux, kinétique, enchaînant rebondissements et surprises, pas loin de l’improvisation totale. Meditation : un beau moment de poésie sonore en suspension avec le souffle délicat de Jackson avec une flûte de bambou. Du vrai free-jazz ouvert qui inventait alors de nouvelles formules.
Armageddon Flowers Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker Tao Forms CD
Il y a une trentaine d’années, le Matt Shipp String Trio a enregistré By the Law Of Music pour Hat Art en compagnie de ses fidèles compagnons l’altiste Mat Maneri et le contrebassiste William Parker avec qui il jouait dans le légendaire quartet du saxophoniste David S Ware. Avec cette musique de chambre avec cordes sans batterie ni cuivres, le pianiste montrait une autre facette de son travail de compositeur et d’improvisateur. Que le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman insère son souffle si caractéristique dans ce trio singulier n’est sûrement pas qu’un bon arrangement ou échange de politesses, ces quatre musiciens ont tissé des liens musicaux très approfondis voire vitaux. C’est en compagnie de William Parker, alors duettiste incontournable du pianiste, qu’Ivo Perelman a fait ses premiers pas dans la scène free-jazz de New York avec, entre autres, le batteur Rashied Ali et très vite, il a enregistré avec Shipp et Parker en trio (Terra Da Cama). Au fil des années, ces quatre musiciens ont accumulé enregistrements et concerts en duos, trios , quartets et avec d’autres improvisateurs proches de manière exponentielle. Le duo Perelman-Shipp à lui seul compte une vingtaine d’enregistrements d’une constance créative exceptionnelle au niveau des formes et de l’expression avec beaucoup de liberté et d’inspiration. Ce String Trio plus sax ténor fait entrer le souffle libre, échevelé et expressionniste d’Ivo Perelman dans l’univers construit et structuré du pianiste, un compositeur de l’instant d’une singulière complexité harmonique à la jonction de la musique classique contemporaine pour piano et de la pratique contemporaine du jazz hérité de ces pianistes atypiques que sont Herbie Nicols, Thelonious Monk, Mal Waldron, Lennie Tristano, Randy Weston, Jaki Byard et bien sûr, Cecil Taylor. Si Matthew Shipp construit obstinément une architecture multiforme à la fois tournoyante et segmentée par de virtuels escaliers eschériens qui divergent et convergent miraculeusement dans une déclinaison infinie d’ostinatos mouvants, de marches altières, d’harmonies secrètes, de pulsations décalées etc…, il laisse toute la liberté à ses trois acolytes de créer leurs contributions individuelles dans son univers. La contrebasse de Parker échange plusieurs rôles définis logiquement ou spontanément délibérés et disruptifs. La conjonction du souffle et des notes étirées de Perelman trouve un écho presque mimétique dans les phrasés microtonaux de Mat Maneri avec son (violon) alto dont il subdivise les intervalles de chaque octave en 72 microtons en adaptant les doigtés !! Il y a donc une dimension orchestrale à laquelle le contrebassiste, le saxophoniste et l’altiste insufflent une expressivité, une physicalité atavique de l’improvisation afro-américaine et l’exubérance du free-jazz. On y trouve un sens de la forme avec les contrepoints de William Parker et les pulsations boisées de la walking bass, les interférences striées et ondulatoires de l’archet étrange de Mat Maneri et le lyrisme « brésilien » si caractéristique d’Ivo Perelman au sax ténor, son sens mélodique, ses harmoniques curieusement chantantes et ses mordantes imprécations aylériennes. Leur entente est magnifiée dans cette séquence sans piano du n°3. Je ne pense pas que ces quatre musiciens aient pu concevoir et réaliser ce magnifique équilibre, ses rebondissements, les déchirements ou les dialogues intimes qui surviennent à ravir avec une science du dosage de tous leurs effets expressifs, s’ils n’avaient pas poursuivis intensément leurs expériences communes antérieures au fil de trois décennies. Bien plus qu’une curiosité dans leur discographie, Armageddon Flowers est un challenge musical vraiment réussi qui ouvre une toute autre dimension que si Perelman, Shipp et Parker avaient enregistré avec un de leurs batteurs favoris, formule instrumentale plus conventionnelle qui les inspire tout autant sans être aussi exigeante que cette configuration d'une densité aussi granitique qu'efflorescente dans un véritable jungle sonore qui marie un hiératisme polymorphe et un expressionnisme irrépressible.
Alex Ward/Dominic Lash /Emil Karlsen Intent Spoonhunt / Copepod COPELOAD 06
https://dominiclash.bandcamp.com/album/intent
https://alexward.bandcamp.com/album/intent
Co–production des labels Spoonhunt (Dominic Lash) et Copepod (Alex Ward). Intent a été enregistré le 24 septembre 2023 à Birmingham, un haut lieu de l’improvisation et du free jazz britannique. Ici, Alex Ward joue exclusivement de la clarinette et Dominic Lash uniquement de la contrebasse, instruments avec lesquels ils se sont fait connaître parmi les meilleurs improvisateurs de Grande-Bretagne alors qu'ils se positionnent comme guitaristes électriques de choc. Se joint à eux l’excellent batteur norvégien Ed Karlsen, établi en UK et coproducteur pour le légendaire label Bead Records (Est. 1974 !). Voilà une musique improvisée pointue, exigeante et qui couvre un large domaine de perspectives sonores, formelles et de multiples combinaisons d’interactions. Bien plus que de maîtriser un style ou une formule, c’est l’entièreté du spectre sonore et des nombreuses possibilités expressives de la clarinette que nous fait découvrir Alex Ward, un extraordinaire virtuose de l’instrument. Il en étire les notes dans d’extravagants glissandi, gloussements, rengorgements, aigus vertiginieux, avec une articulation démente et des spirales qui épousent tous les angles de vue dans des espaces multidimensionnels, sans parler des audacieux effets de souffle. Sa maîtrise de la composition musicale instantanée est exceptionnelle tout autant que son travail dans le jazz moderne. Pour rappel, il se commet dans un groupe de jazz « normal » le plus original qui soit, le Duck Baker Trio. Avec Dominic Lash, Alex a trouvé un compagnon de choix à la contrebasse qui s’intègre parfaitement dans ce trio avec une serein mais formidable assurance. Toutes ses interventions tombent toujours à point : elles sont calibrées, senties et inventées dans l’instant avec une remarquable maîtrise et un sens inné de l’intention juste avec un beau timbre, un sens du silence et de la respiration. Toujours à l’écoute, le « jeune » Emil Karlsen varie adroitement les effets percussifs, les suggestions de pulsations, une finesse dans l’interactivité qui enlumine les groupes auxquels il participe. Intent (29:25) sonne comme la parfaite intégration du jazz free intelligent et subtil dans l’expérience radicale de l’improvisation libre. In Tension (8:08) en est une belle conclusion. Exemplaire !
Pour rappel, ces trois musiciens ont travaillé avec Derek Bailey, Phil Wachsmann, Simon H Fell, Mark Sanders, John Butcher, Pat Thomas, Steve Noble…. En feuilletant mon blog , vous trouverez des chroniques de leurs albums précédents.
Imaginary String Quintet Phil Wachsmann Bruno Guastalla David Leahy Trevor Taylor Catherine Hope Jones. Wood Paper Paint Sound FMR.
L’Imaginary String Trio s’est formé il y une vingtaine d’années lors d’un concert à Oxford durant lequel le violoniste Philipp Wachsmann, le violoncelliste Bruno Guastalla et le contrebassiste Dominic Lash ont essayé de créer une improvisation en trio tellement réussie qu’ils se sont proposés de continuer sur cette voie. Ils enregistrèrent alors un album extrêmement réussi « Imaginary String Trio » (Bead CDO8SP : https://beadrecords.bandcamp.com/album/imaginary-trio-2) dont la pochette est décorée par une œuvre colorée de Catherine Hope Jones. J’ai souvent fait tourner ce compact durant mes soirées des années 2006-2010 : une merveille. Depuis lors, Philipp Wachsmann a enregistré un excellent duo avec le contrebassiste David Leahy : translated space (Bead Records CD BDSSP14 – FMRCD539-0519 avec œuvre de Catherine Hope Jones sur la pochette). Dominic Lash a transhumé à Bristol, puis Cambridge, et donc maintenant l’Imaginary String est devenu un Quintet avec Phil, Bruno, David Leahy et un ancien compagnon de route de Wachsmann, le percussionniste Trevor Taylor du label FMR. Les sons de la peintre Catherine Hope Jones s’ajoutent pour deux morceaux, Spruce et Willow. En fait, tous les titres des dix improvisations enregistrées ici portent les noms d’une variété de bois : Spruce, Maple, Willow, Poplar, Sycamore, Ebony, Rosewood, Pernambuco, Snakewood et Padauk, comme pour ne pas rappeler que les violons, violoncelles sont fait de bois "d'essences" rares, malgré les effets électroniques de Phil et de la percussion de Tevor. Si l’Imaginary Trio se focalisait essentiellement sur l’interrelation active et centripète improvisée des trois cordes et leurs archets comme un archétype ludique, cet Imaginary String Quintet étale ses ramifications dans l’espace, le silence, les bruissements … les formes se dissocient, l’énergie s’éparpille pour ensuite se ressaisir subitement d’un instant à l’autre. Des apartés intimes surgissent, des ambiances naissent élégiaques ou parfois tourmentées, improvisations du bout des doigts, pizzicatos délicats, effets d’harpe par la grâce de l’électronique du violoniste, col legno hyper discret en boucle… Il y a bien un duo contrebasse et percussions en roue libre, Ebony, pour un peu changer. Mais on entend tinter des timbres métalliques (cloche, crotale) en filant dans le champ auditif. Chacun des morceaux semble être la redéfinition de l'équilibre du Quintet, comme si on avait voulu oublier ce qui a été joué pour aborder un univers différent. Morceaux courts, morceaux longs (deux pièces font 12 minutes). Créer un paysage imaginaire, des agrégats sonores mystérieux, un moment d’indécision à l’écoute de ce qui adviendra peut-être, faire naître une respiration, un soupir, un silence (Rosewood). Voilà bien un album de musiques improvisées qui ne ressemble pas à quelque chose que l’on pense connaître ou reconnaître alors qu’il s’agit de découvrir.
https://labelauboisdormant.bandcamp.com/album/pr-sence
Duo percussions – Laurent Paris – et clarinette contrebasse / saxophone sopranino - Jean-Luc Petit -. Huit improvisations inspirées et remarquablement enregistrées dans l’Église St Martin de Bignac le 3 septembre 2024 s’échelonnent tout au long d’un échange fructueux. Le souffle de Jean-Luc Petit anime les sons graveleux à travers le bec et l’énorme tube usiné d’orifices, de clapets, tiges et clés. Ça bourdonne, chuinte, gémit, oscille dans l’espace et par-dessus les frappes précises et cliquetantes de Laurent Paris, un habile percussionniste volatile, méticuleux et particulièrement inventif. Il agite allègrement ses fines baguettes sur les rebords des tambours et des ustensiles en bois avec un superbe sens de la dynamique. Son jeu décline de subtiles nuances pour chacune de ses frappes articulées avec vivacité, légèreté …. Ça coule de source : poésie, variations infinies de touchers, rebonds, vibrations, frottements entre murmures et grincements jusqu’à ces superbes éparpillements de pulsations, une articulation éclatée des gestes qui évoque les Lovens et Turner. Jean-Luc Petit métamorphose le souffle en bulles d’air chargé de vapeurs sombres,grondements gravissimes, grumeaux de liquides huileux, vibrations gazeuses, grisailles vapotantes, frissons aériens de la clarinette contrebasse et les harmoniques extrêmes et zézeyantes du sopranino… Laurent Paris joue aussi à mains nues sur les peaux et on songe incidemment à la technique persane du zarb et on entend une cithare, l’archet frottant les cymbales... Voilà un percussionniste qui a compris beaucoup de choses et qui va jusqu’au bout de son potentiel. J’estimais déjà bien Jean-Luc Petit ; l’heureuse compagnie de Laurent Paris le pousse au meilleur. Et une fois arrivé au bout du chemin, Laurent s'éclate en secouant ses ustensiles à même le plancher par surprise. Un sens de la narration s’insinue dans les huit pièces de ce recueil captées d’un seul tenant : ouverture – relâchement – présence – révolution – mobilité – plasticité – tellurique – prémonitoire. C’est un album exquis, fascinant, un univers acoustique foncièrement subtil et sans manière plus qu’un dialogue. Une volière arborescente, un rêve éveillé.
J’avais réussi à écrire la meilleure chronique à propos de cette modeste merveille, mais le texte s’est envolé dans les limbes d’ICloud. J’ai été forcé à réécrire un autre texte et en réécoutant Présence, j’ai encore été ébahi par leur inspiration sans faille. Merveilleux.
FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN // MICHAEL GREGORY JACKSON LIVE! THE LADIES FORT NYC 1977
https://michaelgregoryjackson.bandcamp.com/album/frequency-equilibrium-koan
1. FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN (9:18) 2. HEART & CENTER (9:46) 3. CLARITY 3 (11:20) 4. A MEDITATION (9:09)
MICHAEL GREGORY JACKSON Electric Guitar, Acoustic Guitar Percussion Chimes, Bamboo Flutes & Compositions JULIUS HEMPHILL Alto Saxophone ABDUL WADUD Cello PHEEROAN AK LAFF Drums. MICHAEL GREGORY JACKSON Recording, Post-Production & Digital Editing PETE KEPPLER Mastering.
Au sommet de la vague du Loft Jazz New Yorkais des années 70, un grand nombre de musiciens improvisateurs afro-américains du Midwest et d’ailleurs se produisaient journellement dans une série de lieux consacrés au jazz d’avant-garde : Studio Rivbea, Studio We, Ladie’s Fort etc… rassemblant auditeurs et musiciens enthousiastes découvrant une nouvelle musique. À l’époque une série de 5 LP’s intitulés Wildflowers Sessions virent le jour en 1977, produites par Alan Douglas. Le guitariste Michael Gregory Jackson figure dans cette anthologie en compagnie du saxophoniste Oliver Lake, le bassiste Fred Hopkins et le batteur Paul Maddox a/k/a Pheeroan ak Laff. Ce quartet a enregistré le LP Holding Together et Julius Hemphill, l’album Raw Materials & Residuals avec le violoncelliste Abdul Wadud et le batteur Don Moye, musiciens devenus légendaires par la suite (LP's Black Saint 1976-1977). Ce concert enregistré en 1977 au Ladies’Fort rassemble deux des musiciens des deux groupes aux personnels interchangeables au fil des concerts programmés à NYC. Dès le morceau titre de l’album, Frequency Equilibrium Koan, on navigue à vue dans l’avant-garde faite de subits changements de décor, de timbres rares, de collages de sonorités expressives et d’éléments thématiques/ micro-structures juxtaposées alternativement par l’un ou l’autre instrument et s’emboîtant judicieusement avec un goût pour le contraste avec une évidente dimension visuelle et un impérative concision qui évoquerait les tableaux de Kandinsky ou de Klee. C’est une excellente réussite qui évoque un morceau risqué ou l’autre d’Ornette (cfr The London Concert) et de Marion Brown (cfr Porto Novo ou son duo avec Leo Smith). Le deuxième morceau vole littéralement dans une veine rythmique plus funky propulsant la sonorité chaleureuse de Julius Hemphill (Heart and Center). Le jeu dynamique du violoncelliste Abdul Wadud faisait alors sensation. Hemphill et Wadud avaient déjà beaucoup travaillé ensemble et produit un trésor de plaque : M’Bari, avec le batteur Philipp Wilson et le trompettiste Baïkida EJ Caroll. Le troisième morceau Clarity est un morceau free d’anthologie : on y entend le jeune Pheeroan ak Laff démarrer le morceau avec un drumming ultra éclaté proche de celui d’un Paul Lovens avec ses volées de micro-frappes dans tous les angles de ses tambours et cymbales. Michael G Jackson se révèle un innovateur free à la six cordes avec un jeu hyper mobile, précis, percutant tout en zig-zags et dérapages contrôlés, rejoint par les audaces du violoncelliste et les spirales d’Hemphill. C’est frais, audacieux, kinétique, enchaînant rebondissements et surprises, pas loin de l’improvisation totale. Meditation : un beau moment de poésie sonore en suspension avec le souffle délicat de Jackson avec une flûte de bambou. Du vrai free-jazz ouvert qui inventait alors de nouvelles formules.
Armageddon Flowers Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker Tao Forms CD
Il y a une trentaine d’années, le Matt Shipp String Trio a enregistré By the Law Of Music pour Hat Art en compagnie de ses fidèles compagnons l’altiste Mat Maneri et le contrebassiste William Parker avec qui il jouait dans le légendaire quartet du saxophoniste David S Ware. Avec cette musique de chambre avec cordes sans batterie ni cuivres, le pianiste montrait une autre facette de son travail de compositeur et d’improvisateur. Que le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman insère son souffle si caractéristique dans ce trio singulier n’est sûrement pas qu’un bon arrangement ou échange de politesses, ces quatre musiciens ont tissé des liens musicaux très approfondis voire vitaux. C’est en compagnie de William Parker, alors duettiste incontournable du pianiste, qu’Ivo Perelman a fait ses premiers pas dans la scène free-jazz de New York avec, entre autres, le batteur Rashied Ali et très vite, il a enregistré avec Shipp et Parker en trio (Terra Da Cama). Au fil des années, ces quatre musiciens ont accumulé enregistrements et concerts en duos, trios , quartets et avec d’autres improvisateurs proches de manière exponentielle. Le duo Perelman-Shipp à lui seul compte une vingtaine d’enregistrements d’une constance créative exceptionnelle au niveau des formes et de l’expression avec beaucoup de liberté et d’inspiration. Ce String Trio plus sax ténor fait entrer le souffle libre, échevelé et expressionniste d’Ivo Perelman dans l’univers construit et structuré du pianiste, un compositeur de l’instant d’une singulière complexité harmonique à la jonction de la musique classique contemporaine pour piano et de la pratique contemporaine du jazz hérité de ces pianistes atypiques que sont Herbie Nicols, Thelonious Monk, Mal Waldron, Lennie Tristano, Randy Weston, Jaki Byard et bien sûr, Cecil Taylor. Si Matthew Shipp construit obstinément une architecture multiforme à la fois tournoyante et segmentée par de virtuels escaliers eschériens qui divergent et convergent miraculeusement dans une déclinaison infinie d’ostinatos mouvants, de marches altières, d’harmonies secrètes, de pulsations décalées etc…, il laisse toute la liberté à ses trois acolytes de créer leurs contributions individuelles dans son univers. La contrebasse de Parker échange plusieurs rôles définis logiquement ou spontanément délibérés et disruptifs. La conjonction du souffle et des notes étirées de Perelman trouve un écho presque mimétique dans les phrasés microtonaux de Mat Maneri avec son (violon) alto dont il subdivise les intervalles de chaque octave en 72 microtons en adaptant les doigtés !! Il y a donc une dimension orchestrale à laquelle le contrebassiste, le saxophoniste et l’altiste insufflent une expressivité, une physicalité atavique de l’improvisation afro-américaine et l’exubérance du free-jazz. On y trouve un sens de la forme avec les contrepoints de William Parker et les pulsations boisées de la walking bass, les interférences striées et ondulatoires de l’archet étrange de Mat Maneri et le lyrisme « brésilien » si caractéristique d’Ivo Perelman au sax ténor, son sens mélodique, ses harmoniques curieusement chantantes et ses mordantes imprécations aylériennes. Leur entente est magnifiée dans cette séquence sans piano du n°3. Je ne pense pas que ces quatre musiciens aient pu concevoir et réaliser ce magnifique équilibre, ses rebondissements, les déchirements ou les dialogues intimes qui surviennent à ravir avec une science du dosage de tous leurs effets expressifs, s’ils n’avaient pas poursuivis intensément leurs expériences communes antérieures au fil de trois décennies. Bien plus qu’une curiosité dans leur discographie, Armageddon Flowers est un challenge musical vraiment réussi qui ouvre une toute autre dimension que si Perelman, Shipp et Parker avaient enregistré avec un de leurs batteurs favoris, formule instrumentale plus conventionnelle qui les inspire tout autant sans être aussi exigeante que cette configuration d'une densité aussi granitique qu'efflorescente dans un véritable jungle sonore qui marie un hiératisme polymorphe et un expressionnisme irrépressible.
Alex Ward/Dominic Lash /Emil Karlsen Intent Spoonhunt / Copepod COPELOAD 06
https://dominiclash.bandcamp.com/album/intent
https://alexward.bandcamp.com/album/intent
Co–production des labels Spoonhunt (Dominic Lash) et Copepod (Alex Ward). Intent a été enregistré le 24 septembre 2023 à Birmingham, un haut lieu de l’improvisation et du free jazz britannique. Ici, Alex Ward joue exclusivement de la clarinette et Dominic Lash uniquement de la contrebasse, instruments avec lesquels ils se sont fait connaître parmi les meilleurs improvisateurs de Grande-Bretagne alors qu'ils se positionnent comme guitaristes électriques de choc. Se joint à eux l’excellent batteur norvégien Ed Karlsen, établi en UK et coproducteur pour le légendaire label Bead Records (Est. 1974 !). Voilà une musique improvisée pointue, exigeante et qui couvre un large domaine de perspectives sonores, formelles et de multiples combinaisons d’interactions. Bien plus que de maîtriser un style ou une formule, c’est l’entièreté du spectre sonore et des nombreuses possibilités expressives de la clarinette que nous fait découvrir Alex Ward, un extraordinaire virtuose de l’instrument. Il en étire les notes dans d’extravagants glissandi, gloussements, rengorgements, aigus vertiginieux, avec une articulation démente et des spirales qui épousent tous les angles de vue dans des espaces multidimensionnels, sans parler des audacieux effets de souffle. Sa maîtrise de la composition musicale instantanée est exceptionnelle tout autant que son travail dans le jazz moderne. Pour rappel, il se commet dans un groupe de jazz « normal » le plus original qui soit, le Duck Baker Trio. Avec Dominic Lash, Alex a trouvé un compagnon de choix à la contrebasse qui s’intègre parfaitement dans ce trio avec une serein mais formidable assurance. Toutes ses interventions tombent toujours à point : elles sont calibrées, senties et inventées dans l’instant avec une remarquable maîtrise et un sens inné de l’intention juste avec un beau timbre, un sens du silence et de la respiration. Toujours à l’écoute, le « jeune » Emil Karlsen varie adroitement les effets percussifs, les suggestions de pulsations, une finesse dans l’interactivité qui enlumine les groupes auxquels il participe. Intent (29:25) sonne comme la parfaite intégration du jazz free intelligent et subtil dans l’expérience radicale de l’improvisation libre. In Tension (8:08) en est une belle conclusion. Exemplaire !
Pour rappel, ces trois musiciens ont travaillé avec Derek Bailey, Phil Wachsmann, Simon H Fell, Mark Sanders, John Butcher, Pat Thomas, Steve Noble…. En feuilletant mon blog , vous trouverez des chroniques de leurs albums précédents.
Imaginary String Quintet Phil Wachsmann Bruno Guastalla David Leahy Trevor Taylor Catherine Hope Jones. Wood Paper Paint Sound FMR.
L’Imaginary String Trio s’est formé il y une vingtaine d’années lors d’un concert à Oxford durant lequel le violoniste Philipp Wachsmann, le violoncelliste Bruno Guastalla et le contrebassiste Dominic Lash ont essayé de créer une improvisation en trio tellement réussie qu’ils se sont proposés de continuer sur cette voie. Ils enregistrèrent alors un album extrêmement réussi « Imaginary String Trio » (Bead CDO8SP : https://beadrecords.bandcamp.com/album/imaginary-trio-2) dont la pochette est décorée par une œuvre colorée de Catherine Hope Jones. J’ai souvent fait tourner ce compact durant mes soirées des années 2006-2010 : une merveille. Depuis lors, Philipp Wachsmann a enregistré un excellent duo avec le contrebassiste David Leahy : translated space (Bead Records CD BDSSP14 – FMRCD539-0519 avec œuvre de Catherine Hope Jones sur la pochette). Dominic Lash a transhumé à Bristol, puis Cambridge, et donc maintenant l’Imaginary String est devenu un Quintet avec Phil, Bruno, David Leahy et un ancien compagnon de route de Wachsmann, le percussionniste Trevor Taylor du label FMR. Les sons de la peintre Catherine Hope Jones s’ajoutent pour deux morceaux, Spruce et Willow. En fait, tous les titres des dix improvisations enregistrées ici portent les noms d’une variété de bois : Spruce, Maple, Willow, Poplar, Sycamore, Ebony, Rosewood, Pernambuco, Snakewood et Padauk, comme pour ne pas rappeler que les violons, violoncelles sont fait de bois "d'essences" rares, malgré les effets électroniques de Phil et de la percussion de Tevor. Si l’Imaginary Trio se focalisait essentiellement sur l’interrelation active et centripète improvisée des trois cordes et leurs archets comme un archétype ludique, cet Imaginary String Quintet étale ses ramifications dans l’espace, le silence, les bruissements … les formes se dissocient, l’énergie s’éparpille pour ensuite se ressaisir subitement d’un instant à l’autre. Des apartés intimes surgissent, des ambiances naissent élégiaques ou parfois tourmentées, improvisations du bout des doigts, pizzicatos délicats, effets d’harpe par la grâce de l’électronique du violoniste, col legno hyper discret en boucle… Il y a bien un duo contrebasse et percussions en roue libre, Ebony, pour un peu changer. Mais on entend tinter des timbres métalliques (cloche, crotale) en filant dans le champ auditif. Chacun des morceaux semble être la redéfinition de l'équilibre du Quintet, comme si on avait voulu oublier ce qui a été joué pour aborder un univers différent. Morceaux courts, morceaux longs (deux pièces font 12 minutes). Créer un paysage imaginaire, des agrégats sonores mystérieux, un moment d’indécision à l’écoute de ce qui adviendra peut-être, faire naître une respiration, un soupir, un silence (Rosewood). Voilà bien un album de musiques improvisées qui ne ressemble pas à quelque chose que l’on pense connaître ou reconnaître alors qu’il s’agit de découvrir.
17 mars 2025
Marta Warelis Florian Stoffner Rudi Fischerlehner/ Adam Bohman / Norbert Stein Pata Kandinsky/ The Chemical Expansion League/ Matthias Müller Witold Oleszak Peter Orins Paulina Owczarek
Marta Warelis Florian Stoffner Rudi Fischerlehner Spontaneous Live Series vol. 014
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-014
Piano – guitare – percussion : une combinaison instrumentale difficile et complexe à mettre en valeur en raison des interférences inévitables entre les intervalles spécifiques des doigtés du piano et de la guitare et les harmonies sous-jacentes. Cherchez bien dans la discographie de Derek Bailey s’il y a un seul pianiste (mis à part l’unique concert en duo avec Cecil Taylor publié par FMP en 1989) ou inversément quel pianiste a-t-il jamais enregistré en duo avec Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Misha Mengelberg, Howard Riley ou Veryan Weston. C’est vraiment une affaire compliquée. Mais la pianiste polonaise Marta Warelis et le guitariste suisse Florian Stoffner se sont risqués haut la main à cet exercice en compagnie du batteur autrichien Rudi Fischerlehner. Et c’est une belle réussite. Les trois musiciens utilisent plusieurs options interactives pour imbriquer leur jeu en variant les occurrences des pulsations, répétitions, cadences télégraphiques, sursauts, pointillés, frappes en y interjetant des sonorités électriques déphasées, scintillements et piquetage des cordes du piano etc… Au fil des minutes des trois improvisations (9 :06 / 15 :34 / 9 :53), la musique devient hypnotique, électrique ou irréelle. Le degré d’empathie incisive et d’énergie nerveuse est phénoménal : l’intensité sauvage n’a d’égale que l’ extrême précision sur la crête des secousses rythmiques et dans les interstices qui se font jour entre les ponctuations, vifs accents, coups secs et déflagrations pointilleuses de chacun à la nano-seconde près. Hallucinant ! La furia magnifique du trio sublime le niveau élevé de chacun des trois improvisateurs les propulsant dans un état de transe rarement atteint. Une extrême qualité d’invention collective qui se situe bien au-delà et au-dessus de « musicianship » individuel. À suivre ! La jeune Marta Warelis a enregistré avec Carlos Zingaro, Frank Rosaly, Wilbert De Joode, Ken Vandermark, Toma Gouband ; Florian Stoffner s'est distingué avec Paul Lovens, Rudi Mahall, John Butcher et Zingaro; Rudi Fischerlehner a enregistré avec Zsolt Sörès, Olaf Rupp, Matthias Bauer, Matthias Müller. La musique jouée ici n’est rendue possible que par la magie de l’improvisation libre et collective où chacun est responsable où la notion de « solo » s’est évaporée pour une démentielle imbrication organique de tous les sons joués à tout berzingue. La folie pure.
P.S. Spontaneous Live Series a publié un album digital Meinfreund Der Baum de Florian Stoffner, Rudi Mahall et Paul Lovens : Spontaneous Live Series D02 / Live at the Spontaneous Music Festival 2018.
Adam Bohman Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects KRIM KRaM KK-18
https://krimkram.bandcamp.com/album/text-pieces-compositions-for-prepared-strings-and-objects
Sans doute un sommet de l’œuvre d’Adam Bohman. À lui tout seul, Board Meetings Blackberries And Bladderacks est une pièce d’anthologie de simultanéité bruitiste : grattages, frottements, scintillements, grincements résonnants effectués sur le bric-à-brac d’objets amplifiés et disposés- collés sur la table de l’instrumentiste. Le texte qui suit est un énoncé loufoque, bien enregistré d’un texte – menu de restaurant dit avec une expressivité insistante et hésitante à la fois (Cherry Roma – Jooper Heul – Washirv. La troisième pièce, Philhamonic Bottle Squirmings est encore un témoignage sévère et convaincant de ses Prepared Strings particulièrement sadique et torturé : on finit par y déceler des inflexions vocales. Les deux pièces « instrumentales » durent six ou sept minutes. Un duo parlé avec son camarade Adrian Northover, lecture abracadabrante d’un texte cut-up : Octopax Trixwall – Jc Phedre Variations. Les mots défilent, se télescopent, s’additionnent ou font écho avec un brin de multi-tracking. C’est incompréhensible si vous n’êtes pas un locuteur natif et allumé. Ensuite, Warm Strawberry Infusion Trappings se révèle comme une variante réussie des Philharmonic Bottle Squirmings précédents avec ses frottements maniaques de cordes pressées multilatéraux. On retrouve un peu plus loin la voix de Northover en 8 et avec celle de Sue Lynch en 10. La diction insiste sur chaque syllabe accent et chaque mot sans que filtre la moindre émotion. J’ai un faible pour ses compositions de Prepared Strings. Préparées signifie que les cordes métalliques tendues sur des objets et des boîtes résonnantes lesquelles sont pincées par des pinces à linge en bois, alors que des cartes de crédit, des tiges ou des feuilles de métal sont insérées dans le réseau de cordes tendues. Adam frotte avec deux archets, ou d’autres artifices, autant les cordes, que les boîtes plastiques, les pinces à linge, les cartes de crédit brisées, les verres de vin ou à bière, canettes, ampoules d’éclairages la frigolite. Au fil des morceaux, les pièces « instrumentales » des Prepared Strings and Objects s’animent de leur vie indépendante autonome comme une machinerie illusoire (Coffee Worm Cello Junction ou Confederation For Handkerchiefs and Oil Rigs). Roy – Or Bison Text Piece avec Adrian et Sue couronne cet album vraiment pas comme les autres où il est question éventuellement du Canada de Bison avec un chœur chahuté et Adam qui grogne-chante … Pour votre info : Adam : voice, Three and Four homemade String Instruments, Small Two Strings Instruments, Objects including Metal, Glass, Wood, Knitting Needles Tiles, Polystyrene, Tin Cans, Combs, Light Bulbs, Screwthreads, Etc… Enregistré en Juillet et Août 2023 par Adrian Northover.
Magistralement farfelu, expressif etc... Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects is actually Ze Best of Bohman !!
Norbert Stein Pata Kandinsky PATA Music 26 CD
-Suite en Six Mouvements pour 12 Musiciens composée par Norbert Stein.
https://www.patamusic-shop.de/en/p/pata-26-norbert-stein-pata-kandinsky-pata-26
Le compositeur saxophoniste et chef d’orchestre Norbert Stein est une personnalité incontournable du jazz d’avant-garde créatif de Cologne et d’Allemagne. Bien sûr, j’ai entrevu son nom et l’existence de ses nombreuses réalisations depuis de longues années, sans les avoir jamais écoutées, me concentrant nettement plus sur l’improvisation libre radicale, tout en étant un amateur de jazz et d’autres musiques. Mais jouent dans ce remarquable orchestre de Cologne quelques improvisateurs que j’apprécie beaucoup et dont je chronique les albums tant que faire se peut, comme le saxophoniste Georg Wissel, l’électronicien Joker Nies, le pianiste Uwe Oberg et le batteur Jörg Fischer. Un album évoquant le peintre russe Wassili Kandinsky, un créateur initiateur de la peinture abstraite sur son versant géométrique et coloré. Ça me fait penser que Kandinsky a été influencé par la peintre Sonia Delaunay (d’origine ukrainienne) dont le fils Charles fut une personnalité visionnaire de l’univers du jazz comme critique, producteur (disques Swing et Vogue) et agent d’artistes parmi les géants du jazz. Les tableaux de Kandinsky ont aussi servi de point de repère aux compositions d’Anthony Braxton, on en voit même sur les pochettes de ses disques. L’orchestre de PATA Kandinsky est en tout point remarquable mêlant compositions cubistes, solos véhéments et dérapages sonores – bruitistes contrôlés avec subitement une envolée furieuse genre Ascension. Une belle équipe soudée : outre Wissel au sax alto et à la clarinette, Nies, Oberg au piano et Fischer à la batterie, susmentionnés, on trouve le leader Norbert Stein au sax ténor, Michael Heupel aux flûtes, Nicolao Valiensi à l’euphonium, Annette Maye et Rainer Weber à la clarinette et à la clarinette basse, Andreas Wagner aux sax alto et soprano et aux clarinettes, Pacho Davilla au sax ténor, Florian Herzog à la contrebasse. Total de 50 :17 qui commence par des sons épars enchaînant sur une composition qui imbrique intro dodécaphonique, masses sonores et thème modal évolutif remarquablement structuré , le tout navigant adroitement entre puissance expressive, voicings intéressants et légèreté, un brin de pointillisme et de belles nuances. Incorporer d’un seul élan une telle variété d’éléments en l’espace de 10 minutes avec deux ou trois espaces libres pour une individualité (Joker Nies !) de manière que tout semble couler de source, c’est super (Seven Brushstrokes Dark and Light Steps ! Je vous dis : la classe ! D’un point de vue Kandinskien, je me serais attendu à autre chose, mais la musique vaut le détour. Il suffit d’entendre la clarinette de Point And Line To Plane (9 :38) évoluer subtilement par-dessus le drumming ouvert et aéré de Jörg Fischer et la distinction de la contrebasse de Herzog avec le concours adroit et diaphane des souffleurs se partageant en sections ondoyantes, clarinette suivie par un flûtiste inspiré tendance musique contemporaine pour savourer la musique de Norbert Stein, laquelle sollicite aussi de ci- de là , de brefs passages de recherches sonores improvisées. Cette deuxième composition rse clôture avec le thème modal des cuivres de la première composition. On peut donc parcourir cet album sans s’ennuyer un instant en goûtant une belle musicalité mise en valeur par de superbes idées et un travail instrumental coloré de grande qualité. Voilà un magnifique travail qui fait de Norbert Stein un compositeur de jazz contemporain d’envergure. Félicitations !
The Chemical Expansion League Salute to The Rabid Raspberry Adam Bohman, Sue Lynch, Adrian Northover, Ulf Mengersen. Creative Sources CS836CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/salute-to-the-rabid-raspberry
Deuxième CD de ce groupe improbable, The Chemical Expansion League. Le poète « surréaliste », spécialiste des collages de fragments d’articles de journaux et de titres à coucher dehors, Adam Bohman, est un improvisateur d’objets hétéroclites littéralement collés-sur-table et amplifiés sommairement frottés ou titillés au moyen d’archets, de tiges, brosses à dent, cartes à jouer ou de crédit, avec ressorts – résonateurs. On y trouve des verres à vin ou à bière, des cordes tendues sur l’arête de boites métalliques, en bois ou en plastique, un moule à cake, des peignes, etc… simultanément ou alternativement il récite avec maniaquerie et aplomb ses textes sibyllins et détraqués imperturbablement comme un conférencier de fortune qui a fait fuir son public. Mais rassurez-vous, même si on l’entend rarement avec des improvisateurs notoires, ses apparitions et ses performances attirent un public à la fois bon enfant et enthousiaste, surtout dans toute la Grande Bretagne où il personnifie au plus haut point l’excentricité britannique. Sous cette apparence délirante avec sa diction improbable et innocemment narquoise se cache un critique incisif de notre monde contemporain du profit, de la bureaucratie et du mépris des gens. Il joue souvent avec deux saxophonistes, ses deux acolytes du Horse Improvised Club, Sue Lynch et Adrian Northover. Ces trois-là jouent souvent ensemble et s’adjoignent le contrebassiste Ulf Mengersen. Adam est aussi l’auteur des collages qui illustrent leurs pochettes de CD’s ou d’albums (comme celui-ci). Jetez- un coup d’œil à l’intérieur de la pochette à rabats vous aurez droit à un dessin d’anthologie réalisé aux markers colorés d’un affreux personnage de cartoon rose foncé avec mâchoire en dents de scie, regard foudroyant et long pif proéminent, influence indéniable du peintre André Delvaux. Avec des titres tels que Armed Rhubarb Rhumba, Salute to the Rabid Raspberry, Zeroton Police, Salt Mine Salutation, Armchair Sobbing etc… on en a pour ses pennies. La musique titube, gratte, grésille, bruite, frictionne, … La contrebasse et l’archet volage d’Ulf Mengersen concurrence le bruitisme Bohmanien lorsque la flûte de Sue Lynch pépie par-dessus. Quand il ne souffle pas harmoniques et faussoyements incisifs, Adrian Northover intervient à bon escient avec une autoharp ou son Wasp Synthesizer. Les ambiances sonores changent de registre autant que les nuages d’Outre-Manche par-dessus la Tamise et on réalise qu’il s’agit d’improvisateurs expérimentés qui se prêtent à un salutaire exercice poétique décapant autant que leur art d’intégrer leurs interventions – réactions est consommé et illustre bien cet état d’esprit d’écoute mutuelle particulier de l’improvisation collective British.
Matthias Müller Witold Oleszak Peter Orins Paulina Owczarek Spontaneous Live Series 010 Live at the 5th Spontaneous Music Festival 02-10.21
https://matthiasmueller.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010
Cette Spontaneous Live Series publie régulièrement d’excellents moments collaboratifs triés sur le volet entre différentes – différents improvisatrices/ teurs invités au Spontaneous Music Festival au Club Dragon à Poznan. Certains d’entre eux ont enfin l’occasion de se joindre à des collègues avec qui ils n’ont jamais joués auparavant. Avec pas mal de retard voici un intéressant enregistrement daté du 2 octobre 2021. Désolé pour le retard, il m’est impossible de suivre toutes les sorties à la file, même quand c’est aussi remarquable que cette excellente rencontre. En son temps, j’ai chroniqué plusieurs albums du pianiste Witold Oleszak en duo avec Roger Turner et dans un autre duo avec la saxophoniste ténor Paulina Owczarek, mono no aware / Free Form Association. Tous deux sont Polonais, alors que le tromboniste Matthias Müller vient d’Allemagne et sa musique a fait aussi l’objet de chroniques de ma part, comme son récent duo avec le guitariste Andreas Willers pour le label Trouble in the East. Enfin, je suis fort heureux de découvrir le percussionniste Français Peter Orins qui s’intègre parfaitement dans ce remarquable quartet. On s’éloigne ici de la free-music musclée pour laquelle cette instrumentation sax – trombone – piano – percussions coule de source. Les quatre improvisateurs/trice jouent tout à l’opposé même s’il y a quelques embardées comme dans cette véloce séquence du deuxième et dernier morceau largement applaudi par un public enthousiaste. Mais avant d’atteindre cet apex crucial, ils s’appliquent à improviser de manière introspective, chacun veillant à s’insérer au travers des et dans les interventions pointillistes des autres de manière équilibrée et paradoxalement instable. Attentes, actions, menus bruitages, notes perlées, effets de souffle, cliquetis artistement articulés (Orins), sifflements métalliques, agrégats de timbres, soudaines réponses du tac-au tac, brefs silences, chocs coordonnés. Ils cultivent un remarquable panorama de possibilités sonores, de connivences interactives, de correspondances subtiles au point de créer une véritable entité de groupe, plongé dans l’écoute mutuelle, arpentage millimétré d’artifices soniques qui s’imbriquent organiquement. Ce genre de choses musicales qui ne peut être réalisées autrement qu’en improvisant librement. Chapeau, c’est tout à fait remarquable, il faut les saluer.
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-014
Piano – guitare – percussion : une combinaison instrumentale difficile et complexe à mettre en valeur en raison des interférences inévitables entre les intervalles spécifiques des doigtés du piano et de la guitare et les harmonies sous-jacentes. Cherchez bien dans la discographie de Derek Bailey s’il y a un seul pianiste (mis à part l’unique concert en duo avec Cecil Taylor publié par FMP en 1989) ou inversément quel pianiste a-t-il jamais enregistré en duo avec Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Misha Mengelberg, Howard Riley ou Veryan Weston. C’est vraiment une affaire compliquée. Mais la pianiste polonaise Marta Warelis et le guitariste suisse Florian Stoffner se sont risqués haut la main à cet exercice en compagnie du batteur autrichien Rudi Fischerlehner. Et c’est une belle réussite. Les trois musiciens utilisent plusieurs options interactives pour imbriquer leur jeu en variant les occurrences des pulsations, répétitions, cadences télégraphiques, sursauts, pointillés, frappes en y interjetant des sonorités électriques déphasées, scintillements et piquetage des cordes du piano etc… Au fil des minutes des trois improvisations (9 :06 / 15 :34 / 9 :53), la musique devient hypnotique, électrique ou irréelle. Le degré d’empathie incisive et d’énergie nerveuse est phénoménal : l’intensité sauvage n’a d’égale que l’ extrême précision sur la crête des secousses rythmiques et dans les interstices qui se font jour entre les ponctuations, vifs accents, coups secs et déflagrations pointilleuses de chacun à la nano-seconde près. Hallucinant ! La furia magnifique du trio sublime le niveau élevé de chacun des trois improvisateurs les propulsant dans un état de transe rarement atteint. Une extrême qualité d’invention collective qui se situe bien au-delà et au-dessus de « musicianship » individuel. À suivre ! La jeune Marta Warelis a enregistré avec Carlos Zingaro, Frank Rosaly, Wilbert De Joode, Ken Vandermark, Toma Gouband ; Florian Stoffner s'est distingué avec Paul Lovens, Rudi Mahall, John Butcher et Zingaro; Rudi Fischerlehner a enregistré avec Zsolt Sörès, Olaf Rupp, Matthias Bauer, Matthias Müller. La musique jouée ici n’est rendue possible que par la magie de l’improvisation libre et collective où chacun est responsable où la notion de « solo » s’est évaporée pour une démentielle imbrication organique de tous les sons joués à tout berzingue. La folie pure.
P.S. Spontaneous Live Series a publié un album digital Meinfreund Der Baum de Florian Stoffner, Rudi Mahall et Paul Lovens : Spontaneous Live Series D02 / Live at the Spontaneous Music Festival 2018.
Adam Bohman Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects KRIM KRaM KK-18
https://krimkram.bandcamp.com/album/text-pieces-compositions-for-prepared-strings-and-objects
Sans doute un sommet de l’œuvre d’Adam Bohman. À lui tout seul, Board Meetings Blackberries And Bladderacks est une pièce d’anthologie de simultanéité bruitiste : grattages, frottements, scintillements, grincements résonnants effectués sur le bric-à-brac d’objets amplifiés et disposés- collés sur la table de l’instrumentiste. Le texte qui suit est un énoncé loufoque, bien enregistré d’un texte – menu de restaurant dit avec une expressivité insistante et hésitante à la fois (Cherry Roma – Jooper Heul – Washirv. La troisième pièce, Philhamonic Bottle Squirmings est encore un témoignage sévère et convaincant de ses Prepared Strings particulièrement sadique et torturé : on finit par y déceler des inflexions vocales. Les deux pièces « instrumentales » durent six ou sept minutes. Un duo parlé avec son camarade Adrian Northover, lecture abracadabrante d’un texte cut-up : Octopax Trixwall – Jc Phedre Variations. Les mots défilent, se télescopent, s’additionnent ou font écho avec un brin de multi-tracking. C’est incompréhensible si vous n’êtes pas un locuteur natif et allumé. Ensuite, Warm Strawberry Infusion Trappings se révèle comme une variante réussie des Philharmonic Bottle Squirmings précédents avec ses frottements maniaques de cordes pressées multilatéraux. On retrouve un peu plus loin la voix de Northover en 8 et avec celle de Sue Lynch en 10. La diction insiste sur chaque syllabe accent et chaque mot sans que filtre la moindre émotion. J’ai un faible pour ses compositions de Prepared Strings. Préparées signifie que les cordes métalliques tendues sur des objets et des boîtes résonnantes lesquelles sont pincées par des pinces à linge en bois, alors que des cartes de crédit, des tiges ou des feuilles de métal sont insérées dans le réseau de cordes tendues. Adam frotte avec deux archets, ou d’autres artifices, autant les cordes, que les boîtes plastiques, les pinces à linge, les cartes de crédit brisées, les verres de vin ou à bière, canettes, ampoules d’éclairages la frigolite. Au fil des morceaux, les pièces « instrumentales » des Prepared Strings and Objects s’animent de leur vie indépendante autonome comme une machinerie illusoire (Coffee Worm Cello Junction ou Confederation For Handkerchiefs and Oil Rigs). Roy – Or Bison Text Piece avec Adrian et Sue couronne cet album vraiment pas comme les autres où il est question éventuellement du Canada de Bison avec un chœur chahuté et Adam qui grogne-chante … Pour votre info : Adam : voice, Three and Four homemade String Instruments, Small Two Strings Instruments, Objects including Metal, Glass, Wood, Knitting Needles Tiles, Polystyrene, Tin Cans, Combs, Light Bulbs, Screwthreads, Etc… Enregistré en Juillet et Août 2023 par Adrian Northover.
Magistralement farfelu, expressif etc... Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects is actually Ze Best of Bohman !!
Norbert Stein Pata Kandinsky PATA Music 26 CD
-Suite en Six Mouvements pour 12 Musiciens composée par Norbert Stein.
https://www.patamusic-shop.de/en/p/pata-26-norbert-stein-pata-kandinsky-pata-26
Le compositeur saxophoniste et chef d’orchestre Norbert Stein est une personnalité incontournable du jazz d’avant-garde créatif de Cologne et d’Allemagne. Bien sûr, j’ai entrevu son nom et l’existence de ses nombreuses réalisations depuis de longues années, sans les avoir jamais écoutées, me concentrant nettement plus sur l’improvisation libre radicale, tout en étant un amateur de jazz et d’autres musiques. Mais jouent dans ce remarquable orchestre de Cologne quelques improvisateurs que j’apprécie beaucoup et dont je chronique les albums tant que faire se peut, comme le saxophoniste Georg Wissel, l’électronicien Joker Nies, le pianiste Uwe Oberg et le batteur Jörg Fischer. Un album évoquant le peintre russe Wassili Kandinsky, un créateur initiateur de la peinture abstraite sur son versant géométrique et coloré. Ça me fait penser que Kandinsky a été influencé par la peintre Sonia Delaunay (d’origine ukrainienne) dont le fils Charles fut une personnalité visionnaire de l’univers du jazz comme critique, producteur (disques Swing et Vogue) et agent d’artistes parmi les géants du jazz. Les tableaux de Kandinsky ont aussi servi de point de repère aux compositions d’Anthony Braxton, on en voit même sur les pochettes de ses disques. L’orchestre de PATA Kandinsky est en tout point remarquable mêlant compositions cubistes, solos véhéments et dérapages sonores – bruitistes contrôlés avec subitement une envolée furieuse genre Ascension. Une belle équipe soudée : outre Wissel au sax alto et à la clarinette, Nies, Oberg au piano et Fischer à la batterie, susmentionnés, on trouve le leader Norbert Stein au sax ténor, Michael Heupel aux flûtes, Nicolao Valiensi à l’euphonium, Annette Maye et Rainer Weber à la clarinette et à la clarinette basse, Andreas Wagner aux sax alto et soprano et aux clarinettes, Pacho Davilla au sax ténor, Florian Herzog à la contrebasse. Total de 50 :17 qui commence par des sons épars enchaînant sur une composition qui imbrique intro dodécaphonique, masses sonores et thème modal évolutif remarquablement structuré , le tout navigant adroitement entre puissance expressive, voicings intéressants et légèreté, un brin de pointillisme et de belles nuances. Incorporer d’un seul élan une telle variété d’éléments en l’espace de 10 minutes avec deux ou trois espaces libres pour une individualité (Joker Nies !) de manière que tout semble couler de source, c’est super (Seven Brushstrokes Dark and Light Steps ! Je vous dis : la classe ! D’un point de vue Kandinskien, je me serais attendu à autre chose, mais la musique vaut le détour. Il suffit d’entendre la clarinette de Point And Line To Plane (9 :38) évoluer subtilement par-dessus le drumming ouvert et aéré de Jörg Fischer et la distinction de la contrebasse de Herzog avec le concours adroit et diaphane des souffleurs se partageant en sections ondoyantes, clarinette suivie par un flûtiste inspiré tendance musique contemporaine pour savourer la musique de Norbert Stein, laquelle sollicite aussi de ci- de là , de brefs passages de recherches sonores improvisées. Cette deuxième composition rse clôture avec le thème modal des cuivres de la première composition. On peut donc parcourir cet album sans s’ennuyer un instant en goûtant une belle musicalité mise en valeur par de superbes idées et un travail instrumental coloré de grande qualité. Voilà un magnifique travail qui fait de Norbert Stein un compositeur de jazz contemporain d’envergure. Félicitations !
The Chemical Expansion League Salute to The Rabid Raspberry Adam Bohman, Sue Lynch, Adrian Northover, Ulf Mengersen. Creative Sources CS836CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/salute-to-the-rabid-raspberry
Deuxième CD de ce groupe improbable, The Chemical Expansion League. Le poète « surréaliste », spécialiste des collages de fragments d’articles de journaux et de titres à coucher dehors, Adam Bohman, est un improvisateur d’objets hétéroclites littéralement collés-sur-table et amplifiés sommairement frottés ou titillés au moyen d’archets, de tiges, brosses à dent, cartes à jouer ou de crédit, avec ressorts – résonateurs. On y trouve des verres à vin ou à bière, des cordes tendues sur l’arête de boites métalliques, en bois ou en plastique, un moule à cake, des peignes, etc… simultanément ou alternativement il récite avec maniaquerie et aplomb ses textes sibyllins et détraqués imperturbablement comme un conférencier de fortune qui a fait fuir son public. Mais rassurez-vous, même si on l’entend rarement avec des improvisateurs notoires, ses apparitions et ses performances attirent un public à la fois bon enfant et enthousiaste, surtout dans toute la Grande Bretagne où il personnifie au plus haut point l’excentricité britannique. Sous cette apparence délirante avec sa diction improbable et innocemment narquoise se cache un critique incisif de notre monde contemporain du profit, de la bureaucratie et du mépris des gens. Il joue souvent avec deux saxophonistes, ses deux acolytes du Horse Improvised Club, Sue Lynch et Adrian Northover. Ces trois-là jouent souvent ensemble et s’adjoignent le contrebassiste Ulf Mengersen. Adam est aussi l’auteur des collages qui illustrent leurs pochettes de CD’s ou d’albums (comme celui-ci). Jetez- un coup d’œil à l’intérieur de la pochette à rabats vous aurez droit à un dessin d’anthologie réalisé aux markers colorés d’un affreux personnage de cartoon rose foncé avec mâchoire en dents de scie, regard foudroyant et long pif proéminent, influence indéniable du peintre André Delvaux. Avec des titres tels que Armed Rhubarb Rhumba, Salute to the Rabid Raspberry, Zeroton Police, Salt Mine Salutation, Armchair Sobbing etc… on en a pour ses pennies. La musique titube, gratte, grésille, bruite, frictionne, … La contrebasse et l’archet volage d’Ulf Mengersen concurrence le bruitisme Bohmanien lorsque la flûte de Sue Lynch pépie par-dessus. Quand il ne souffle pas harmoniques et faussoyements incisifs, Adrian Northover intervient à bon escient avec une autoharp ou son Wasp Synthesizer. Les ambiances sonores changent de registre autant que les nuages d’Outre-Manche par-dessus la Tamise et on réalise qu’il s’agit d’improvisateurs expérimentés qui se prêtent à un salutaire exercice poétique décapant autant que leur art d’intégrer leurs interventions – réactions est consommé et illustre bien cet état d’esprit d’écoute mutuelle particulier de l’improvisation collective British.
Matthias Müller Witold Oleszak Peter Orins Paulina Owczarek Spontaneous Live Series 010 Live at the 5th Spontaneous Music Festival 02-10.21
https://matthiasmueller.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010
Cette Spontaneous Live Series publie régulièrement d’excellents moments collaboratifs triés sur le volet entre différentes – différents improvisatrices/ teurs invités au Spontaneous Music Festival au Club Dragon à Poznan. Certains d’entre eux ont enfin l’occasion de se joindre à des collègues avec qui ils n’ont jamais joués auparavant. Avec pas mal de retard voici un intéressant enregistrement daté du 2 octobre 2021. Désolé pour le retard, il m’est impossible de suivre toutes les sorties à la file, même quand c’est aussi remarquable que cette excellente rencontre. En son temps, j’ai chroniqué plusieurs albums du pianiste Witold Oleszak en duo avec Roger Turner et dans un autre duo avec la saxophoniste ténor Paulina Owczarek, mono no aware / Free Form Association. Tous deux sont Polonais, alors que le tromboniste Matthias Müller vient d’Allemagne et sa musique a fait aussi l’objet de chroniques de ma part, comme son récent duo avec le guitariste Andreas Willers pour le label Trouble in the East. Enfin, je suis fort heureux de découvrir le percussionniste Français Peter Orins qui s’intègre parfaitement dans ce remarquable quartet. On s’éloigne ici de la free-music musclée pour laquelle cette instrumentation sax – trombone – piano – percussions coule de source. Les quatre improvisateurs/trice jouent tout à l’opposé même s’il y a quelques embardées comme dans cette véloce séquence du deuxième et dernier morceau largement applaudi par un public enthousiaste. Mais avant d’atteindre cet apex crucial, ils s’appliquent à improviser de manière introspective, chacun veillant à s’insérer au travers des et dans les interventions pointillistes des autres de manière équilibrée et paradoxalement instable. Attentes, actions, menus bruitages, notes perlées, effets de souffle, cliquetis artistement articulés (Orins), sifflements métalliques, agrégats de timbres, soudaines réponses du tac-au tac, brefs silences, chocs coordonnés. Ils cultivent un remarquable panorama de possibilités sonores, de connivences interactives, de correspondances subtiles au point de créer une véritable entité de groupe, plongé dans l’écoute mutuelle, arpentage millimétré d’artifices soniques qui s’imbriquent organiquement. Ce genre de choses musicales qui ne peut être réalisées autrement qu’en improvisant librement. Chapeau, c’est tout à fait remarquable, il faut les saluer.
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