Steve Lacy Three Live Lugano 1984 First Visit avec Jean-Jacques Avenel et Barry Wedgle ezz-thetics 110
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/live-lugano-1984-first-visit
La série First Visit d’ezz-thetics(ex Hat Art – hatology) nous fait découvrir de précieux inédits (Cecil Taylor) ou des rééditions incontournables (Albert Ayler). Au rayon des inédits, ce nouvel album de Steve Lacy Three enregistré en 1984 à Lugano, tranche tout à fait dans la production habituelle du saxophoniste disparu, grand-maître du sax soprano s’il en fût un. Le travail d’édition principal de Lacy s’est concentré d’une part sur ses Quintets et Sextets entre autres avec Steve Potts, Irene Aebi, Oliver Johnson, Bobby Few, Kent Carter et puis Jean-Jacques Avenel qu’on retrouve dans ce S.L. Three et bien sûr ses albums solos. D’autre part il y eut une ribambelle de rencontres en duo avec Derek Bailey, Kent Carter, Andrea Centazzo, Evan Parker, Mal Waldron, Maarten Altena, Masa Kwaté, Michael Smith ou des trios librement improvisés ou interprétant / improvisant sur ses magnifiques nombreuses compositions. Ce Steve Lacy Three est lui tout à fait spécial dans son œuvre par son instrumentation avec le guitariste Barry Wedgle et JJ Avenel et pas moins de 6 de ses compositions inconnues ou quasi pas enregistrées outre Flakes et Clichés qui ont fait l’objet de plusieurs enregistrements. L’intérêt pour l’auditeur « habitué » de la musique de Lacy et aussi pour ceux qui connaissent son œuvre partiellement par rapport à sa musique en Quintet et Sextet réside dans le fait que Steve en est le principal soliste et qu’il s’oblige à improviser longuement sur les huit compositions sur de longues durées de plus de 6 , 7, 8, 9 et 16 minutes pour un total de 73’20’’, sans jamais lasser, toujours consistant, ultra précis, lyrique lunaire, dynamique. Spirales, ellipses, articulation complexe d’hiéroglyphes magiques, chaque note ayant sa forme propre, sa densité, son intensité, sa dynamique, son pouvoir de suggestion déployant de nouveaux sortilèges au fil de chaque improvisation. Comme il n’y a pas de batteur l’intensité rythmique est partagée entre les saccades, staccatos et imprécations du souffleur et l’allant puissant et impétueusement discret de Jean – Jacques Avenel à la contrebasse en pizz et la rage intériorisée à l’archet, le guitariste Barry Wedgle officiant comme électron libre ou comme « accompagnateur atypique. C’est absolument merveilleux si vous voulez acquérir et écouter le grand Steve au sommet de son art dans de longues improvisations et exposés originaux des thèmes de ses compositions. C’est un de ses albums où ses sons et aspects créatifs sont les plus diversifiés que l’on puisse entendre On y entend toujours le côté expressif tragique ou dramatique de son œuvre qui transparaissait dans la sonorité spécifique des années 70’ s avant que celle-ci se soit adoucie et relaxée dans les deux décennies suivantes. Un vrai trésor que Steve avait oublié de publier à l’époque.
Arcada Pendular Carlos Zingaro & João Madeira 4DARecords 4DRCD018
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/arcada-pendular
On a entendu à plusieurs reprises le contrebassiste Lisboète João Madeira dans la galaxie des Rodrigues père et fils , Ernesto, l’altiste et Guilherme le violoncelliste comme dans cette superbe perle, Chaos, CD publié par Creative Sources, On le retrouve aussi dans No Strings Attached et Hoya sur le même label, toujours avec Ernesto Rodrigues, mais aussi Hernani Faustino, Daniel Levin … . L’année dernière, 4DARecords, le label de João, avait publié un excellent trio réussi du violoniste Carlos Zingaro de la percussionniste Sofia Borges avec ce singulier contrebassiste. Convaincus par leurs échanges et partageant toute une philosophie de l’improvisation et un territoire sonore et émotionnel comme un véritable dénominateur commun extensible, Zingaro et Madeira se sont réunis pour nous livrer cette belle rencontre à la hauteur et même plus des associations de ce violoniste, pionnier de l’improvisation contemporaine, avec des contrebassistes tels que Joëlle Léandre, Kent Carter, Simon H Fell, … ou avec les violoncellistes Fred Lonberg-Holm et Peggy Lee.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de l’art de ce violoniste portugais, plongez seulement dans ce fabuleux document d’une extraordinaire performance solo de Carlos Zingaro : Live at Mosteiro De Santa Clara A Velha (Cipsela). C’est le top à l’instar des Phil Wachsmann, Malcolm Goldstein et Harald Kimmig. Et j’aime cette arcade pendulaire, le mouvement de l’archet guidé par un pendule magique, celui de Philémon Cyclône à la recherche de trésors enfouis en travers des cordes, cherchant au milieu d'un terrain lunaire, silicé ou granitique, sec comme une trique à l’ombre lointaine et rasante des Pyramides au soleil couchant. Surfaces recouvertes de micro-champignons et de mousses multicolores comme on peut le voir sur la pochette du digipack, œuvre de Carlos… sous laquelle des attractions magnétiques invisibles guident les pas de danse de ces deux funambules du violon et de la contrebasse, le petit et le gros de cette famille d’instruments des violons qui ne s’associent au plus fin qu’au sein de leur fratrie : violon, alto, cello et contrebasse. Musique de recherches d’actions instrumentales multiformes et mouvantes qui tiennent de l’exploration, de gestuelles expressives, d’introspections sonores qui se distancent, chacun à son rythme propre, se réunissent en contrepoints anguleux, spiralés, moirés ou fracturés, ou se contredisent, chacun détalant de son côté en feignant de ne pas se soucier des préoccupations de l’autre, mais lui apportant une question subtile, une énergie oblique, ou la conclusion qui se fait attendre. Il ne s’agit pas de déballage technique, mais plutôt d’un étalage panorama graphique, strié, ondulatoire, abstrait et expressionniste autant que pointilliste impressionniste,.. cubiste, tachiste, Turner, Delaunay, Kandinsky, Klee, de Kooning, Pollock, Richter, Frankenthaler ou mon ami le dessinateur André Dael et ses paysages imaginaires. C’est profondément sincère tout en utilisant de multiples techniques de frottement d’archets, d’harmoniques, de vibrations cordistes et boisées, dérapages, percussions, diffractions, amalgames, frénésies, extases ou méditations, réflexions, instants télépathiques para-normaux. L’imaginaire suggéré dépasse la faculté d’imagination et la notion de dialogue à cause leur simplicité intérieure ouverte à l’instant présent et à leurs inclinations ludiques rebelles. Au-delà de cette notion de dialogue, on navigue et divague dans l’océan de l’écriture automatique, les limbes du rêve éveillé et de cette curiosité insatiable qui n’est jamais assez satisfaite d’une apparente réussite, lui préférant le risque, le méconnu, la défriche... À mettre dans un rayonnage aux côtés des duos de Barre Phillips et Malcolm Goldstein, de Philipp Wachsmann et Teppo Hauta- Aho ou du String Trio de Harald Kimmig Alfred Zimmerlin et Daniel Studer.
Eugenio Sanna Lucio Bonaldo Michele Scariot Punti d’Incontro 13 silentes - Stella Nera
http://13.silentes.it/private_sounds/sps2485.htm
Eugenio Sanna , le guitariste pisan a plus d’un tour dans son sac. Non content de jouer et enregistrer dans quelques rencontres de pointe comme celles documentées dans Live In Pisa (avec Edoardo Ricci & Roger Turner/ Burp Productions) ou Water Reflections avec Guy-Frank Pellerin & Matthias Boss (FMR), il se prête à des jeux volatiles et particulièrement bruitistes avec quiconque se présente à lui, très souvent pour le meilleur Pour notre bonheur, la paire Lucio Bonaldo (batterie préparée et sculpture métallique) et Michele Scariot (walkman & speaker « portatile ») a quasi tout compris en matière de croisements de pulsations et de bruitages dosés et interactifs. C’est superbement bruissant, noisy micro-détaillé, complexe et aéré avec une dynamique exemplaire. Ça gicle, râcle, crisse, croustille, buzze, s'hérisse et s’étale tous azimuts. Le guitariste frictionne la six cordes avec des lames et bandes métalliques , des petits ballons, du cellophane et quelconques objets. Sonorité abrasive, glitcheuse, électricité vagabonde. Et ce joyeux trio est interconnecté sur ces fréquences, bruitages, parasites avec une forme de percussivité ludique assez aléatoireen apparence. On entre ici dans le cœur battant de l’improvisation libre chercheuse, canaille, qui ferait passer certains ténors de cette mouvance comme étant quasiment néo-classique contemporain. Une musique « atomistique », où éclatent et se télescopent étincelles cosmiques, électrons incandescents ou calcinés, neutrons silencieux, shrapnels de métaux rares, scories etc.. traçant des fusées millimétriques, des escarbilles crépitantes sulfureuses ordonnées par une improbable théorie des cribles, une galaxie de lueurs s’évanouissant hors gravitation … Bref, c’est un album réjouissant où trois joyeux inventeurs décalés créent un univers sonore qui se concentre autant sur l’identité de leur trio qu’il s’égare dans les ramifications les plus diversifiées. Points de rencontre (Punti d’incontro) ? Je dirais rhizomes, réseaux volatiles, concassage du mélodique, impertinence du bruit, manipulations improbables d’instruments à côté et au-delà de leur raison d’être. Fuite en avant irrationnelle, mais dialogues réussis et qualité optimale d’imbrications spontanées de sons et bruits à perte de vue… Comme me l’a indiqué Eugenio, cet enregistrement capté à Vittorio Veneto illustre l’état d’esprit de la scène locale du Nord Vénitien ( Brescia, Padova, Treviso etc… ) devenue récemment plus active et plus rebelle.
The Complete Fingers Remember Mingus Dave Green Bruce Turner Lol Coxhill Alan Jackson Michael Garrick Jazz In Britain JIB-55-S-CD.
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/the-complete-fingers-remember-mingus
J’avais raté le LP de ce Fingers en hommage à Mingus en 1980 faute d'argent disponible (label Spotlite). Mais je me rattrape avec la totale : trois CD’s de standards et morceaux de Mingus, Ornette et Monk à toutes les sauces, parfois « incongrues » et un beau paquet d’unreleased. Vous allez me dire : Ah oui ! Dave Green, le contrebassiste de jazz d’une rock star, feu Charlie Watts, le batteur des Stones. Un jour, j’ai bu un pot dans le pub the Bell à Walthamstow avec le guitariste John Russell qui me logeait dans son quartier lors d’une petite tournée. Il m’a présenté ce pub comme étant le lieu de rencontre de trois étudiants en arts graphiques et apprentis batteurs de jazz dans les années 1956-57 etc… :Terry Day, John Stevens et Charlie Watts. Dave Green est devenu un des piliers incontournables du jazz Londonien et resté en contact proche avec son ami d’enfance Charlie, lequel a produit l’album du People Band de son copain Terry Day en 1968 (pour Transatlantic), sans doute un des groupes les plus craignos du free sauvage et délirant. Mais en fait, Londres était peuplé de zèbres improbables qui déjouent encore les pronostics. Au départ, Dave Green voulait faire un hommage à Charlie Mingus, disparu en 1979 et son panel d’invités est tout aussi curieux (dans tous les sens de l’adjectif) que bien réfléchi. Il faut dire Green a une très solide expérience comme pilier du humphrey Littleton Band 18 ans d'affilée et il a joué avec Sonny Rollins, Roland Kirk et Coleman Hawkins. Le saxophoniste alto Bruce Turner est un unique improvisateur bop européen de « l’école » de Lennie Tristano avec un phrasé sournois étiré mâtiné d’humour british indéchiffrable qui évoque un Lee Konitz égrillard. Il a séjourné à NYC et le studio où Lennie donnait "ses leçons" et répétaient. L’idée géniale, joindre à cette équipe l’improbable Lol Coxhill un des plus grands saxophonistes sopranos de la terre entière (avec Steve et Evan) et un vrai compère amical et jovial envers quiconque croise sa route. Ces deux – là ne se connaissaient pas mais durant ce concert dans la Merlin Cave en 1979 et une enfilade de sessions pour la BBC (1983-84), les deux lascars se sont entendus comme des larrons en foire, avides des trucs et ficelles de leur alter-ego respectif. Dois – je informer que le saxophoniste préféré de Coxhill était Lester Young? Lester était un artiste qu’on doit absolument éviter d’appréhender seulement avec deux ou trois sessions d’époque (Commodore, Keynote ou Signature) mais aussi/ surtout investiguer massivement les sessions Alladin et Clef-Norgran, rééditées par Verve. Lester était en fait un artiste complexe dont le style a évolué drastiquement au fil des ans en conséquence de certaines mauvaises expériences de la vie et d’un désenchantement existentiel .
Complexe, c’est aussi ce qon peut dire de Lol Coxhill. Mais lui, était un joyeux drille, qui aimait tant se sentir libre de « jouer une mélodie » ou évoquer un standard dans le fil d’improvisations libres. Un enregistrement solo publié récemment par SLAM, Coxhill 1985 enregistré dans un pub de Bristol illustre bien cette tendance. Lol se délecte, entre autres, à disséquer et étendre les lignes mélodiques et les harmonies de I Thought About You de Van Heusen – Mercer et de divaguer sur des fantômes du Real Book au milieu de ses improvisations à tendance plus jazz tout en confondant le public écroulé de rire ou amusé par ces succulents « Dialogues » parlés. Écoutez le précisément, le gars, vous entendrez sa connaissance gargantuesque de l’idiome jazz et des standards qu’il chantait sans effort rien qu’à la vue de la partition qu’on lui fourrait sous le nez à la dernière seconde. Un petit frère d’Ornette (même génération née début des années 30) tout aussi original que lui avec ses notes « pliées » immédiatement reconnaissables. Mais c’est pas fini : il y a le batteur Alan Jackson. Celui-ci enregistra des plaques immémoriales avec le pianiste Howard Riley et le bassiste Barry Guy, des perles sérieuses et audacieuses du free-jazz européen (Angle – The Day Will Come), mais aussi avec Mike Osborne, John Surman, Keith Tippett, Mike Westbrook et Harry Beckett… Un sérieux client rompu à tous les styles. Au piano, Michael Garrick, dont Jackson a été le batteur attitré, connu pour ses performances avec des poètes et son travail avec la paire Don Rendell et Ian Carr, entre autres avec Dave Green. Il faut saisir les interventions de Michael Garrick au piano : du jazz contemporain post Bill Evans avec une toute grande classe dans Remember Mingus (omit Bruce Turner) dont les 18 minutes contiennent aussi une longue intervention digression free de Coxhill. Ces trois CD’s offrent une musique basée dans le bop qui n’hésite pas à déraper, rêver et développer au-delà de l’idiome jazz moderne, s’égarer ce qu’il faut bien au-delà du formatage qui rend cette musique insipide. Chacun s’écoute et intervient alternativement ex-tempore. Il suffit de goûter la faconde d’un solo de basse de Green dans le Alice in Wonderland de Mingus (deux versions). Et encore : les ingénuités et l’expressivité des deux souffleurs dans deux versions du Tears Inside d’Ornette Coleman, le chant irrésistible de Coxhill dans Embraceable You , le duo Garrick et Coxhill dans She ‘s Funny That Way. Les deux compères avaient enregistré en duo deux morceaux dans le LP de Coxhill The Joy Of Paranoia (Ogun). Il y a aussi un Anthroplogy saisissant et un Mood Indigo presque Mingusien avec un Bruce Turnr suave à la clarinette C’est touchant, excellent , plein d’instants de grâce dont l’écoute bon enfant rend le rabâchage du jazz moderne revisité dans les années fin 70, puis 80 et 90, académique, formaté, lassant et sans intérêt. Un paquet de notes sur le triple digipack à rabas et dans un épais livret très détaillé contenant une mine d'informations sur ce projet unique, sans doute le plus curieux hommage à Charles mingus défiant toute logique, idées toutes faites et poncifs. Écoutez les enregistrements de la tournée 1964 de Mingus avec Byard, Dolphy, Jordan et Richmond avec ses versions labyrinthiques de compositions de Mingus et vous comprendrez l'inspiration exercée sur ses impénitents et facétieux British. En plus, Jazz In Britain livre les commandes en Union Européenne depuis la Pologne, vous évitant ces taxes post brexit stupides.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
24 juillet 2025
20 juillet 2025
Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins/ Lawrence Casserley & Emil Karlsen/ Kristof K.Roll + Ensemble Dedalus/ Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez
SAROST Aurora Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins JazzinBritain
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/aurora
“Classique” trio saxophone – contrebasse – batterie dans une veine free inspirée, « libre » et aventureuse où chacun des musiciens va jusqu’au bout de ses idées dans le sens de minutieuses explorations sonores spontanées et agencées dans le feu de l’action. Si la paire batterie – contrebasse Mark Sanders et Paul Rogers collabore depuis plus de trois décennies avec plusieurs autres improvisateurs d’envergure comme Evan Parker, Sarah Gail Brand, Elton Dean, Paul Dunmall, c’est sans doute la première fois qu’on les retrouve tous deux aux côtés du saxophoniste Larry Stabbins, un as du ténor aussi doué pour le soprano et habitué du Little Theatre Club fin des années 60 et début années 70. Il semble qu’il soit un des premiers saxophonistes britanniques à jouer des concerts en solo, avant qu’Evan Parker n’enregistre son premier concert solo en 1975 (saxophone solos Incus 19). Larry a été très présent dans la scène britannique et européenne durant la période phare des années 70 et 80 avec une résurgence au début des années 2000. Il fut le saxophoniste de prédilection des groupes de Keith Tippett en succédant à Elton Dean, et des Quartet et Quintet de Tony Oxley. Ses albums les plus appréciés de cette lointaine époque sont Fire Without Bricks en duo avec le percussionniste Roy Ashbury (Bead Records) et TERN en trio avec feu Keith Tippett et Louis Moholo (FMP SAJ). Aussi, Continuum avec Eddie Prévost, Veryan Weston et Marcio Mattos (Matchless). Plus tard, Larry a enregistré un album solo, Monadic et trois CD en quartet avec Sanders le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Tony Wren (Four in The Afternoon/ Emanem – St Cyprian’s vol 1 et 2/ FMR). J’ai gardé de lui un souvenir impérissable d’un concert en duo avec Roy Ashbury en 1979, où assis sur le sol à deux mètres de son sax soprano, je pouvais distinguer très clairement la multiplicité des sons, sifflements, harmoniques, strangulations de la colonne d’air dans le moindre détail etc… alors que Roy Ashbury jouait à même le sol en modifiant continuellement l’assemblage de ses percussions tout en frappant, grattant, frottant … son matériel. Fascinant ! Pour ceux qui ont connu et écouté Stabbins auparavant, Aurora sera une aussi belle surprise que pour ceux qui vont le découvrir ici pour la première fois. Non seulement, nous avons ici le batteur Mark Sanders au meilleur de sa forme et son indicible sens des pulsations qui profite à fond de l’ouverture spirituelle et musicale de ce trio dans un parfait équilibre fait autant de tensions électriques que d’empathie créatrice. Multirythmique et coloré, discret et actif, Sanders est un batteur free de rêve auprès de nombreux improvisateurs comme John Edwards, John Butcher, Evan Parker, Gail Brand, Trevor Watts Paul Dunmall… Chaque instrumentiste occupe la même importance dans les interventions individuelles et dans l’espace sonore. La participation du contrebassiste (à sept cordes) Paul Rogers est un bonus magnificent dans cette superbe session. Non seulement son partenariat avec Sanders est incontournable entre autres avec Paul Dunmall ou Elton Dean, il a aussi croisé la route de Stabbins chez Keith Tippett. Paul joue de l’archet comme s’il était un orchestre à cordes à lui tout seul ; le registre de son instrument à sept cordes donne l’illusion d’être à la fois une « piccolo » bass (on songe à Barry Guy), un violoncelle et une viole de gambe. Son jeu à l’archet est complexe, raffiné et strié d’ombres et de moirages boisés teintés d’harmoniques scintillantes. Sa contrebasse (Luthier Alain Leduc - Nîmes) est munie de cordes sympathiques, la vibration desquelles en magnifie la sonorité. Les sonorités aériennes aux cymbales et les frappes pointillistes du batteur se marient avec les interventions du bassiste avec une réelle empathie. Ses improvisations en pizzicato sur la touche apportent la dose de lyrisme charnel qui équilibre l’équipée et donnent du sens au développement mélodique du souffleur. Ses deux acolytes inspirés permettent à cet authentique skipper océanique au long cours qu’est Larry Stabbins d’évoluer aux First Lights de l’Aurora, à 67 North et 67 South jusqu’aux Boreas Curtains, selon les quatre titres de leur remarquable suite. Chacun d’eux assume en alternance l’élément moteur du trio et détermine sa dynamique en assurant une exemplaire lisibilité tout en donnant le meilleur de lui-même sans entraver l’élan de ses camarades. Lançant quelques imprécations modales, le souffleur a tôt fait de faire exploser la colonne d’air de son ténor avec un expressionnisme virulent ou tournoyer irrégulièrement avec la sonorité acide de son soprano au fil des improvisations intenses et subtilement dosées de ce TRIO SAROST, une belle surprise du free-free jazz allumé à l’improvisation libre.
Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory
Aspects of Memory is the first meeting between Lawrence Casserley (signal-processing instrument) and Emil Karlsen (percussion). "Lawrence Casserley has devoted his professional career to the creation and performance of real-time electroacoustic music, culminating in the development of his own unique device—The Signal Processing Instrument. This instrument allows him to use physical gestures to control the processing and to direct the morphology of the sounds." Casserley writes: “A key element of the Signal Processing Instrument is the manipulation of musical time, and the Signal Processing Instrument might be likened to a kind of musical time machine. Time is at the core of our understanding of the world; and memory is at the core of our understanding of time. Both are fundamental to our perception of music. What happens to this understanding when “artificial memory” interferes with our perceptions ?”
Le percussionniste norvégien et résident de Manchester Emil Karlsen s’est révélé ces dernières années comme un artiste sensible, créatif et chercheur. Il a joué et enregistré avec Philipp Wachsmann et Neil Metcalfe, Phil Durrant, John Butcher & Dominic Lash, Ed Jones, Pierre Yves Tremblay et Alex Bonney et même en duo de percussions avec Mark Sanders. Du point de vue de l’évolution du travail de Lawrence Casserley et de son signal processing, on attendait de sa part un album avec un percussionniste improvisateur qui mette en évidence une preuve supplémentaire de sa créativité en relation avec la raison d’être essentielle de sa démarche de transformation en temps réel des sons musicaux joués par un autre improvisateur. L’interpénétration et le mariage des deux sources sonores, l’une instrumentale, l’autre « processée » font qu’il est souvent difficile de distinguer qui du percussionniste ou du « processeur » émanent les sonorités complexes et curieuses de leurs interactions croisées. On retrouve ici la dynamique des solos de percussions + électroniques du grand Tony Oxley de l’album Incus 8 (jamais réédité) avec une acuité accrue et un raffinement sonore inouï. Emil Karlsen révèle ici toute sa sensibilité dans le moindre détail de son jeu sur les fûts, ustensiles et cymbales. Pour ceux qui ont écouté les albums de Casserley tels que Dividuality (avec Evan Parker et Barry Guy), Garuda (avec Philipp Wachsmann), Integument (avec Adam Linson) ou MouthWind, on retrouvera ici ce qui fait la quintessence de l’art de ce magicien de la transformation sonore par le truchement du live signal processing au travers de plusieurs canaux ( 14 bien souvent) et de rhizomes d’applications successives et enchevêtrées créées dans ce but par L.C., le but de toute une vie d’essais et de recherches élaborées. Un univers fascinant, une technologie organique dont on en oublie la technicité au profit d’une musicalité insoupçonnée. Vagues, tourbillons, accélérations fantômes, agrégats sonores mutants, descentes glissantes dans les graves, étagements de fréquences éphémères, pulsations factices, vibrations percussives, boucles décalées et hésitantes, mystères. Voici une musique qui se découvre au fil de nombreuses écoutes tant les paramètres de l’élaboration des sons sont devenus surréels. Mention spéciale au travail d' Emil Karlsen qui anime activement l'aventure créative du label Bead Records "established in 1974"
Kristof K.Roll Les Ombres de la Nuit
Kristof K.Roll & Dedalus Grande Suite à l’Ombre des Ondes
Mazeto Square Un livre couverture cartonnée. Deux Compact Discs. Textes détaillés des rêves et partitions.
https://www.mazeto-square.com/product-page/les-ombres-de-la-nuit-livre-cd
Malheureusement, impossible d'insérer les images de ce magnifique Livre 2CD
Voici un magnifique projet du tandem Kristof K.Roll (Carole Rieussec & Christophe Camps) dans le domaine de la musique concrète et de voix enregistrées – témoignages vivants de personnes exprimant leurs expériences de rêves et mises en sons. « La bibliothèque sonore de récits de rêves du monde » et « La Petite Suite à l’Ombre des Ondes » sont contenues dans le CD1. Cet ensemble de témoignages rassemblent de nombreuses personnes qui narrent leurs souvenirs dans des contextes de conflits (comme le Prologue en 1/ enregistré à Bagdad). Les récits ou la relations de ces rêves ont été enregistrés dans de nombreux pays avec des interventions dans de nombreuses langues : français, arabe, italien, pashto, anglais, croate, macédonien etc… Le Livre contient un maximum d’informations sur les circonstances de ces projets et les textes des récits individuels dans la langue de chaque narrateur/ narratrice comme on l’entend dans l’enregistrement et leurs traductions en langue française et anglaise. La Grande Suite à l’Ombre des Ondes est une collaboration de Kristoff K.Roll et de l’Ensemble Dedalus. Il est contenu entièrement dans le CD2. On est plongé dans l’imaginaire du rêve, dans sa narration réaliste et dans une poésie brute , parfois déroutante. La réalisation technique de haut vol intègre les voix à une bande son d’une extrême précision, habillage sonore organique en phase avec la multiplicité des voix, des rêves et des personnalités qui ouvrent leur cœur et leur sensibilité profonde aux micros. Musique concrète de la vie concrète des gens, aventuriers de la vie par le rêve. Le livre lui-même détaille avec cette précision factuelle tous les intervenants, prénoms, lieux, temps, circonstances, paroles sans divulguer la puissance poétique, suggestive, émotionnelle qui émane de l’audition. Aussi, les Kristof K Roll se sont ouverts à plusieurs manifestations du rêve, existentielle, de survie, anecdotique, purement émotionnelle, ou tragique ou « non-sensique ». Ces différentes approches des rêves nous sont livrées sans aucun parti-pris ou une thèse à illustrer. Ce livre se lit dans les deux sens en inversant le recto ou le verso selon que vous suivrez les Suites du CD1 et du CD2. Si le contenu CD1 est focalisé sur la mise en sons électroacoustique à la Kristoff K Roll de la narration des rêves individuels dans l’espace public – fragments de reportage, la Grande Suite à l’Ombre des Ondes s’écoule en 17 compositions successives et 64’. L’ensemble Dedalus rassemble Didier Aschour, guitare, Amelie Berson Maximilien Dazas, percussions, Christian Pruvost, trompette, Deborah Walker, violoncelle. Je cite : « La Grande Suite est un déclinaison de la bibliothèque sonore de rêves du monde. Huit rêveuses et rêveurs dialoguentavec cinq instrumentistes dans un composition sonore mixte, imaginée par le duo Kristoff K. Roll, en dialogue avec les interprètes de l’ensemble Dedalus. » « Le public plonge au cœur de récits de rêves. Voyage onirique collectif qui navigue entre les récits dans une traversée sonore archipélique ». L’œuvre a été enregistrée par Nicolas Brouillard au Théâtre Jean Bart en février 2023. Le montage a été réalisé par Kristoff K. Roll et Nicolas Brouillard s’est joint à eux pour un mixage hyper réussi.
L'oeuvre de Kristoff K. Roll se développe depuis de nombreuses années d'aventures et de travail minutieux : elle atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, l'ambition créatrice et la modestie réunies. Je pense que cette réalisation est aussi cohérente qu’expressivement contemporaine au plus grand service des narrations des rêveuses – rêveurs, les musiciens de l’ensemble Dedalus excellant dans la partie musicale au service du projet. Précise, feutrée, concentrée, suggestive, la musique, les textes et les trouvailles sonores s’imposent en toute simplicité laissant le lyrisme, l’onirisme et la surréalité des voix et des narrations s’imprimer dans nos émotions, perceptions et stimuler notre faculté de recréer l’imaginaire au creux de nous – mêmes. Un travail très touchant, absolument atypique et qui permet à cette expression musicale sonore contemporaine de toucher un public « non averti ».
Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez Kouarteto Maya Recordings
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/kouart-to
Deux artistes Grecs, Savina Yannatou et Floros Floridis, l’une chanteuse, l’autre clarinettiste saxophoniste en Kouarteto avec un batteur Catalan – Français et le contrebassiste Britannique Barry Guy. La musique, ici librement improvisée penche émotionnellement du côté de la Méditerranée. Le timbre « hellénique » de la voix de Savina Yannatou, à la fois lyrique, audacieuse, expressive moëlleuse et puissante a quelque chose de spécifique par rapport aux voix de ses collègues germaniques, anglo-saxonnes, françaises ou italiennes. Elle collabore fréquemment avec Barry Guy t Ramon Lopez. Et quelle idée lumineuse d’avoir invité Floros Floridis aux clarinettes basse et mi-bémol spécialiste du clair-obscur et d’une singulière manière pointilliste et expressionniste alliant retenue et découpage tranchant. Le batteur souligne, répercute des impressions, dose habilement ses frappes avec un vrai souci du détail pour laisser le champ libre à la voix fantastique de sa collègue et aux doigtés décalés du contrebassiste. Ces quatre – là nous démontrent ce qu’écouter, s’entraider et se répondre – suggérer – se compléter signifie dans le moindre instant de jeu et de partage. Enregistré à Ydra, Kouartéto se décline et se renouvelle merveilleusement au fil de 13 Ydra numérotés de 1 à 13 durant 67 minutes de plénitude. Chacun s’impose tour à tour comme un soliste d’avant-plan, comme un infiltrateur dans le maquis sonore, comme duettiste en trio : il faut écouter les détails d Ydra 6 (Greek Lullaby) avec la voix « traditionnelle » grecque, les frappes aléatoires de Ramon et les friselis des doigts de Barry effleurant les cordes de la contrebasse comme si c’était une harpe magique. Des trouvailles, coups de gueule et morsures du souffleur éclatent et s’étalent dans l’espace-temps comme une déflagration puis dans les murmures. On a droit à une multitude d’états d’âme instrumentaux et d’expressions vocales qui coïncident dans l’instant ou un peu plus tard et de morceau n morceau. Un album réussi et disons – le, fabuleux. Et la présence des deux artistes helléniques, Savina Yannatou et Floros Floridis (un vieux compagnon de Peter Kowald, Gunther Sommer ou Okay Temiz) est providentielle tant pour l’art de Barry Guy et la faconde de Ramon Lopez (ici aussi aux tablas indiens !).
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/aurora
“Classique” trio saxophone – contrebasse – batterie dans une veine free inspirée, « libre » et aventureuse où chacun des musiciens va jusqu’au bout de ses idées dans le sens de minutieuses explorations sonores spontanées et agencées dans le feu de l’action. Si la paire batterie – contrebasse Mark Sanders et Paul Rogers collabore depuis plus de trois décennies avec plusieurs autres improvisateurs d’envergure comme Evan Parker, Sarah Gail Brand, Elton Dean, Paul Dunmall, c’est sans doute la première fois qu’on les retrouve tous deux aux côtés du saxophoniste Larry Stabbins, un as du ténor aussi doué pour le soprano et habitué du Little Theatre Club fin des années 60 et début années 70. Il semble qu’il soit un des premiers saxophonistes britanniques à jouer des concerts en solo, avant qu’Evan Parker n’enregistre son premier concert solo en 1975 (saxophone solos Incus 19). Larry a été très présent dans la scène britannique et européenne durant la période phare des années 70 et 80 avec une résurgence au début des années 2000. Il fut le saxophoniste de prédilection des groupes de Keith Tippett en succédant à Elton Dean, et des Quartet et Quintet de Tony Oxley. Ses albums les plus appréciés de cette lointaine époque sont Fire Without Bricks en duo avec le percussionniste Roy Ashbury (Bead Records) et TERN en trio avec feu Keith Tippett et Louis Moholo (FMP SAJ). Aussi, Continuum avec Eddie Prévost, Veryan Weston et Marcio Mattos (Matchless). Plus tard, Larry a enregistré un album solo, Monadic et trois CD en quartet avec Sanders le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Tony Wren (Four in The Afternoon/ Emanem – St Cyprian’s vol 1 et 2/ FMR). J’ai gardé de lui un souvenir impérissable d’un concert en duo avec Roy Ashbury en 1979, où assis sur le sol à deux mètres de son sax soprano, je pouvais distinguer très clairement la multiplicité des sons, sifflements, harmoniques, strangulations de la colonne d’air dans le moindre détail etc… alors que Roy Ashbury jouait à même le sol en modifiant continuellement l’assemblage de ses percussions tout en frappant, grattant, frottant … son matériel. Fascinant ! Pour ceux qui ont connu et écouté Stabbins auparavant, Aurora sera une aussi belle surprise que pour ceux qui vont le découvrir ici pour la première fois. Non seulement, nous avons ici le batteur Mark Sanders au meilleur de sa forme et son indicible sens des pulsations qui profite à fond de l’ouverture spirituelle et musicale de ce trio dans un parfait équilibre fait autant de tensions électriques que d’empathie créatrice. Multirythmique et coloré, discret et actif, Sanders est un batteur free de rêve auprès de nombreux improvisateurs comme John Edwards, John Butcher, Evan Parker, Gail Brand, Trevor Watts Paul Dunmall… Chaque instrumentiste occupe la même importance dans les interventions individuelles et dans l’espace sonore. La participation du contrebassiste (à sept cordes) Paul Rogers est un bonus magnificent dans cette superbe session. Non seulement son partenariat avec Sanders est incontournable entre autres avec Paul Dunmall ou Elton Dean, il a aussi croisé la route de Stabbins chez Keith Tippett. Paul joue de l’archet comme s’il était un orchestre à cordes à lui tout seul ; le registre de son instrument à sept cordes donne l’illusion d’être à la fois une « piccolo » bass (on songe à Barry Guy), un violoncelle et une viole de gambe. Son jeu à l’archet est complexe, raffiné et strié d’ombres et de moirages boisés teintés d’harmoniques scintillantes. Sa contrebasse (Luthier Alain Leduc - Nîmes) est munie de cordes sympathiques, la vibration desquelles en magnifie la sonorité. Les sonorités aériennes aux cymbales et les frappes pointillistes du batteur se marient avec les interventions du bassiste avec une réelle empathie. Ses improvisations en pizzicato sur la touche apportent la dose de lyrisme charnel qui équilibre l’équipée et donnent du sens au développement mélodique du souffleur. Ses deux acolytes inspirés permettent à cet authentique skipper océanique au long cours qu’est Larry Stabbins d’évoluer aux First Lights de l’Aurora, à 67 North et 67 South jusqu’aux Boreas Curtains, selon les quatre titres de leur remarquable suite. Chacun d’eux assume en alternance l’élément moteur du trio et détermine sa dynamique en assurant une exemplaire lisibilité tout en donnant le meilleur de lui-même sans entraver l’élan de ses camarades. Lançant quelques imprécations modales, le souffleur a tôt fait de faire exploser la colonne d’air de son ténor avec un expressionnisme virulent ou tournoyer irrégulièrement avec la sonorité acide de son soprano au fil des improvisations intenses et subtilement dosées de ce TRIO SAROST, une belle surprise du free-free jazz allumé à l’improvisation libre.
Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory
Aspects of Memory is the first meeting between Lawrence Casserley (signal-processing instrument) and Emil Karlsen (percussion). "Lawrence Casserley has devoted his professional career to the creation and performance of real-time electroacoustic music, culminating in the development of his own unique device—The Signal Processing Instrument. This instrument allows him to use physical gestures to control the processing and to direct the morphology of the sounds." Casserley writes: “A key element of the Signal Processing Instrument is the manipulation of musical time, and the Signal Processing Instrument might be likened to a kind of musical time machine. Time is at the core of our understanding of the world; and memory is at the core of our understanding of time. Both are fundamental to our perception of music. What happens to this understanding when “artificial memory” interferes with our perceptions ?”
Le percussionniste norvégien et résident de Manchester Emil Karlsen s’est révélé ces dernières années comme un artiste sensible, créatif et chercheur. Il a joué et enregistré avec Philipp Wachsmann et Neil Metcalfe, Phil Durrant, John Butcher & Dominic Lash, Ed Jones, Pierre Yves Tremblay et Alex Bonney et même en duo de percussions avec Mark Sanders. Du point de vue de l’évolution du travail de Lawrence Casserley et de son signal processing, on attendait de sa part un album avec un percussionniste improvisateur qui mette en évidence une preuve supplémentaire de sa créativité en relation avec la raison d’être essentielle de sa démarche de transformation en temps réel des sons musicaux joués par un autre improvisateur. L’interpénétration et le mariage des deux sources sonores, l’une instrumentale, l’autre « processée » font qu’il est souvent difficile de distinguer qui du percussionniste ou du « processeur » émanent les sonorités complexes et curieuses de leurs interactions croisées. On retrouve ici la dynamique des solos de percussions + électroniques du grand Tony Oxley de l’album Incus 8 (jamais réédité) avec une acuité accrue et un raffinement sonore inouï. Emil Karlsen révèle ici toute sa sensibilité dans le moindre détail de son jeu sur les fûts, ustensiles et cymbales. Pour ceux qui ont écouté les albums de Casserley tels que Dividuality (avec Evan Parker et Barry Guy), Garuda (avec Philipp Wachsmann), Integument (avec Adam Linson) ou MouthWind, on retrouvera ici ce qui fait la quintessence de l’art de ce magicien de la transformation sonore par le truchement du live signal processing au travers de plusieurs canaux ( 14 bien souvent) et de rhizomes d’applications successives et enchevêtrées créées dans ce but par L.C., le but de toute une vie d’essais et de recherches élaborées. Un univers fascinant, une technologie organique dont on en oublie la technicité au profit d’une musicalité insoupçonnée. Vagues, tourbillons, accélérations fantômes, agrégats sonores mutants, descentes glissantes dans les graves, étagements de fréquences éphémères, pulsations factices, vibrations percussives, boucles décalées et hésitantes, mystères. Voici une musique qui se découvre au fil de nombreuses écoutes tant les paramètres de l’élaboration des sons sont devenus surréels. Mention spéciale au travail d' Emil Karlsen qui anime activement l'aventure créative du label Bead Records "established in 1974"
Kristof K.Roll Les Ombres de la Nuit
Kristof K.Roll & Dedalus Grande Suite à l’Ombre des Ondes
Mazeto Square Un livre couverture cartonnée. Deux Compact Discs. Textes détaillés des rêves et partitions.
https://www.mazeto-square.com/product-page/les-ombres-de-la-nuit-livre-cd
Malheureusement, impossible d'insérer les images de ce magnifique Livre 2CD
Voici un magnifique projet du tandem Kristof K.Roll (Carole Rieussec & Christophe Camps) dans le domaine de la musique concrète et de voix enregistrées – témoignages vivants de personnes exprimant leurs expériences de rêves et mises en sons. « La bibliothèque sonore de récits de rêves du monde » et « La Petite Suite à l’Ombre des Ondes » sont contenues dans le CD1. Cet ensemble de témoignages rassemblent de nombreuses personnes qui narrent leurs souvenirs dans des contextes de conflits (comme le Prologue en 1/ enregistré à Bagdad). Les récits ou la relations de ces rêves ont été enregistrés dans de nombreux pays avec des interventions dans de nombreuses langues : français, arabe, italien, pashto, anglais, croate, macédonien etc… Le Livre contient un maximum d’informations sur les circonstances de ces projets et les textes des récits individuels dans la langue de chaque narrateur/ narratrice comme on l’entend dans l’enregistrement et leurs traductions en langue française et anglaise. La Grande Suite à l’Ombre des Ondes est une collaboration de Kristoff K.Roll et de l’Ensemble Dedalus. Il est contenu entièrement dans le CD2. On est plongé dans l’imaginaire du rêve, dans sa narration réaliste et dans une poésie brute , parfois déroutante. La réalisation technique de haut vol intègre les voix à une bande son d’une extrême précision, habillage sonore organique en phase avec la multiplicité des voix, des rêves et des personnalités qui ouvrent leur cœur et leur sensibilité profonde aux micros. Musique concrète de la vie concrète des gens, aventuriers de la vie par le rêve. Le livre lui-même détaille avec cette précision factuelle tous les intervenants, prénoms, lieux, temps, circonstances, paroles sans divulguer la puissance poétique, suggestive, émotionnelle qui émane de l’audition. Aussi, les Kristof K Roll se sont ouverts à plusieurs manifestations du rêve, existentielle, de survie, anecdotique, purement émotionnelle, ou tragique ou « non-sensique ». Ces différentes approches des rêves nous sont livrées sans aucun parti-pris ou une thèse à illustrer. Ce livre se lit dans les deux sens en inversant le recto ou le verso selon que vous suivrez les Suites du CD1 et du CD2. Si le contenu CD1 est focalisé sur la mise en sons électroacoustique à la Kristoff K Roll de la narration des rêves individuels dans l’espace public – fragments de reportage, la Grande Suite à l’Ombre des Ondes s’écoule en 17 compositions successives et 64’. L’ensemble Dedalus rassemble Didier Aschour, guitare, Amelie Berson Maximilien Dazas, percussions, Christian Pruvost, trompette, Deborah Walker, violoncelle. Je cite : « La Grande Suite est un déclinaison de la bibliothèque sonore de rêves du monde. Huit rêveuses et rêveurs dialoguentavec cinq instrumentistes dans un composition sonore mixte, imaginée par le duo Kristoff K. Roll, en dialogue avec les interprètes de l’ensemble Dedalus. » « Le public plonge au cœur de récits de rêves. Voyage onirique collectif qui navigue entre les récits dans une traversée sonore archipélique ». L’œuvre a été enregistrée par Nicolas Brouillard au Théâtre Jean Bart en février 2023. Le montage a été réalisé par Kristoff K. Roll et Nicolas Brouillard s’est joint à eux pour un mixage hyper réussi.
L'oeuvre de Kristoff K. Roll se développe depuis de nombreuses années d'aventures et de travail minutieux : elle atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, l'ambition créatrice et la modestie réunies. Je pense que cette réalisation est aussi cohérente qu’expressivement contemporaine au plus grand service des narrations des rêveuses – rêveurs, les musiciens de l’ensemble Dedalus excellant dans la partie musicale au service du projet. Précise, feutrée, concentrée, suggestive, la musique, les textes et les trouvailles sonores s’imposent en toute simplicité laissant le lyrisme, l’onirisme et la surréalité des voix et des narrations s’imprimer dans nos émotions, perceptions et stimuler notre faculté de recréer l’imaginaire au creux de nous – mêmes. Un travail très touchant, absolument atypique et qui permet à cette expression musicale sonore contemporaine de toucher un public « non averti ».
Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez Kouarteto Maya Recordings
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/kouart-to
Deux artistes Grecs, Savina Yannatou et Floros Floridis, l’une chanteuse, l’autre clarinettiste saxophoniste en Kouarteto avec un batteur Catalan – Français et le contrebassiste Britannique Barry Guy. La musique, ici librement improvisée penche émotionnellement du côté de la Méditerranée. Le timbre « hellénique » de la voix de Savina Yannatou, à la fois lyrique, audacieuse, expressive moëlleuse et puissante a quelque chose de spécifique par rapport aux voix de ses collègues germaniques, anglo-saxonnes, françaises ou italiennes. Elle collabore fréquemment avec Barry Guy t Ramon Lopez. Et quelle idée lumineuse d’avoir invité Floros Floridis aux clarinettes basse et mi-bémol spécialiste du clair-obscur et d’une singulière manière pointilliste et expressionniste alliant retenue et découpage tranchant. Le batteur souligne, répercute des impressions, dose habilement ses frappes avec un vrai souci du détail pour laisser le champ libre à la voix fantastique de sa collègue et aux doigtés décalés du contrebassiste. Ces quatre – là nous démontrent ce qu’écouter, s’entraider et se répondre – suggérer – se compléter signifie dans le moindre instant de jeu et de partage. Enregistré à Ydra, Kouartéto se décline et se renouvelle merveilleusement au fil de 13 Ydra numérotés de 1 à 13 durant 67 minutes de plénitude. Chacun s’impose tour à tour comme un soliste d’avant-plan, comme un infiltrateur dans le maquis sonore, comme duettiste en trio : il faut écouter les détails d Ydra 6 (Greek Lullaby) avec la voix « traditionnelle » grecque, les frappes aléatoires de Ramon et les friselis des doigts de Barry effleurant les cordes de la contrebasse comme si c’était une harpe magique. Des trouvailles, coups de gueule et morsures du souffleur éclatent et s’étalent dans l’espace-temps comme une déflagration puis dans les murmures. On a droit à une multitude d’états d’âme instrumentaux et d’expressions vocales qui coïncident dans l’instant ou un peu plus tard et de morceau n morceau. Un album réussi et disons – le, fabuleux. Et la présence des deux artistes helléniques, Savina Yannatou et Floros Floridis (un vieux compagnon de Peter Kowald, Gunther Sommer ou Okay Temiz) est providentielle tant pour l’art de Barry Guy et la faconde de Ramon Lopez (ici aussi aux tablas indiens !).
17 juin 2025
John Edwards/ Albert Ayler Prophecy Complete w Peacock & Murray/ Evan Parker & Barry Guy/ Gertrude Clarissa Durizzotto Paolo Pascolo Gabriele Cancelli Marko Cisilino et Martin O’Loughlin
John Edwards Lisbon Solo Double Bass digital.
https://johnedwards.bandcamp.com/album/lisbon-solo-2
Une seule improvisation de 36 :20 durant lesquelles John Edwards fait vibrer les cordes, la touche, le corps de l’instrument, avec autant de sauvagerie débridée que de contrôle instrumental … alternant la percussion des cordes, les frottements ligneux, les glissandi, la frappe « col legno », les rebondissements de l’archet. Un jeu organique, frénétique ou détaché. Vous souvenez – vous de l’île au Trésor de R.L. Stevenson, ce livre légendaire qui raconte les tribulations du jeune Jim Hawkins et le pirate cuistot unijambiste et Long John Silver ? Stevenson décrit la force redoutable des doigts et des mains de Long John Silver qui agrippe et maintient le jeune Jim Hawkins sous sa domination en lui les serrant les bras tel une pince, un étau. John Edwards incarne à la fois toute l’espérance du jeune aventurier et la force irrésistible puissante du forban qui inflige des chocs et des pizzicato furieux en saccades improbables pressant les cordes sur la touche avec une force inouïe, dure et élastique. Au fil de sa longue improvisation, il décline toutes sortes d’effets, de résonances, de notes appuyées au-delà des gammes, grattements crissants, grosses vibrations bouleversant l’âme de l’instrument, la carcasse tremblante, le son du bois hypertrophié, des dérapages et incartades de l’archet, des bruitages insensés et surprenants . C’est à la fois intime, furieux, sauvage, savamment dosé et subtilement enchaîné dans l’instant. Un sommet qui apporte encor plus d’au au moulin de ses solos (cfr Volume/ CD Psi). John Edwards est l’aventurier de la contrebasse, son pirate qui aurait viré de bord pour la cause de l’amour du prochain et une réincarnation de ce Jim Hawkins de légende à qui tout arrive et qui parvient à retomber sur ses pattes après bien des aventures périlleuses … et… quelles pattes ! Ahurissant, existentiel. Unique.
Albert Ayler Trio avec Sunny Murray et Gary Peacock Prophecy Live First Visit Complete ezz-thetics 109.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/prophecy-live-first-visit
12 juin 1964, Cellar Café, NYC : l’an zéro du free-jazz. Lors d’un concert légendaire, le poète Paul Haines enregistre ce nouveau trio issu d’un quintet – quartet de Paul Bley auquel participaientt John Gilmore, Gary Peacock, Paul Motian et puis Sunny Murray et, ensuite ce mystérieux saxophoniste ténor rencontré par Cecil Taylor et Sunny Murray en Suède au Gyllene Cirkel presque deux ans plus tôt: ALBERT AYLER. Dans l’assistance, il y a John Coltrane, Bill Dixon et beaucoup d’autres. Le mois suivant, ce trio (Albert Ayler Gary Peacock et Sunny Murray) enregistrera « Spiritual Unity » pour le label ESP Disk – ESP 1002. Jusqu’en 1975, les auditeurs et amateurs n’écouteront que l’Albert Ayler Trio enregistré en MONO et réédité en stéréo par ESP, Fontana etc .. avec une autre version du morceau Spirits indiqué en 1/ de la face B dc ce légendaire SPIRITUAL UNITY. Le vrai talisman audio de l’ « Albert Ayler Trio » est bien cet album live qui fut ensuite publié en 1975 par ESP Disk (Réf. ESP 3030) juste avant la cessation d'activités. Par rapport à Spiritual Unity Stéréo, la version la plus connue et la plus vendue, on y entend le « vrai » Spirits tel qu’on l’entend aussi dans l’album Spirits (publié par Debut et dont la réédition Transatlantic British reproduit le dessin de pochette).
Le grand avantage de ce CD , c’est qu’il reproduit avec un nouveau mastering l’entièreté des neuf morceaux enregistrés lors de ce concert inoubliable. Tu parles, c’est lors de ce concert que John Coltrane a été marqué à jamais et on retrouve dans le jeu de ce géant, certains des caractéristiques expressives d’Ayler.Bon nombre d'artistes incontournables du free-jazz étaient présents comme les apôtres du Christ lors de la ... Première Cène... On a droit à Spirits, Wizard et les deux versions de Ghosts 1st & 2nd Variations , … écoutez, vous comprendrez « ces deux variations ». Mais aussi Prophecy, Saints, encore Ghost , encore Wizard, Children (noté Spirits dans l’édition ESP 1002 Stereo). Oui c’est masterisé sérieusement : il suffit d’écouter le son de la contrebasse de Gary Peacock et ses doigtés – pizzicatos révolutionnaires. Oui, c’est bien l’an zéro du « vrai » free-jazz. Sunny joue ses vagues de vibrations sonores hors tempo, le saxophoniste énonce les thèmes mélodiques genre comptines enfantines pour s’échapper dans des glissandi et harmoniques, en speaking tongues échevelées et morsures rageuses, contorsionnant l’articulation du souffle, criant l’espoir et le désespoir. Tabula rasa ! Et le comble dans ce trio révolutionnaire, l’attitude cool et relax du contrebassiste qui joue sur un tout autre plan avec une sonorité de basse chaleureuse et des déboulés à la fois speedés, imprévisibles et … lyriques. La cohérence du trio est aussi puissante et irrévocable que le contraste entre Ayler et Peacock est total. C’est là que des improvisateurs « libres » comme John Stevens et Paul Lovens viendront puiser leur inspiration qui les amèneront dans un autre univers. En plus d’un point de vue « transharmonique » - les intervalles etc… ce sont les faces d’Ayler les plus révélatrices qui permettent de se faire un idée la plus fidèle de sa démarche ou de son « système », tout comme Coltrane ou Coleman ont leurs propres systèmes qui sous-tend leurs visions et les libertés qu’ils se donnent et nous donnent. Rien que pour la troisième version survoltée et différente de Ghosts en 7/ vous en aurez pour votre argent… Même si vous trouvez cet album à un prix trop cher, rien ne justifie de ne pas l’acheter. Car, face à ce moment de folie enregistrée en 1964, vous pouvez jeter une bonne partie de votre collection de disques de «free-jazz», tellement c’est extraordinaire…
Pour la petite histoire, Sunny Murray détenait l’entièreté des bandes de ce concert mirifique et en a fait publier l’entièreté dans « Albert Smiles with Sunny », un double CD du label In Respect en 1996 avec l’aide de Harmut Geerken, musicien et activiste impliqué dans la scène free. Ce double album s’est attiré les foudres d’un représentant légal d’ayant droit, comme si cette musique n’appartenait pas autant à Albert qu’à Sunny, celui-ci inventant un style aussi personnel et innovant que celui d’Albert. Ezz-thetics avait déjà publié cet album en caractères orange « Hatology ». Le voici avec des lettres bleues, celui du blues le plus profond. À se taper la tête contre les murs. LE DISQUE DE FREE JAZZ par excellence.
NB : pour ceux qui recherchent l’album vinyle avec le « véritable » Spiritual Unity – avec – le vrai-Spirits gravé sur le vinyle ESP 1002 MONO ( !), j’informe que le seul autre vinyle ou CD qui reproduit cette version originale est le LP Spiritual Unity publié par E.S.P. Explosive (France) et cela le restera longtmps. Mais qui s’en doute ? Par la suite on retrouve cette version dans le CD réédité par le label japonais Venus. Beaucoup plus tard et à la demande de Martin Davidson et d’autres allumés, ESP a finalement inclus le « vrai » Spirits dans une réédition CD ESP 1002. Le 9ème morceau de ce Prophecy First Visit, intitulé « Children » (et sa mélodie de base) est identique à ce Spirits inclus dans le LP ESP 1002, si ce n’est que la version présente est plus forcenée, plus incisive, plus sauvage, car il s’agit du dernier morceau joué lors du concert, vraisemblablement. On entend d’ailleurs « Children » dans l’album aylérien suivant, « Ghosts » a/k/a « Vibrations », enregistré avec les trois mêmes plus Don Cherry à Copenhagen en automne 1964 et aussi dans le CD d’A.A., The Copenhagen Tapes (Ayler Records) enregistrements publiés dans la grosse boîte Holy Ghost, chère aux collectionneurs fétichistes (label Revenant). Quelle époque !
Evan Parker Barry Guy So It Goes Maya Recordings MCD 2301.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/so-it-goes
Il s’agit bien du cinquième album d’Evan Parker et Barry Guy en duo après Incision (FMP SAJ 1981), Tai Kyoku (jazz & Now 1985), Obliquities (Maya 1995) et Birds & Blades (Intakt 2001, sans compter les nombreux albums en trio avec Paul Lytton. La musique du duo a toujours fluctué entre un jazz très libre complexe décoiffant et très détaillé mélodiquement et/ou une approche délibérément sonore, éraillée et presque bruitiste comme sur cet album du duo enregistré au Japon ou la collaboration avec Eddie Prévost et Keith Rowe (Supersession/ Matchless). Dans cet album dédié à Samuel Beckett et John Stevens et intitulé « So It Goes », un rituel bout de phrase de Stevens et extrait des correspondances de Beckett (quelle coïncidence !), Guy et Parker ont réuni deux duos contrebasse – sax ténor (So It Goes 1 et So It Goes 3) qui ouvrent et clôturent l’album pour 12 :13 et 10 :42 minutes, un duo sax soprano et contrebasse (So It Goes 2 pour 5 :48), un solo de basse (Grit 6 :47) et un solo de sax soprano (Creek Creak 5 :28) d'Evan Parker. On y retrouve concentrées les caractéristiques spécifiques de leur(s) musique(s), y compris le solo en respiration circulaire avec harmoniques, spirales imbriquées, illusion de polyphonie et notes très aiguës jouées au-dessus du registre aigu et ces pulsations isochrones tournoyantes. Ce qui me touche le plus est cette capacité à dialoguer librement avec une très grande précision comme si le matériau mélodique développé interactivement et les structures harmoniques qu’il implique apparaît clairement comme une démarche commune, interconnectée au plus profond de leurs neurones, leur perception, et leurs gestes réactifs. Une qualité d’écoute, un grand sens des nuances, un souffle décontracté prêt à s’emballer dans les spirales les plus hardies aux intervalles de notes « tarabiscotés » comme on aime en écouter chez Trane ou Braxton. Barry Guy s’affirme comme un contrebassiste « violoniste » aussi énergétique que délicat et léger avec cette unique qualité de frottement à l’archet (quels sons aigus sublimes) qui contrastent hardiment avec ses pizzicatos complètement décalés en zig-zag, bourdonnements, sursauts etc… Il y a des moments où la musique s’arrête subitement, les sons s’éclatent, implosent par giclées et frictions bruissantes pour mourir dans le silence. Parmi leurs grands œuvres enregistrés, un moment intime d’une belle qualité musicale fruit d’une collaboration et de recherches fructueuses depuis quasi un demi-siècle.
Nuageux Gertrude Klopotec IZKCD156
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_gertrude_nuageux/
Sorry pour le retard pris pour la rédaction de ce texte sensé commenter cet excellent album de Gertrude intitulé Nuageux et ses dix morceaux - compositions orchestrales pour ensemble d’instruments à vents de durées très variées. Clarissa Durizzotto clarinette, Paolo Pascolo flûtes, Gabriele Cancelli trompette, Marko Cisilino trombone et french horn, Martin O’Loughlin tuba. Gertrude, comme Gudule, est le parfait prénom médiéval Brabançon typiquement belge d’une autre époque, devenu un tant soit peu godiche au fil des siècles. Et puis , il est question de Cielo, Cloud, Temporale, Nuageux, ça évoque un pays de par chez nous où il pleut plus souvent qu’à son tour (Pays Bas, Belgique…) . À l’écoute, ce qui débute par une sorte de gimmick mélancolique venteux et pluvieux se révèle au fil des morceaux très variés, comme une musique chatoyante, amusante, nostalgique avec force remarquables voicings, développements de formes et un bel amalgame orchestral, goût des nuances, demi-teintes, passages insolites, bâillements même. Rêveuse aussi : les deux Sonno parte 1 & parte 2 (Sonno : songe ou sommeil, c’est selon). Goût italien de la mélodie et faussoiements de notes. Assemblage insolite et décalé (Ovi – 1:42). Mais aussi, son d’ensemble travaillé, contre-chants, effets de canon . Même si je ne perçois pas bien le but de la musique, celle-ci, remarquablement bien exécutée et somme toute originale, se déploie à son avantage dans un parcours parfois accidenté (Ceneri 6 :35) et fructueux, si l’on considère chacune des compositions renouvelant agréablement les débats. On peut largement y trouver son plaisir et cette étonnante nostalgie imaginaire. Eh oui, il me faut du temps pour parvenir à écrire, les albums 100% improvisés étant prioritaires vu mes choix éditoriaux. Mais ne boudons pas notre plaisir , Gertrude est un projet méritant et avec un tel prénom ...
https://johnedwards.bandcamp.com/album/lisbon-solo-2
Une seule improvisation de 36 :20 durant lesquelles John Edwards fait vibrer les cordes, la touche, le corps de l’instrument, avec autant de sauvagerie débridée que de contrôle instrumental … alternant la percussion des cordes, les frottements ligneux, les glissandi, la frappe « col legno », les rebondissements de l’archet. Un jeu organique, frénétique ou détaché. Vous souvenez – vous de l’île au Trésor de R.L. Stevenson, ce livre légendaire qui raconte les tribulations du jeune Jim Hawkins et le pirate cuistot unijambiste et Long John Silver ? Stevenson décrit la force redoutable des doigts et des mains de Long John Silver qui agrippe et maintient le jeune Jim Hawkins sous sa domination en lui les serrant les bras tel une pince, un étau. John Edwards incarne à la fois toute l’espérance du jeune aventurier et la force irrésistible puissante du forban qui inflige des chocs et des pizzicato furieux en saccades improbables pressant les cordes sur la touche avec une force inouïe, dure et élastique. Au fil de sa longue improvisation, il décline toutes sortes d’effets, de résonances, de notes appuyées au-delà des gammes, grattements crissants, grosses vibrations bouleversant l’âme de l’instrument, la carcasse tremblante, le son du bois hypertrophié, des dérapages et incartades de l’archet, des bruitages insensés et surprenants . C’est à la fois intime, furieux, sauvage, savamment dosé et subtilement enchaîné dans l’instant. Un sommet qui apporte encor plus d’au au moulin de ses solos (cfr Volume/ CD Psi). John Edwards est l’aventurier de la contrebasse, son pirate qui aurait viré de bord pour la cause de l’amour du prochain et une réincarnation de ce Jim Hawkins de légende à qui tout arrive et qui parvient à retomber sur ses pattes après bien des aventures périlleuses … et… quelles pattes ! Ahurissant, existentiel. Unique.
Albert Ayler Trio avec Sunny Murray et Gary Peacock Prophecy Live First Visit Complete ezz-thetics 109.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/prophecy-live-first-visit
12 juin 1964, Cellar Café, NYC : l’an zéro du free-jazz. Lors d’un concert légendaire, le poète Paul Haines enregistre ce nouveau trio issu d’un quintet – quartet de Paul Bley auquel participaientt John Gilmore, Gary Peacock, Paul Motian et puis Sunny Murray et, ensuite ce mystérieux saxophoniste ténor rencontré par Cecil Taylor et Sunny Murray en Suède au Gyllene Cirkel presque deux ans plus tôt: ALBERT AYLER. Dans l’assistance, il y a John Coltrane, Bill Dixon et beaucoup d’autres. Le mois suivant, ce trio (Albert Ayler Gary Peacock et Sunny Murray) enregistrera « Spiritual Unity » pour le label ESP Disk – ESP 1002. Jusqu’en 1975, les auditeurs et amateurs n’écouteront que l’Albert Ayler Trio enregistré en MONO et réédité en stéréo par ESP, Fontana etc .. avec une autre version du morceau Spirits indiqué en 1/ de la face B dc ce légendaire SPIRITUAL UNITY. Le vrai talisman audio de l’ « Albert Ayler Trio » est bien cet album live qui fut ensuite publié en 1975 par ESP Disk (Réf. ESP 3030) juste avant la cessation d'activités. Par rapport à Spiritual Unity Stéréo, la version la plus connue et la plus vendue, on y entend le « vrai » Spirits tel qu’on l’entend aussi dans l’album Spirits (publié par Debut et dont la réédition Transatlantic British reproduit le dessin de pochette).
Le grand avantage de ce CD , c’est qu’il reproduit avec un nouveau mastering l’entièreté des neuf morceaux enregistrés lors de ce concert inoubliable. Tu parles, c’est lors de ce concert que John Coltrane a été marqué à jamais et on retrouve dans le jeu de ce géant, certains des caractéristiques expressives d’Ayler.Bon nombre d'artistes incontournables du free-jazz étaient présents comme les apôtres du Christ lors de la ... Première Cène... On a droit à Spirits, Wizard et les deux versions de Ghosts 1st & 2nd Variations , … écoutez, vous comprendrez « ces deux variations ». Mais aussi Prophecy, Saints, encore Ghost , encore Wizard, Children (noté Spirits dans l’édition ESP 1002 Stereo). Oui c’est masterisé sérieusement : il suffit d’écouter le son de la contrebasse de Gary Peacock et ses doigtés – pizzicatos révolutionnaires. Oui, c’est bien l’an zéro du « vrai » free-jazz. Sunny joue ses vagues de vibrations sonores hors tempo, le saxophoniste énonce les thèmes mélodiques genre comptines enfantines pour s’échapper dans des glissandi et harmoniques, en speaking tongues échevelées et morsures rageuses, contorsionnant l’articulation du souffle, criant l’espoir et le désespoir. Tabula rasa ! Et le comble dans ce trio révolutionnaire, l’attitude cool et relax du contrebassiste qui joue sur un tout autre plan avec une sonorité de basse chaleureuse et des déboulés à la fois speedés, imprévisibles et … lyriques. La cohérence du trio est aussi puissante et irrévocable que le contraste entre Ayler et Peacock est total. C’est là que des improvisateurs « libres » comme John Stevens et Paul Lovens viendront puiser leur inspiration qui les amèneront dans un autre univers. En plus d’un point de vue « transharmonique » - les intervalles etc… ce sont les faces d’Ayler les plus révélatrices qui permettent de se faire un idée la plus fidèle de sa démarche ou de son « système », tout comme Coltrane ou Coleman ont leurs propres systèmes qui sous-tend leurs visions et les libertés qu’ils se donnent et nous donnent. Rien que pour la troisième version survoltée et différente de Ghosts en 7/ vous en aurez pour votre argent… Même si vous trouvez cet album à un prix trop cher, rien ne justifie de ne pas l’acheter. Car, face à ce moment de folie enregistrée en 1964, vous pouvez jeter une bonne partie de votre collection de disques de «free-jazz», tellement c’est extraordinaire…
Pour la petite histoire, Sunny Murray détenait l’entièreté des bandes de ce concert mirifique et en a fait publier l’entièreté dans « Albert Smiles with Sunny », un double CD du label In Respect en 1996 avec l’aide de Harmut Geerken, musicien et activiste impliqué dans la scène free. Ce double album s’est attiré les foudres d’un représentant légal d’ayant droit, comme si cette musique n’appartenait pas autant à Albert qu’à Sunny, celui-ci inventant un style aussi personnel et innovant que celui d’Albert. Ezz-thetics avait déjà publié cet album en caractères orange « Hatology ». Le voici avec des lettres bleues, celui du blues le plus profond. À se taper la tête contre les murs. LE DISQUE DE FREE JAZZ par excellence.
NB : pour ceux qui recherchent l’album vinyle avec le « véritable » Spiritual Unity – avec – le vrai-Spirits gravé sur le vinyle ESP 1002 MONO ( !), j’informe que le seul autre vinyle ou CD qui reproduit cette version originale est le LP Spiritual Unity publié par E.S.P. Explosive (France) et cela le restera longtmps. Mais qui s’en doute ? Par la suite on retrouve cette version dans le CD réédité par le label japonais Venus. Beaucoup plus tard et à la demande de Martin Davidson et d’autres allumés, ESP a finalement inclus le « vrai » Spirits dans une réédition CD ESP 1002. Le 9ème morceau de ce Prophecy First Visit, intitulé « Children » (et sa mélodie de base) est identique à ce Spirits inclus dans le LP ESP 1002, si ce n’est que la version présente est plus forcenée, plus incisive, plus sauvage, car il s’agit du dernier morceau joué lors du concert, vraisemblablement. On entend d’ailleurs « Children » dans l’album aylérien suivant, « Ghosts » a/k/a « Vibrations », enregistré avec les trois mêmes plus Don Cherry à Copenhagen en automne 1964 et aussi dans le CD d’A.A., The Copenhagen Tapes (Ayler Records) enregistrements publiés dans la grosse boîte Holy Ghost, chère aux collectionneurs fétichistes (label Revenant). Quelle époque !
Evan Parker Barry Guy So It Goes Maya Recordings MCD 2301.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/so-it-goes
Il s’agit bien du cinquième album d’Evan Parker et Barry Guy en duo après Incision (FMP SAJ 1981), Tai Kyoku (jazz & Now 1985), Obliquities (Maya 1995) et Birds & Blades (Intakt 2001, sans compter les nombreux albums en trio avec Paul Lytton. La musique du duo a toujours fluctué entre un jazz très libre complexe décoiffant et très détaillé mélodiquement et/ou une approche délibérément sonore, éraillée et presque bruitiste comme sur cet album du duo enregistré au Japon ou la collaboration avec Eddie Prévost et Keith Rowe (Supersession/ Matchless). Dans cet album dédié à Samuel Beckett et John Stevens et intitulé « So It Goes », un rituel bout de phrase de Stevens et extrait des correspondances de Beckett (quelle coïncidence !), Guy et Parker ont réuni deux duos contrebasse – sax ténor (So It Goes 1 et So It Goes 3) qui ouvrent et clôturent l’album pour 12 :13 et 10 :42 minutes, un duo sax soprano et contrebasse (So It Goes 2 pour 5 :48), un solo de basse (Grit 6 :47) et un solo de sax soprano (Creek Creak 5 :28) d'Evan Parker. On y retrouve concentrées les caractéristiques spécifiques de leur(s) musique(s), y compris le solo en respiration circulaire avec harmoniques, spirales imbriquées, illusion de polyphonie et notes très aiguës jouées au-dessus du registre aigu et ces pulsations isochrones tournoyantes. Ce qui me touche le plus est cette capacité à dialoguer librement avec une très grande précision comme si le matériau mélodique développé interactivement et les structures harmoniques qu’il implique apparaît clairement comme une démarche commune, interconnectée au plus profond de leurs neurones, leur perception, et leurs gestes réactifs. Une qualité d’écoute, un grand sens des nuances, un souffle décontracté prêt à s’emballer dans les spirales les plus hardies aux intervalles de notes « tarabiscotés » comme on aime en écouter chez Trane ou Braxton. Barry Guy s’affirme comme un contrebassiste « violoniste » aussi énergétique que délicat et léger avec cette unique qualité de frottement à l’archet (quels sons aigus sublimes) qui contrastent hardiment avec ses pizzicatos complètement décalés en zig-zag, bourdonnements, sursauts etc… Il y a des moments où la musique s’arrête subitement, les sons s’éclatent, implosent par giclées et frictions bruissantes pour mourir dans le silence. Parmi leurs grands œuvres enregistrés, un moment intime d’une belle qualité musicale fruit d’une collaboration et de recherches fructueuses depuis quasi un demi-siècle.
Nuageux Gertrude Klopotec IZKCD156
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_gertrude_nuageux/
Sorry pour le retard pris pour la rédaction de ce texte sensé commenter cet excellent album de Gertrude intitulé Nuageux et ses dix morceaux - compositions orchestrales pour ensemble d’instruments à vents de durées très variées. Clarissa Durizzotto clarinette, Paolo Pascolo flûtes, Gabriele Cancelli trompette, Marko Cisilino trombone et french horn, Martin O’Loughlin tuba. Gertrude, comme Gudule, est le parfait prénom médiéval Brabançon typiquement belge d’une autre époque, devenu un tant soit peu godiche au fil des siècles. Et puis , il est question de Cielo, Cloud, Temporale, Nuageux, ça évoque un pays de par chez nous où il pleut plus souvent qu’à son tour (Pays Bas, Belgique…) . À l’écoute, ce qui débute par une sorte de gimmick mélancolique venteux et pluvieux se révèle au fil des morceaux très variés, comme une musique chatoyante, amusante, nostalgique avec force remarquables voicings, développements de formes et un bel amalgame orchestral, goût des nuances, demi-teintes, passages insolites, bâillements même. Rêveuse aussi : les deux Sonno parte 1 & parte 2 (Sonno : songe ou sommeil, c’est selon). Goût italien de la mélodie et faussoiements de notes. Assemblage insolite et décalé (Ovi – 1:42). Mais aussi, son d’ensemble travaillé, contre-chants, effets de canon . Même si je ne perçois pas bien le but de la musique, celle-ci, remarquablement bien exécutée et somme toute originale, se déploie à son avantage dans un parcours parfois accidenté (Ceneri 6 :35) et fructueux, si l’on considère chacune des compositions renouvelant agréablement les débats. On peut largement y trouver son plaisir et cette étonnante nostalgie imaginaire. Eh oui, il me faut du temps pour parvenir à écrire, les albums 100% improvisés étant prioritaires vu mes choix éditoriaux. Mais ne boudons pas notre plaisir , Gertrude est un projet méritant et avec un tel prénom ...
1 juin 2025
Barry Guy Plays/ Charlotte Hug voice & viola/ Cecil Taylor Unit w Jimmy Lyons Ramsey Ameen Alan Silva Sunny Murray & Jerome Cooper
Barry Guy PLAYS Luca Lombardi Hubert Stuppner Iannis Xenakis Bernard Rands John Anthony Celona “Anaklasis” with Stefano Scodanibbio Maya Recording MLP2401 2LP
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/barry-guy-plays-2
https://mayarecordings.com/barry_guy_plays
Il m’est arrivé rarement de chroniquer des albums spécifiques du contrebassiste Barry Guy ces dernières années, faute d’obtenir les CD’s ou LP’s, bien que je fus un des quelques acheteurs de ses premiers albums des années septante comme Iskra 1903 (avec P Rutherford et D Bailey Incus 3-4), son album solo Statements V-XI (Incus 22) et le trio Synopsys avec Howard Riley et Tony Oxley (Incus 13), ainsi que des premiers cd's chez Maya. Vouloir brosser le profil musical et esthétique de Barry Guy en deux coups de cuillère à pot est vraiment dérisoire. Musicien classique dont la pratique couvre le baroque et le contemporain, jazzman d’avant-garde, compositeur « sérieux », chef d’orchestre de son London Jazz Composers’ Orchestra, improvisateur libre qui croit autant à l’extrême énergie du free-jazz qu’à une musique spontanée d’exploration sonore et formelle. Formation d’architecte et amateur pointu d’art contemporain issu d’un milieu populaire. Le recto de pochette est décoré d’une œuvre colorée d’un de ses peintres favoris, Albert Irvine. Avec cet album d’archives, Barry Guy nous fait découvrir un aspect important de ses sources musicales, celles qui ont nourri la démarche de nombre de ses collègues improvisateurs (Bailey, Rutherford, Stevens, Schlippenbach, Wachsmann etc…) : la musique contemporaine occidentale dite atonale, sérielle, Varèse, Webern, Cage, Xenakis, Stockhausen, Berio etc… J’ajoute encore un petit détail pour les « définitionnistes » du tout « non – idiomatique ». L’année et le lieu même où Derek Bailey a enregistré ses premiers albums de Company (1977 Riverside Studios), Barry Guy enregistra un furieux trio avec le très free-jazzy Trevor Watts et John Stevens (No Fear)… Barry Guy est avant tout un musicien de confluences, créateur sans étiquette, ni justificatif idéologique.
La plupart des œuvres présentées ici ont été enregistrées en concert durant les années 70 à l’époque où celles-ci ont été écrites à l’exception de Memo I de Bernard Rands enregistrée en 2000 et la composition Anaklasis de Guy lui-même interprétée avec son collègue contrebassiste disparu, Stefano Scodannibbio. Aussi, étonnamment, il intervient vocalement dans Voicings de John Anthony Celona et dans Ausdrücke – Rondo für einen Clown d’Hubert Stuppner. Sont reproduites, deux lettres de Iannis Xenakis à l’occasion de l’enregistrement et d’une performance par Barry Guy de Theraps de ce compositeur.
Ce qui frappe à l’écoute c’est la vivacité et l’énergie à l’archet de Barry Guy au-delà de la précision de jeu, le sens de la dynamique, les changements fréquents d’intonation, la spatialisation de son travail sonore et le magnifique frottement en spirales des cordes à proximité du chevalet. Il y a une puissance organique et expressive similaire à celle du Barry Guy improvisateur, même s’il arrive souvent à celui-ci de nombreuses outrances bruitistes, des actions sauvages et provocantes. On se souvient de l’avoir vu frapper les cordes avec une grosse brosse à crin « pour se frotter le dos sous la douche » et une violence gestuelle. Mais derrière cette apparence sauvage et décalée , on entend tout la maîtrise instrumentale qui resplendit tout au long de ces enregistrements du passé. Par la grâce d’un minutieux et magique traitement des enregistrements d’archives par l’unique ingénieur du son Ferran Conangla, on entend ici une musique miraculée, sauvée des aléas de la conservation des bandes magnétiques, comme si tout cela était pur et neuf. Ces six interprétations musicales font corps, cas unique, avec sa musique improvisée « libre » et son free – jazz, le trio Evan Parker Barry Guy Paul Lyttons qui en réalise la synthèse, ses compositions et les orchestres dont il est responsable, sans barrière mentale, ni explication fumeuse. PLAYS est un document de première main d’une personnalité exceptionnelle et sans doute le tremplin vers la musique de ses albums solos Fizzles et Symmetries. Si d’un point de vue stylistique, cette musique, fidèle aux intentions des compositeurs, est bien différente de celle de Barry Guy en solo (cfr Fizzles & Symmetries), le feeling et l’énergie de l’improvisateur est palpable.
PS : je viens de mettre la main sur une copie de Tai Kyoku, le deuxième album du duo Barry Guy – Evan Parker (label jazz & Now), un concert datant de novembre 1985 à l’aube de la « carrière » du trio avec Paul Lytton où Barry incarne l’improvisation radicale sans concession, implosion – explosion bruitiste du jeu technique de la contrebasse.
Charlotte Hug In Resonance with Elsewhere voice viola Fundacja Sluchaj FSR 05 / 225
https://sluchaj.bandcamp.com/album/in-resonance-with-elsewhere
Performances en solo enregistrées en jouant/ improvisant simultanément de la voix et de l’alto ou viola en anglais, instrument de la famille des violons avec un registre plus grave que celui du violon. Toute la musique instrumentale est jouée en fonction du chant et de la voix et celle-ci fait corps avec les sons et le jeu de l’alto. Charlotte Hug se présente comme Composer Performer et Visual Artist car si elle construit sa musique avec les intentions spécifiques d’une véritable compositrice, celle-ci se crée dans l’instant avec la spontanéité de l’improvisation contemporaine « libre » en conjonction étroite avec ses propres Son-Icons, larges bandes de papier – tissu suspendues durant ses concerts , créations graphiques - complément organique intime de sa musique. Si ma description semble compliquée, elle nous fait passer son message mystérieux et sensible avec une authentique simplicité. Avec l’archet et son « soft bow », elle irise des sonorités diffuses, tissus d’harmoniques et de drones mouvantes alors que sa voix expire et « aspire » râles, murmures sotto voce, chant opératique étincelant, harmoniques, ululements de sybille, imprécations de fée et ces extraordinaires « percussions » glottales qu’elle module magiquement. La journaliste Annelis Berger la décrit comme une Shaman of Contemporary Music dans les notes de pochette. Je la dirais Voyante, Poète, Sybille de l’Au-delà, Vestale d’un rite imaginaire. Son travail à l’alto évite l’excès démonstratif de la virtuosité technique, celle-ci étant exclusivement et sincèrement au service de la sensibilité, d’une minutieux dosage sonore et vibratoire, d’une concentration sans faille à la recherche du sens profond de son art merveilleux et de l’émotion, vécu à certains moments comme un état de transe. Le raffinement total et une sûreté dans l'exécution simultanée vocale et instrumentale . In Resonance with Elsewhere. Cet Elsewhere : un ailleurs rêvé, d'autres cultures lointaines qui nourrissent la réflexion, l'au-delà entrevu dans la transe musicale ? La musique de cet album se décline en neuf pièces de différentes durées et approches sonores et expressives, superbement enregistrées les 29 et 30 juillet 2023. « No overdubbing or electronic modification was used in Tracks 1 to 6 and 9. Composition with multi-track in 7 & 8”. Mises à part ces deux plages 7 et 8, vous avez droit étonnamment à une musique entièrement acoustique en temps réel sans aucun artifice technologique, si on excepte la technique d’enregistrement avec la « 3D Audio Microphone technology » de Malgorzata Albinska-Frank, une excellente ingénieur son si j’en juge le résultat audio. Je vous jure que vous n’allez pas vous ennuyer tant cette Shaman visionnaire est capable d’incarner de multiples facettes de sa personnalité en se dédoublant de manière vraiment troublante. Charlotte Hug projette une dimension onirique, des vibrations extra-sensorielles, une intimité profonde combinée à une mise à distance d’elle-même dans le feu de l’action, de nombreuses variations de registres, d’intensités, d’émotions et une pluralité de formes dans une synergie assumée de nombreuses inspirations qui se fondent dans une expression tout à fait unique.
Chapeau aussi à l'ouverture de Fundacja Sluchaj, label qu'on pourrait qualifer de "free-jazz" si on considère ses nombreuses publications, et qui s'ouvre ici à un univers qui échappe aux radars pourchassant des esthétiques trop définies. J’avais écrit autrefois une des chroniques commentaires dont j’étais le plus fier au niveau de l’écriture, au sujet de son album Slipway to Galaxies (Emanem 2010) dans lequel Charlotte Hug avait documenté les débuts de cette démarche combinée voix et alto. Le temps a passé et la musique a évolué et s’est envolée dans l’air qui vibre. In Resonance with Elsewhere nécessite de nombreuses écoutes (sans lassitude aucune) pour en appréhender toute la richesse.
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 9, 1980 First Visit Ezz-thetics 101
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-9-1980-first-visit
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 10, 1980 First VisitEzz-thetics 111
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-10-1980-first-visit
` Enregistrements inédits de l’Unit de Cecil Taylor provenant d’une série de concert dont un large extrait « set » avait été publié par le même label autrefois avec l’étiquette Hat-Hut en double vinyle sous le titre It is in A Brewing Luminous. L’Unit de l’époque avait évolué depuis la trépidante équipée du triple album Hat Hut de 1977, One Too Many Salty Swifts And Not Goodbye. Le groupe était alors composé de Cecil Taylor piano, Raphé Malik trompette, Jimmy Lyons sax alto, Ramsey Ameen violon, Sirone contrebasse et Ron « Shannon » Jackson, le batteur qui jouait à l’époque dans le Prime Time d’Ornette Coleman. L’Unit convié à ce concert a dû se passer de la présence de Raphé Malik, mais se situe dans le sillage du groupe détaillé plus haut : il y a toujours Jimmy Lyons qui disparut en 1986 et le violoniste Ramsey Ameen et Malik malheureusement absent. Alan Silva, un camarade de longue date de Cecil durant l’époque des albums Unit Structures, Conquistador et Student’s Studies (1966) et de la première grande tournée européenne de C.T. L’ébouriffant batteur Shannon Jackson ayant fondé son propre groupe Decoding Society, Taylor a recours au créateur du free-jazz drumming Sunny Murray et du batteur Jerome Cooper, membre du Revolutionnary Trio avec, justement, Sirone et le violoniste Leroy Jenkins qui jouera dans la C.T. Unit dans une mémorable tournée européenne de 1987 documentée par quelques album du label Leo, Live in Vienna et Live in Bologna. D’ailleurs, la musique se développe d’une manière similaire à ces légendaires One Too Many Salty Swifts and Not Goodbye.
Je n’ai jamais compris pourquoi certains chroniqueurs français de Jazz Magazine et de Jazz-Hot semblaient terrifiés par la musique de Cecil Taylor et la préférait en solo (l’album Silent Tongues paru à l’époque de ses concerts à Montreux etc… , le recueil taylorien le plus « lisible »). J’écoute ici la démarche contrapuntique de Cecil bien avant que cela « délire » « free » dans le premier morceau du concert du 9 septembre. On a droit à l’imbrication du rythme et des éléments mélodiques au piano tel un « accompagnement complexe et mouvant qui se fait un écho du blues, du piano jazz moderne entre Monk, Ellington, Bud Powell et Lennie Tristano et quelles harmonies (!!), alors que Jimmy Lyons énonce le « thème » et le restructure systématiquement par tronçons – variations évolutives qui respire les intonations sacrées de son Charlie Parker le plus pur tout en se faisant le devin soufflant du jeu du pianiste. La dualité main gauche - main droite chère au pianistes de jazz est évacuée au bénéfice d'une extraordinaire coordination des doigtés et mouvements des deux mains (mais aussi des coudes, de l'avant-bras)qui se relaientindéfiniment dans un mouvement constant de pulsations changeantes. On mesure aussi l’influence de Bartok, Schönberg et Messiaen. Rien que pour cela, un vrai fan de jazz normal devrait adorer. Par la suite, au fil des minutes cela se complique, chahute, secoue, violente avec une obstination incompressible. En se concentrant sur le jeu précis et multiforme au piano et les spirales exacerbées du saxophoniste (1. February 9, 1980 I – 24 :06 et toutes ces réitérations de fragments thématiques connectés les uns aux autres, leurs variations, extemporisations et extrapolations vitalistes free, on parvient avec une peu d’habitude d’écoute à happer les meilleures idées au vol et à construire - appréhender intérieurement le cheminement extravagant de cette musique. La contrebasse est un peu enterrée et les deux batteurs tourbillonnent dans le maëlstrom, parfois submergés par les assauts insistants des vagues rythmiques – pulsations libérées aux axes dilatés. Et une fois parvenu à un point qui semble une situations de non-retour , c’est l’accalmie. Cecil rejoue autrement la section du début seul ou avec un ou deux acolytes et relance sa quête dans une direction différente pour quelques minutes jusqu’au point où il joue et rejoue les parties mélodiques de chaque tronçon de la composition et de chacun des musiciens tout en se lançant dans de courts tourbillons de note inspiré par le détail de chacune des sections appelant chacun d’eux à intervenir dans une subtile constructions aux motifs et dimensions mouvantes .. et toujours avec ces scansions, cette conception ultra- et poly- rythmique qui n’appartient qu’à lui. C’est une musique construite et élaborée dans une vision constructiviste où le ou les début(s), les variations, les sections secondaires ou successives s’imbriquent avec une incroyable complexité dans une débauche d’énergies et de tensions qu’on retrouve chez très peu d’artistes dans cet idiome (Schlippenbach – Parker – Lovens, par exemple). Dans cet univers strictement « atonal » et abruptement « clusterisé » règne une grand ouverture formelle. Il convient de considérer la coexistence au sein de l’Unit entre le langage blues post-parkérien exacerbé de J. Lyons et les folles frictions ensauvagées du violoniste Ramsey Ameen à l’archet sur les quatre cordes écrasées sans pitié sur la touche dans un sciage furieux, crissant et virevoltant qui compresse les fréquences comme dans une matière picturale abstraite. Il faut une évidente habitude d’écoute et une certaine expérience pour s’orienter dans cet éclatement du continuum spatio-temporel. Fort heureusement, j’ai pu m’exercer à écouter les deux faces de Conquistador (lp Blue Note avec Andrew Cyrille,J.Lyons, Bill Dixon,Henry Grimes et Alan Silva) et les quatre morceaux d’Unit Structures… qui aujourd’hui paraissent bien courtes et concentrées par rapport à la distance et la durée parcourueq lors de ces deux concerts – fleuves. Vous pouvez très bien décrocher un moment, penser à autre chose et vous replonger dans la musique quand des passages incroyables surgissent et happent toute vos capacités perceptives et émotionnelles comme dans un rêve (cfr la fin de 2. February 9, 1980 II (20:43) ou la partie vers les 8-9 minutes de 3. February 9, 1980 III (21 :17), avant les vocaux forcenés du leader et la mélopée microtonale au violon. Et quels enchaînements inédits de configurations instrumentales qui délivrent d’autres surprenantes perspectives de l’Unit vers la fin du concert. Extraordinaire ! Les deux enregistrements reproduits ici me semblent plus lisibles que ceux parus dans le double vinyle Hat Hut de 1981 même si la prise de sons des deux batteurs est un peu trop sourde et confuse, sa spatialisation dans le champ auditif étant déformée. Mais c’est ainsi et ça s’écoute ! Aussi ces deux enregistrements mettent bien en évidence la spécificité de Taylor, le compositeur. Sa musique est basée sur des structures arborescentes semblables à ces arbres africains aux longues branches tortueuses sur lesquelles viennent pousser / s’épanouir/ éclore, rameaux, feuilles, fleurs et fruits.. Les « thèmes » anguleux ou spiralés et multiples riffs de base en sont les branches qu’il enchaîne successivement avec ses musiciens en laissant chacun de ces « tronçons » évoluer et se métamorphoser en folles improvisations organiques accélérées dans une jungle végétale colorée, celle des branches secondaires, rameaux, feuillages, floraisons, lianes, oiseaux, insectes etc… à la vitesse éclair comme si on projetait le film de la vie en quelques instants qui semblent éclater dans un moment d’éternité.
Re … concert fleuve : le total de February 9, 1980 I,II et III s’élève à 66 minutes 8 secondes. Un copain qui, très jeune, a tourné avec Cecil s’est trouvé à jouer des concerts de deux fois deux heures : après les quinze premières minutes, il a eu l’impression qu’il allait mourir ! . Pensez à ce musicien, un des artistes virtuoses parmi les plus brillants que j’ai pu rencontrer en 50 ans de « carrière » d’écouteur. Alors, vous en prendrez bien pour 20-24 minutes sans ciller.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/barry-guy-plays-2
https://mayarecordings.com/barry_guy_plays
Il m’est arrivé rarement de chroniquer des albums spécifiques du contrebassiste Barry Guy ces dernières années, faute d’obtenir les CD’s ou LP’s, bien que je fus un des quelques acheteurs de ses premiers albums des années septante comme Iskra 1903 (avec P Rutherford et D Bailey Incus 3-4), son album solo Statements V-XI (Incus 22) et le trio Synopsys avec Howard Riley et Tony Oxley (Incus 13), ainsi que des premiers cd's chez Maya. Vouloir brosser le profil musical et esthétique de Barry Guy en deux coups de cuillère à pot est vraiment dérisoire. Musicien classique dont la pratique couvre le baroque et le contemporain, jazzman d’avant-garde, compositeur « sérieux », chef d’orchestre de son London Jazz Composers’ Orchestra, improvisateur libre qui croit autant à l’extrême énergie du free-jazz qu’à une musique spontanée d’exploration sonore et formelle. Formation d’architecte et amateur pointu d’art contemporain issu d’un milieu populaire. Le recto de pochette est décoré d’une œuvre colorée d’un de ses peintres favoris, Albert Irvine. Avec cet album d’archives, Barry Guy nous fait découvrir un aspect important de ses sources musicales, celles qui ont nourri la démarche de nombre de ses collègues improvisateurs (Bailey, Rutherford, Stevens, Schlippenbach, Wachsmann etc…) : la musique contemporaine occidentale dite atonale, sérielle, Varèse, Webern, Cage, Xenakis, Stockhausen, Berio etc… J’ajoute encore un petit détail pour les « définitionnistes » du tout « non – idiomatique ». L’année et le lieu même où Derek Bailey a enregistré ses premiers albums de Company (1977 Riverside Studios), Barry Guy enregistra un furieux trio avec le très free-jazzy Trevor Watts et John Stevens (No Fear)… Barry Guy est avant tout un musicien de confluences, créateur sans étiquette, ni justificatif idéologique.
La plupart des œuvres présentées ici ont été enregistrées en concert durant les années 70 à l’époque où celles-ci ont été écrites à l’exception de Memo I de Bernard Rands enregistrée en 2000 et la composition Anaklasis de Guy lui-même interprétée avec son collègue contrebassiste disparu, Stefano Scodannibbio. Aussi, étonnamment, il intervient vocalement dans Voicings de John Anthony Celona et dans Ausdrücke – Rondo für einen Clown d’Hubert Stuppner. Sont reproduites, deux lettres de Iannis Xenakis à l’occasion de l’enregistrement et d’une performance par Barry Guy de Theraps de ce compositeur.
Ce qui frappe à l’écoute c’est la vivacité et l’énergie à l’archet de Barry Guy au-delà de la précision de jeu, le sens de la dynamique, les changements fréquents d’intonation, la spatialisation de son travail sonore et le magnifique frottement en spirales des cordes à proximité du chevalet. Il y a une puissance organique et expressive similaire à celle du Barry Guy improvisateur, même s’il arrive souvent à celui-ci de nombreuses outrances bruitistes, des actions sauvages et provocantes. On se souvient de l’avoir vu frapper les cordes avec une grosse brosse à crin « pour se frotter le dos sous la douche » et une violence gestuelle. Mais derrière cette apparence sauvage et décalée , on entend tout la maîtrise instrumentale qui resplendit tout au long de ces enregistrements du passé. Par la grâce d’un minutieux et magique traitement des enregistrements d’archives par l’unique ingénieur du son Ferran Conangla, on entend ici une musique miraculée, sauvée des aléas de la conservation des bandes magnétiques, comme si tout cela était pur et neuf. Ces six interprétations musicales font corps, cas unique, avec sa musique improvisée « libre » et son free – jazz, le trio Evan Parker Barry Guy Paul Lyttons qui en réalise la synthèse, ses compositions et les orchestres dont il est responsable, sans barrière mentale, ni explication fumeuse. PLAYS est un document de première main d’une personnalité exceptionnelle et sans doute le tremplin vers la musique de ses albums solos Fizzles et Symmetries. Si d’un point de vue stylistique, cette musique, fidèle aux intentions des compositeurs, est bien différente de celle de Barry Guy en solo (cfr Fizzles & Symmetries), le feeling et l’énergie de l’improvisateur est palpable.
PS : je viens de mettre la main sur une copie de Tai Kyoku, le deuxième album du duo Barry Guy – Evan Parker (label jazz & Now), un concert datant de novembre 1985 à l’aube de la « carrière » du trio avec Paul Lytton où Barry incarne l’improvisation radicale sans concession, implosion – explosion bruitiste du jeu technique de la contrebasse.
Charlotte Hug In Resonance with Elsewhere voice viola Fundacja Sluchaj FSR 05 / 225
https://sluchaj.bandcamp.com/album/in-resonance-with-elsewhere
Performances en solo enregistrées en jouant/ improvisant simultanément de la voix et de l’alto ou viola en anglais, instrument de la famille des violons avec un registre plus grave que celui du violon. Toute la musique instrumentale est jouée en fonction du chant et de la voix et celle-ci fait corps avec les sons et le jeu de l’alto. Charlotte Hug se présente comme Composer Performer et Visual Artist car si elle construit sa musique avec les intentions spécifiques d’une véritable compositrice, celle-ci se crée dans l’instant avec la spontanéité de l’improvisation contemporaine « libre » en conjonction étroite avec ses propres Son-Icons, larges bandes de papier – tissu suspendues durant ses concerts , créations graphiques - complément organique intime de sa musique. Si ma description semble compliquée, elle nous fait passer son message mystérieux et sensible avec une authentique simplicité. Avec l’archet et son « soft bow », elle irise des sonorités diffuses, tissus d’harmoniques et de drones mouvantes alors que sa voix expire et « aspire » râles, murmures sotto voce, chant opératique étincelant, harmoniques, ululements de sybille, imprécations de fée et ces extraordinaires « percussions » glottales qu’elle module magiquement. La journaliste Annelis Berger la décrit comme une Shaman of Contemporary Music dans les notes de pochette. Je la dirais Voyante, Poète, Sybille de l’Au-delà, Vestale d’un rite imaginaire. Son travail à l’alto évite l’excès démonstratif de la virtuosité technique, celle-ci étant exclusivement et sincèrement au service de la sensibilité, d’une minutieux dosage sonore et vibratoire, d’une concentration sans faille à la recherche du sens profond de son art merveilleux et de l’émotion, vécu à certains moments comme un état de transe. Le raffinement total et une sûreté dans l'exécution simultanée vocale et instrumentale . In Resonance with Elsewhere. Cet Elsewhere : un ailleurs rêvé, d'autres cultures lointaines qui nourrissent la réflexion, l'au-delà entrevu dans la transe musicale ? La musique de cet album se décline en neuf pièces de différentes durées et approches sonores et expressives, superbement enregistrées les 29 et 30 juillet 2023. « No overdubbing or electronic modification was used in Tracks 1 to 6 and 9. Composition with multi-track in 7 & 8”. Mises à part ces deux plages 7 et 8, vous avez droit étonnamment à une musique entièrement acoustique en temps réel sans aucun artifice technologique, si on excepte la technique d’enregistrement avec la « 3D Audio Microphone technology » de Malgorzata Albinska-Frank, une excellente ingénieur son si j’en juge le résultat audio. Je vous jure que vous n’allez pas vous ennuyer tant cette Shaman visionnaire est capable d’incarner de multiples facettes de sa personnalité en se dédoublant de manière vraiment troublante. Charlotte Hug projette une dimension onirique, des vibrations extra-sensorielles, une intimité profonde combinée à une mise à distance d’elle-même dans le feu de l’action, de nombreuses variations de registres, d’intensités, d’émotions et une pluralité de formes dans une synergie assumée de nombreuses inspirations qui se fondent dans une expression tout à fait unique.
Chapeau aussi à l'ouverture de Fundacja Sluchaj, label qu'on pourrait qualifer de "free-jazz" si on considère ses nombreuses publications, et qui s'ouvre ici à un univers qui échappe aux radars pourchassant des esthétiques trop définies. J’avais écrit autrefois une des chroniques commentaires dont j’étais le plus fier au niveau de l’écriture, au sujet de son album Slipway to Galaxies (Emanem 2010) dans lequel Charlotte Hug avait documenté les débuts de cette démarche combinée voix et alto. Le temps a passé et la musique a évolué et s’est envolée dans l’air qui vibre. In Resonance with Elsewhere nécessite de nombreuses écoutes (sans lassitude aucune) pour en appréhender toute la richesse.
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 9, 1980 First Visit Ezz-thetics 101
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-9-1980-first-visit
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 10, 1980 First VisitEzz-thetics 111
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-10-1980-first-visit
` Enregistrements inédits de l’Unit de Cecil Taylor provenant d’une série de concert dont un large extrait « set » avait été publié par le même label autrefois avec l’étiquette Hat-Hut en double vinyle sous le titre It is in A Brewing Luminous. L’Unit de l’époque avait évolué depuis la trépidante équipée du triple album Hat Hut de 1977, One Too Many Salty Swifts And Not Goodbye. Le groupe était alors composé de Cecil Taylor piano, Raphé Malik trompette, Jimmy Lyons sax alto, Ramsey Ameen violon, Sirone contrebasse et Ron « Shannon » Jackson, le batteur qui jouait à l’époque dans le Prime Time d’Ornette Coleman. L’Unit convié à ce concert a dû se passer de la présence de Raphé Malik, mais se situe dans le sillage du groupe détaillé plus haut : il y a toujours Jimmy Lyons qui disparut en 1986 et le violoniste Ramsey Ameen et Malik malheureusement absent. Alan Silva, un camarade de longue date de Cecil durant l’époque des albums Unit Structures, Conquistador et Student’s Studies (1966) et de la première grande tournée européenne de C.T. L’ébouriffant batteur Shannon Jackson ayant fondé son propre groupe Decoding Society, Taylor a recours au créateur du free-jazz drumming Sunny Murray et du batteur Jerome Cooper, membre du Revolutionnary Trio avec, justement, Sirone et le violoniste Leroy Jenkins qui jouera dans la C.T. Unit dans une mémorable tournée européenne de 1987 documentée par quelques album du label Leo, Live in Vienna et Live in Bologna. D’ailleurs, la musique se développe d’une manière similaire à ces légendaires One Too Many Salty Swifts and Not Goodbye.
Je n’ai jamais compris pourquoi certains chroniqueurs français de Jazz Magazine et de Jazz-Hot semblaient terrifiés par la musique de Cecil Taylor et la préférait en solo (l’album Silent Tongues paru à l’époque de ses concerts à Montreux etc… , le recueil taylorien le plus « lisible »). J’écoute ici la démarche contrapuntique de Cecil bien avant que cela « délire » « free » dans le premier morceau du concert du 9 septembre. On a droit à l’imbrication du rythme et des éléments mélodiques au piano tel un « accompagnement complexe et mouvant qui se fait un écho du blues, du piano jazz moderne entre Monk, Ellington, Bud Powell et Lennie Tristano et quelles harmonies (!!), alors que Jimmy Lyons énonce le « thème » et le restructure systématiquement par tronçons – variations évolutives qui respire les intonations sacrées de son Charlie Parker le plus pur tout en se faisant le devin soufflant du jeu du pianiste. La dualité main gauche - main droite chère au pianistes de jazz est évacuée au bénéfice d'une extraordinaire coordination des doigtés et mouvements des deux mains (mais aussi des coudes, de l'avant-bras)qui se relaientindéfiniment dans un mouvement constant de pulsations changeantes. On mesure aussi l’influence de Bartok, Schönberg et Messiaen. Rien que pour cela, un vrai fan de jazz normal devrait adorer. Par la suite, au fil des minutes cela se complique, chahute, secoue, violente avec une obstination incompressible. En se concentrant sur le jeu précis et multiforme au piano et les spirales exacerbées du saxophoniste (1. February 9, 1980 I – 24 :06 et toutes ces réitérations de fragments thématiques connectés les uns aux autres, leurs variations, extemporisations et extrapolations vitalistes free, on parvient avec une peu d’habitude d’écoute à happer les meilleures idées au vol et à construire - appréhender intérieurement le cheminement extravagant de cette musique. La contrebasse est un peu enterrée et les deux batteurs tourbillonnent dans le maëlstrom, parfois submergés par les assauts insistants des vagues rythmiques – pulsations libérées aux axes dilatés. Et une fois parvenu à un point qui semble une situations de non-retour , c’est l’accalmie. Cecil rejoue autrement la section du début seul ou avec un ou deux acolytes et relance sa quête dans une direction différente pour quelques minutes jusqu’au point où il joue et rejoue les parties mélodiques de chaque tronçon de la composition et de chacun des musiciens tout en se lançant dans de courts tourbillons de note inspiré par le détail de chacune des sections appelant chacun d’eux à intervenir dans une subtile constructions aux motifs et dimensions mouvantes .. et toujours avec ces scansions, cette conception ultra- et poly- rythmique qui n’appartient qu’à lui. C’est une musique construite et élaborée dans une vision constructiviste où le ou les début(s), les variations, les sections secondaires ou successives s’imbriquent avec une incroyable complexité dans une débauche d’énergies et de tensions qu’on retrouve chez très peu d’artistes dans cet idiome (Schlippenbach – Parker – Lovens, par exemple). Dans cet univers strictement « atonal » et abruptement « clusterisé » règne une grand ouverture formelle. Il convient de considérer la coexistence au sein de l’Unit entre le langage blues post-parkérien exacerbé de J. Lyons et les folles frictions ensauvagées du violoniste Ramsey Ameen à l’archet sur les quatre cordes écrasées sans pitié sur la touche dans un sciage furieux, crissant et virevoltant qui compresse les fréquences comme dans une matière picturale abstraite. Il faut une évidente habitude d’écoute et une certaine expérience pour s’orienter dans cet éclatement du continuum spatio-temporel. Fort heureusement, j’ai pu m’exercer à écouter les deux faces de Conquistador (lp Blue Note avec Andrew Cyrille,J.Lyons, Bill Dixon,Henry Grimes et Alan Silva) et les quatre morceaux d’Unit Structures… qui aujourd’hui paraissent bien courtes et concentrées par rapport à la distance et la durée parcourueq lors de ces deux concerts – fleuves. Vous pouvez très bien décrocher un moment, penser à autre chose et vous replonger dans la musique quand des passages incroyables surgissent et happent toute vos capacités perceptives et émotionnelles comme dans un rêve (cfr la fin de 2. February 9, 1980 II (20:43) ou la partie vers les 8-9 minutes de 3. February 9, 1980 III (21 :17), avant les vocaux forcenés du leader et la mélopée microtonale au violon. Et quels enchaînements inédits de configurations instrumentales qui délivrent d’autres surprenantes perspectives de l’Unit vers la fin du concert. Extraordinaire ! Les deux enregistrements reproduits ici me semblent plus lisibles que ceux parus dans le double vinyle Hat Hut de 1981 même si la prise de sons des deux batteurs est un peu trop sourde et confuse, sa spatialisation dans le champ auditif étant déformée. Mais c’est ainsi et ça s’écoute ! Aussi ces deux enregistrements mettent bien en évidence la spécificité de Taylor, le compositeur. Sa musique est basée sur des structures arborescentes semblables à ces arbres africains aux longues branches tortueuses sur lesquelles viennent pousser / s’épanouir/ éclore, rameaux, feuilles, fleurs et fruits.. Les « thèmes » anguleux ou spiralés et multiples riffs de base en sont les branches qu’il enchaîne successivement avec ses musiciens en laissant chacun de ces « tronçons » évoluer et se métamorphoser en folles improvisations organiques accélérées dans une jungle végétale colorée, celle des branches secondaires, rameaux, feuillages, floraisons, lianes, oiseaux, insectes etc… à la vitesse éclair comme si on projetait le film de la vie en quelques instants qui semblent éclater dans un moment d’éternité.
Re … concert fleuve : le total de February 9, 1980 I,II et III s’élève à 66 minutes 8 secondes. Un copain qui, très jeune, a tourné avec Cecil s’est trouvé à jouer des concerts de deux fois deux heures : après les quinze premières minutes, il a eu l’impression qu’il allait mourir ! . Pensez à ce musicien, un des artistes virtuoses parmi les plus brillants que j’ai pu rencontrer en 50 ans de « carrière » d’écouteur. Alors, vous en prendrez bien pour 20-24 minutes sans ciller.
20 mai 2025
Stefan Keune – Sandy Ewen – Damon Smith/ Jimmy Lyons Live from Studio Rivbea 1974 & 1976 w Karen Borca Hayes Burnett Henry Letcher or Syd Smart/ Ivor Kallin solo
Stefan Keune – Sandy Ewen – Damon Smith Two Felt-Tip Pens: Live At Moers. For Hans Schneider (1951-2024) Balance Point Acoustics bpaltd 24024
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/two-felt-tip-pens-live-at-moers-bpaltd24024
Dédié au contrebassiste disparu Hans Schneider avec qui Stefan Keune a enregistré plusieurs albums : Live at the Loft / Hybrid (avec Paul Lytton), No comment / FMP et The Long and The Short of It/ Creative Sources, (avec Achim Kraemer), Nothing Particularly Horrible/FMR (avec John Russell et Paul Lovens) et XPACT II (avec Lytton et Erhard Hirt) Two Felt Tips est un trio excitant et exemplaire et un hommage à Hans co-signé par Stefan, le contrebassiste Damon Smith et la guitariste Sandy Ewen. Si la démarche de Sandy Ewen se réfère à celle de Keith Rowe, Damon Smith est un fan inconditionnel de nombreux contrebassistes, tels Mark Dresser, Peter Kowald, Barre Phillips, Joëlle Léandre etc… Ici il œuvre à créer une synergie subtile entre les deux pôles extrêmes de ce trio pour assurer une véritable cohérence : en effet, les principes d’émission sonore de Sandy Ewen à la guitare électrique et de Stefan Keune aux saxophones sopranino et alto divergent. En effet, Stefan Keune fragmente et déchiquète l’articulation de son souffle dans des distorsions hystériques initiée il y a si longtemps par Evan Parker aux moyens de doigtés croisés, d’harmoniques, d’abrupts sauts de registres et d’intensité dans des gerbes de shrapnels et d’éructions vitrioliques avec un caractère expressionniste affirmé concassant le moindre soupçon de mélodie au niveau atomique. Alors qu’Ewen frotte et frictionne les cordes dans de subtils micro-bruitages avec d’improbables ustensiles et des effets électroniques extrêmement bien ajustés de manière quasi introspective sans jamais "éclabousser". Le flux de l’une semble être l’antithèse de l’autre, le feeling de la guitariste étant nettement plus introverti et son activité instrumentale très minutieuse, bruissante, à la fois méthodique et poétique sans les soubresauts survoltés de son compère et son sens explosif des pulsations bien au-delà de la moindre notion de rythme. Entendons-nous bien, si les interventions de Damon Smith se situent à la croisée des chemins, il peut tout autant initier le profil évolutif d’une improvisation, mener les débats et départager ses deux collègues dont la musique individuelle se distingue de celle de l’autre avec une merveilleuse précision, lui-même faisant corps avec le jeu bruitiste abstrait de la guitariste ou les éclats du saxophoniste. Un trio absolument remarquable qui doit être comparé à l’enregistrement de Company I de 1976 avec Derek Bailey, Evan Parker, Maarten van Regteren Altena et Tristan Honsinger (LP Incus 21 jamais réédté). On mesure alors le chemin parcouru au niveau de la conscience de l’interaction spontanée depuis cette lointaine époque.
Jimmy Lyons Live from Studio Rivbea 1974 & 1976 Volume 3 No Business Records NBCD 178
Jimmy Lyons - Karen Borca (Track 1) - Hayes Burnett - Henry Letcher (Track 1 1976) - Syd Smart (Track 2 1974).
https://www.nobusinessrecords.com/rivbea-live-series-volume-3-sam-rivers-jimmy-lyons.html
Voici deux perles enregistrées les 21 mai 1976 (1) et 20 Juin 1974 (2) au Studio RivBea, Bond Street NYC. Le premier morceau le fut lors du mémorable Wildflowers Festival duquel Alan Douglas a publié une anthologie de 5 LP’s légendaires (label Casablanca). Sam et Bea Rivers en ont été les organisateurs principaux et on retrouve des enregistrements de (presque) chacun des groupes dans cette série. Récemment, la famille de Sam Rivers a ouvert ses archives sonores permettant à No Business de publier des témoignages incontournables de concerts de Sam Rivers avec des musiciens comme Barry Altschul, David Holland, Joe Daley, Norman Connors, Cecil McBee durant les années 70’. Cinq CD’s et un coffret de 5LP ont été publiés par NB. Maintenant, une phase 2 de l’entreprise nous livre des enregistrements de concerts au RivBea Studio. Je recommande spécialement ce Rivbea Live! Series Volume 3 dun Jimmy Lyons Quartet ou Trio pour la première raison que le concert du 21 Mai 1976 nous fait découvrir un batteur « qui a compris » ce qu’est le free-drumming dans une option « conceptuelle » et technique et voisine de Milford Graves : Heny Letcher (1/ After You Left 27:52) . J’avais déjà entrevu/ entendu ce batteur dans un disque de Bill Dixon pour le label italien Fore. Ces années-là, on avait croisé aussi le puissant contrebassiste Hayes Burnett auprès de Jimmy Lyons (cfr Push Pull 3LP Hat Hut) et de Pharoah Sanders en tournée européenne. Le voici donnant le meilleur de lui-même improvisant habilement dans deux remarquables constructions collectives reliant les efforts des souffleurs et de chacun des deux batteurs. La même année, le public européen découvrit le Tuba Trio de Sam Rivers (à Umbria Jazz) avec Joe Daley et l’efficace et « ebullient drummer » Syd Smart. On retrouve Syd Smart dans le deuxième morceau (Diads 26 :10) et même si l’enregistrement est de moindre qualité, on peut se rendre compte que quelqu’un comme Sam Rivers pouvait donner sa chance à des musiciens qui méritaient d’être appréciés. Syd Smart se distingue par la combinatoire de multiples techniques de frappes et roulements de la batterie de jazz, concoctant artistement sa partie pour donner du sens à ce trio (sans Karen Borca)/ J’ai écrit « souffleurs » un peu plus haut, mais en fait c’est la joueuse de Basson Karen Borca qui officie aux côtés de Jimmy Lyons, le leader dont le quartet joue ici la composition After You Left. Je ne sais quoi trop penser de la prestation de Borca, si ce n’est qu’à l’époque on n’avait pas encore entendu une improvisatrice jouer du basson dans le free-jazz avec cette conviction grasseyante quasi microtonale. Comme toujours, Jimmy Lyons joue ici au sommet de son art avec des belles audaces, une superbe expressivité et des myriades de bribes – spirales – envolées tranchantes ou désarticulées issues du Bird littéralement « taylorisées » (Cecil !!). On apprendra peut – être rien de plus pour ceux qui ont écouté durant des heures et des soirées les disques studio et live du Cecil Taylor Unit depuis Mathusalem. On entend ce même quartet de Lyons dans le triple LP Push Pull (Hat Hurt) presque 2 ans plus tard (soit Lyons, Borca, Hayes Burnett mais avec le légendaire batteur Roger Blank entendu aux côtés de Pharoah Sanders et des Heliocentric Worlds de Sun Ra douze ans plus tôt. After you Left est étiré sur deux faces (wow wow Jimmy Lyons !!) Même remarque, Roger Blank, comme Syd Smart, est super, mais Henry Letcher nous introduit dans un univers de subtiles surprises.
Maintenant, si vous n’avez pas de témoignage audio de ce phénoménal saxophoniste, ce live at the RivBea Volume 3, fera sans hésiter votre plus grand bonheur. Avec Ornette, Dolphy et Braxton, Jimmy Lyons est un incontournable du sax alto de l’après- Charlie Parker. La présence active d’Henry Letcher offre une superbe perspective pour ce quartet de Lyons lesté d’un basson : le sens de la dynamique, les changements de registre, de scansions rythmiques, ce talent d’équilibriste du « free swing », tel un oiseau qui vole de branche en branche sans prendre le temps de se déposer, tout cela est du meilleur effet. Et, miracle, la qualité de la prise de son est au rendez-vous pour un gaillard qui met de côté ces insipides relents de back-beat et ces figures apprises à l’école. Précipitez-vous ou alors contentez-vous des mêmes gros lourdauds dont j’évite de me moquer, préférant pointer l’artiste original quand il se présente à moi.
Ivor Kallin. Bagpipe Practice Room scatter archives digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/bagpipe-practice-room
Ivor Kallin est un de ces improvisateurs incontournables de la scène londonienne dite locale, activiste de longue date et altiste de grand talent. On l’a entendu dans le trio Barrel en compagnie de la violoniste Alison Blunt, dont on n’a plus de nouvelles depuis quelques années (!?), et la violoncelliste Hannah Marshall. Deux excellents CD's dont un paru chez Emanem. Mais il n'y a encore rien là qui vous prépare à la surprise totale de cette étrange Bagpipe Practice Room. Il y a trente ans de cela, j’avais rencontré Ivor dans un workshop quand je faisais mes débuts de vocaliste improvisateur et il m’avait confié qu’il adorait le violoncelliste Tristan Honsinger. À l’écoute de ces 28 minutes d’improvisation volatile et superbement expressive à l’alto et des vocaux délirants qu’il assaisonne à toutes les sauces de son délire forcené. C’est formidablement goûteux, mordant, hirsute, provocant, persifleur. Dingue ! Le gars a un solide métier pour malmener son archet alors qu’il éructe, parodie, un air d’En Attendant Godot ou scratche les cordes sadiquement. Au fur et à mesure qu’il nous dévide toutes les ressources de son imagination, joue et chante simultanément un dialogue de fous ou hulule une partition forcenée d’un opéra d’aliénés avec force borborygmes et syllabes non-sensiques, on est sidéré par cet extraordinaire bagout que rien n’arrête et qui fait dire les choses les plus insoupçonnées à son alto torturé étirant les notes hors de la tonalité et du bon goût.Toute sa démarche et son expression vont droit à l'essentiel sans la moindre hésitation, mais avec un sens de la forme inouï sans jamais se redire tout en allant jusqu'au bout des choses. C’est le genre d’artiste fou qui nous manque dans les festivals renommés du continent. Ivor Kallin : à suivre absolument.
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/two-felt-tip-pens-live-at-moers-bpaltd24024
Dédié au contrebassiste disparu Hans Schneider avec qui Stefan Keune a enregistré plusieurs albums : Live at the Loft / Hybrid (avec Paul Lytton), No comment / FMP et The Long and The Short of It/ Creative Sources, (avec Achim Kraemer), Nothing Particularly Horrible/FMR (avec John Russell et Paul Lovens) et XPACT II (avec Lytton et Erhard Hirt) Two Felt Tips est un trio excitant et exemplaire et un hommage à Hans co-signé par Stefan, le contrebassiste Damon Smith et la guitariste Sandy Ewen. Si la démarche de Sandy Ewen se réfère à celle de Keith Rowe, Damon Smith est un fan inconditionnel de nombreux contrebassistes, tels Mark Dresser, Peter Kowald, Barre Phillips, Joëlle Léandre etc… Ici il œuvre à créer une synergie subtile entre les deux pôles extrêmes de ce trio pour assurer une véritable cohérence : en effet, les principes d’émission sonore de Sandy Ewen à la guitare électrique et de Stefan Keune aux saxophones sopranino et alto divergent. En effet, Stefan Keune fragmente et déchiquète l’articulation de son souffle dans des distorsions hystériques initiée il y a si longtemps par Evan Parker aux moyens de doigtés croisés, d’harmoniques, d’abrupts sauts de registres et d’intensité dans des gerbes de shrapnels et d’éructions vitrioliques avec un caractère expressionniste affirmé concassant le moindre soupçon de mélodie au niveau atomique. Alors qu’Ewen frotte et frictionne les cordes dans de subtils micro-bruitages avec d’improbables ustensiles et des effets électroniques extrêmement bien ajustés de manière quasi introspective sans jamais "éclabousser". Le flux de l’une semble être l’antithèse de l’autre, le feeling de la guitariste étant nettement plus introverti et son activité instrumentale très minutieuse, bruissante, à la fois méthodique et poétique sans les soubresauts survoltés de son compère et son sens explosif des pulsations bien au-delà de la moindre notion de rythme. Entendons-nous bien, si les interventions de Damon Smith se situent à la croisée des chemins, il peut tout autant initier le profil évolutif d’une improvisation, mener les débats et départager ses deux collègues dont la musique individuelle se distingue de celle de l’autre avec une merveilleuse précision, lui-même faisant corps avec le jeu bruitiste abstrait de la guitariste ou les éclats du saxophoniste. Un trio absolument remarquable qui doit être comparé à l’enregistrement de Company I de 1976 avec Derek Bailey, Evan Parker, Maarten van Regteren Altena et Tristan Honsinger (LP Incus 21 jamais réédté). On mesure alors le chemin parcouru au niveau de la conscience de l’interaction spontanée depuis cette lointaine époque.
Jimmy Lyons Live from Studio Rivbea 1974 & 1976 Volume 3 No Business Records NBCD 178
Jimmy Lyons - Karen Borca (Track 1) - Hayes Burnett - Henry Letcher (Track 1 1976) - Syd Smart (Track 2 1974).
https://www.nobusinessrecords.com/rivbea-live-series-volume-3-sam-rivers-jimmy-lyons.html
Voici deux perles enregistrées les 21 mai 1976 (1) et 20 Juin 1974 (2) au Studio RivBea, Bond Street NYC. Le premier morceau le fut lors du mémorable Wildflowers Festival duquel Alan Douglas a publié une anthologie de 5 LP’s légendaires (label Casablanca). Sam et Bea Rivers en ont été les organisateurs principaux et on retrouve des enregistrements de (presque) chacun des groupes dans cette série. Récemment, la famille de Sam Rivers a ouvert ses archives sonores permettant à No Business de publier des témoignages incontournables de concerts de Sam Rivers avec des musiciens comme Barry Altschul, David Holland, Joe Daley, Norman Connors, Cecil McBee durant les années 70’. Cinq CD’s et un coffret de 5LP ont été publiés par NB. Maintenant, une phase 2 de l’entreprise nous livre des enregistrements de concerts au RivBea Studio. Je recommande spécialement ce Rivbea Live! Series Volume 3 dun Jimmy Lyons Quartet ou Trio pour la première raison que le concert du 21 Mai 1976 nous fait découvrir un batteur « qui a compris » ce qu’est le free-drumming dans une option « conceptuelle » et technique et voisine de Milford Graves : Heny Letcher (1/ After You Left 27:52) . J’avais déjà entrevu/ entendu ce batteur dans un disque de Bill Dixon pour le label italien Fore. Ces années-là, on avait croisé aussi le puissant contrebassiste Hayes Burnett auprès de Jimmy Lyons (cfr Push Pull 3LP Hat Hut) et de Pharoah Sanders en tournée européenne. Le voici donnant le meilleur de lui-même improvisant habilement dans deux remarquables constructions collectives reliant les efforts des souffleurs et de chacun des deux batteurs. La même année, le public européen découvrit le Tuba Trio de Sam Rivers (à Umbria Jazz) avec Joe Daley et l’efficace et « ebullient drummer » Syd Smart. On retrouve Syd Smart dans le deuxième morceau (Diads 26 :10) et même si l’enregistrement est de moindre qualité, on peut se rendre compte que quelqu’un comme Sam Rivers pouvait donner sa chance à des musiciens qui méritaient d’être appréciés. Syd Smart se distingue par la combinatoire de multiples techniques de frappes et roulements de la batterie de jazz, concoctant artistement sa partie pour donner du sens à ce trio (sans Karen Borca)/ J’ai écrit « souffleurs » un peu plus haut, mais en fait c’est la joueuse de Basson Karen Borca qui officie aux côtés de Jimmy Lyons, le leader dont le quartet joue ici la composition After You Left. Je ne sais quoi trop penser de la prestation de Borca, si ce n’est qu’à l’époque on n’avait pas encore entendu une improvisatrice jouer du basson dans le free-jazz avec cette conviction grasseyante quasi microtonale. Comme toujours, Jimmy Lyons joue ici au sommet de son art avec des belles audaces, une superbe expressivité et des myriades de bribes – spirales – envolées tranchantes ou désarticulées issues du Bird littéralement « taylorisées » (Cecil !!). On apprendra peut – être rien de plus pour ceux qui ont écouté durant des heures et des soirées les disques studio et live du Cecil Taylor Unit depuis Mathusalem. On entend ce même quartet de Lyons dans le triple LP Push Pull (Hat Hurt) presque 2 ans plus tard (soit Lyons, Borca, Hayes Burnett mais avec le légendaire batteur Roger Blank entendu aux côtés de Pharoah Sanders et des Heliocentric Worlds de Sun Ra douze ans plus tôt. After you Left est étiré sur deux faces (wow wow Jimmy Lyons !!) Même remarque, Roger Blank, comme Syd Smart, est super, mais Henry Letcher nous introduit dans un univers de subtiles surprises.
Maintenant, si vous n’avez pas de témoignage audio de ce phénoménal saxophoniste, ce live at the RivBea Volume 3, fera sans hésiter votre plus grand bonheur. Avec Ornette, Dolphy et Braxton, Jimmy Lyons est un incontournable du sax alto de l’après- Charlie Parker. La présence active d’Henry Letcher offre une superbe perspective pour ce quartet de Lyons lesté d’un basson : le sens de la dynamique, les changements de registre, de scansions rythmiques, ce talent d’équilibriste du « free swing », tel un oiseau qui vole de branche en branche sans prendre le temps de se déposer, tout cela est du meilleur effet. Et, miracle, la qualité de la prise de son est au rendez-vous pour un gaillard qui met de côté ces insipides relents de back-beat et ces figures apprises à l’école. Précipitez-vous ou alors contentez-vous des mêmes gros lourdauds dont j’évite de me moquer, préférant pointer l’artiste original quand il se présente à moi.
Ivor Kallin. Bagpipe Practice Room scatter archives digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/bagpipe-practice-room
Ivor Kallin est un de ces improvisateurs incontournables de la scène londonienne dite locale, activiste de longue date et altiste de grand talent. On l’a entendu dans le trio Barrel en compagnie de la violoniste Alison Blunt, dont on n’a plus de nouvelles depuis quelques années (!?), et la violoncelliste Hannah Marshall. Deux excellents CD's dont un paru chez Emanem. Mais il n'y a encore rien là qui vous prépare à la surprise totale de cette étrange Bagpipe Practice Room. Il y a trente ans de cela, j’avais rencontré Ivor dans un workshop quand je faisais mes débuts de vocaliste improvisateur et il m’avait confié qu’il adorait le violoncelliste Tristan Honsinger. À l’écoute de ces 28 minutes d’improvisation volatile et superbement expressive à l’alto et des vocaux délirants qu’il assaisonne à toutes les sauces de son délire forcené. C’est formidablement goûteux, mordant, hirsute, provocant, persifleur. Dingue ! Le gars a un solide métier pour malmener son archet alors qu’il éructe, parodie, un air d’En Attendant Godot ou scratche les cordes sadiquement. Au fur et à mesure qu’il nous dévide toutes les ressources de son imagination, joue et chante simultanément un dialogue de fous ou hulule une partition forcenée d’un opéra d’aliénés avec force borborygmes et syllabes non-sensiques, on est sidéré par cet extraordinaire bagout que rien n’arrête et qui fait dire les choses les plus insoupçonnées à son alto torturé étirant les notes hors de la tonalité et du bon goût.Toute sa démarche et son expression vont droit à l'essentiel sans la moindre hésitation, mais avec un sens de la forme inouï sans jamais se redire tout en allant jusqu'au bout des choses. C’est le genre d’artiste fou qui nous manque dans les festivals renommés du continent. Ivor Kallin : à suivre absolument.
8 mai 2025
Misha Mengelberg & Sabu Toyozumi/ Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira/ Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini/ Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins
Misha Mengelberg & Sabu Toyozumi:The Analects of Confucius No Business
1. My guru MM (39:56)
2. Song for AMY~Misha Mengelberg solo (7:38)
3. Teremakashi to Forest of KEYAGU (19:54)
4. Off Minor (Thelonious Monk) (3:44)
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/the-analects-of-confucius
Misha Mengelberg (p) , Sabu Toyozumi (ds)
Recorded on 21,Oct,2000 at Aoshima Hall,Shizuoka City,Japan
Recorded by Shigeru Inoue. Concert produced by Shigeru Inoue/IMA Shizuoka
Produced by Danas Mikailionis & Takeo Suetomi (Chap Chap Records). Thanks to Amy Mengelberg, Hideo Takaoka
Ce n’est pas le premier album de Misha Mengelberg et de Sabu Toyozumi. Chap Chap Records et Takeo Suetomi ont déjà publié The Untrammeled Traveller, un enregistrement de concert de 1994 (CPCD 006). Mais Chap-Chap récidive à travers la série Chap-Chap de No Business avec ce concert du 21 Octobre 2000. Bien que Sabu Toyozumi a joué et enregistré avec de nombreux artistes de haut vol tels que Charlie Mingus, Derek Bailey, Han Bennink, Leo Smith, Barre Phillips, Peter Kowald, Peter Brötzmann, Joseph Jarman, Paul Rutherford, John Russell, ses compatriotes Kaoru Abe, Masahiko Satoh, Yuji Takahashi, Takashi Mizutani, Otomo Yoshihide, le percussionniste voue son plus profond attachement esthétique et spirituel au pianiste Misha Mengelberg, autant au point de vue musical que philosophique. Comme il me l’affirmé : Misha Mengelberg est mon « guru ». Sans doute, Misha est une personne qui lui a beaucoup apporté, pour l’équilibre de sa santé, dit-il. Pour Sabu-san, cet enregistrement revêt une importance tout à fait particulière, une dimension profondément humaine, amicale et admirative. Je dois ajouter que Sabu Toyozumi était un proche du grand maître du shakuhachi, ces flûtes sans bec taillées dans une large tige de bambou par une main experte : Watazumi Dosō. Mais en fait, son instrument était plus exactement un hocchiku dont la pratique très exigeante demandait une ouverture à tous les aléas de la vie et un apprentissage « sauvage » . Celui-ci était aussi une forte personnalité du Zen Rinzai- Shū, et c’est dans le cadre de cette « philosophie » que Sabu est venu à fréquenter le vénérable maître. Indépendant d’esprit, celui-ci refusa de recevoir le titre de Trésor National du Japon pour ces disciplines. Sabu Toyozumi est un homme d’une grande simplicité qui s’intéresse à l’individu musicien et auditeur en tant que personne humaine de manière intensément positive. Il se fait que Misha Mengelberg était très intéressé par les philosophies orientales et l’alimentation japonaise. Amy à qui est dédié le solo de Misha est son épouse dont la mère est d’origine Indonésienne. Un profond échange de valeurs et de sentiments, de discussions musicales ont contribué à créer cette compréhension mutuelle, un lien fondamental entre des improvisateurs qui se fondent en une seule entité lors d’ un concert. L’album se compose d’une longue improvisation de quarante minutes où intervient assez vite un solo de percussion ou plus exactement le batteur joue le temps d’un long silence du pianiste. Celle-ci est suivie d’un solo de Misha Mengelberg dédié à Amy et d’une seconde improvisation en duo longue d’une moitié moindre que la précédente. Le tout est couronné par une interprétation finale de l’Off Minor de Thelonious Monk qui fut une influence majeure de Misha Mengelberg.
On sait que MM fit partie du mouvement Fluxus dans les années 60. Cette démarche a continué à se révéler prépondérante dans sa musique. Il déclarait que sa musique improvisée est vécue comme la vie de tous les jours : on boit un verre, répond au téléphone, ouvre un paquet de cigarettes, on prend une cigarette et on l’allume, on fume, on lit son journal ou on va faire ses emplettes… Sa musique n’établit pas de hiérarchie entre le savant ou le populaire : quelques notes jouées presque par hasard, un morceau de Monk, un air de musique de cirque ou une évocation de chansonnette, des intervalles dissonants dont il a le secret, des miniatures dodécaphoniques ou une cascade de notes virevoltante qui déboule par surprise. Même s’il ne semble pas être concerné, Misha Mengelberg est toujours profondément à l’écoute, car il ne veut pas perdre un seul instant une occasion de nous étonner. À cet égard, le numéro que les deux improvisateurs nous offrent dans cette teremakashi vers la Forêt de KEYAGU aux accents très contrastés. Tout ce que Mengelberg inspire à notre Sabu – san est phénoménal : il y a alors chez le batteur une invention débridée, imaginative et farfelue. Les deux compères s’en donnent à cœur joie, comme des enfants dans un paradis perdu. Sabu Toyozumi fait cliqueter, secouer ou agiter ses ustensiles percussifs, baguettes, cendriers comme on ne l’a jamais entendu faire. Cendriers, oui ! En effet, le cendrier était un objet indispensable pour Misha Mengelberg, ne fut-ce que pour y déposer l’éternel mégot de cigarette qui pendait à ses lèvres par-dessus le clavier. Par contre, lors de la première longue improvisation, Misha -San tâtait scrupuleusement le terrain en jouant avec le silence et laissant les notes parcimonieuses résonner, permettant à Sabu de déployer son univers sonore et rythmique, son abondante imagination. Misha y fait même un long silence, sans doute pour s’intégrer mentalement au rayonnement ludique du percussionniste qui nous donne là une merveilleuse démonstration de son approche joyeuse et unique de la batterie polyrythmique éclatée… et déchaînée lors d’un instant crucial, tant avec les baguettes et les balais que sur toutes les surfaces de ses tambours. Sa démarche est sans nul doute en phase avec cette vision « sauvage », organique de batteurs comme Milford Graves ou Sunny Murray de façon tout aussi originale et authentique. Aussi, on dira que sa spontanéité naturelle est balancée par un sens aigu du dosage équilibré et même de l’épure pointilliste, comme il appert dans cette longue première partie. En finale conclusive, la version à la fois désenchantée et enjouée d’Off Minor est une narquoise, mais fidèle leçon de choses. Le titre de Monk est joué à la lettre un instant par Misha, pour être subitement détourné de manière free au clavier, digne du Cecil des années cinquante (Jazz Advance, High Drivin’Jazz). Sabu ne peut alors s’empêcher de forcer le trait comme une caricature vivante du swing dixieland. Comme quoi, une forme d’humour est partagée par ces deux amis, tout autant que les sujets les plus fondamentaux de l’existence. La musique de la vraie vie. (notes de pochette de J-M VS)
Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira Enleio 4DARecords
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/enleio
Trio à cordes violon -violoncelle – contrebasse avec clarinette basse.
Le violoniste portugais Carlos Alves « Zingaro » a entamé une relation musicale avec le violoncelliste Chicagoan Fred Lonberg-Holm il y a de nombreuses années en 2003 : Grammar les réunissait avec le platiniste Lou Mallozzi (Rossbin CD 2003) et Zingaro / Lonberg- Holm en duo fut enregistré lors du même séjour (label Aspidsitra). Les revoici de 2024 dans deux sessions Lisboètes en compagnie du contrebassiste João Madeira, le boss de 4DARecords et respectivement avec le clarinettiste (basse) Bruno Parrinha dans le présent CD Enleio et avec le guitariste suisse Florian Stoffner dans le CD Na Parede paru sous le même label 4DAR en CD, parution précédée par une publication en digital chez Catalytic et chroniquée dans ces pages. À la fois ou successivement énergique, pointilliste, multiforme et en évolution constante au gré de l’humeur et de l’inspiration instantanée des quatre improvisateurs, la musique d’Enleio comporte plusieurs facettes : dans Trama (9 :47) les improvisateurs sursautent, se relancent par de brèves interventions en zigzag qui se répondent vivement et jouent à saute-mouton sans se laisser le temps de dire ouf, les idées fragmentaires s’emboîtent en cascade… Notez le parti pris du clarinettiste basse, Bruno Parrinha de s’intégrer au plus près de ses camarades comme s’il était l’alto d’un quatuor. Il fait cela avec flair par petites touches plutôt que de jouer au soliste omniprésent par-dessus ses trois camarades. Nervos 18’35’’ commence dans une lente complainte à plusieurs voix formant des torsades expressives. L’accent est mis sur la qualité du travail à l’archet, l’étirement du son, une qualité de timbre spécifique à chacun des trois cordistes s’agrègent et se distinguent par leurs dynamiques, vibrations tactiles boisées respectives et une qualité intensément métamorphique. Il faut vraiment réécouter ce long deuxième morceau est ses multiples phases, ses aspérités, ses fluctuations liquides ou vif argent, ses nuances, ses diversions ludiques et ses formes mouvantes parfois contrastées. Si les violons et violoncelles sont fait de bois, la terminologie générique des vents tels les clarinettes est « les bois ». On ne croyait pas si bien dire tant le souffleur se fond dans ce quartet. Liames 11’35’’ approfondit la démarche initiale de Nervos avec plus de détachement, de lenteur et de langueur et une belle partie de pizzicatos puissants de João Madeira. Notez le contraste entre les envolées en arabesque de Zingaro et certains frottements maniaques et astringents de Lonberg – Holm et aussi comment ils intègrent leurs facéties respectives avec une cohérence complice. Dans Enleio, 5’34’’ , dernier morceau, Lonberg-Holm initie des frappes d’archet en secousse, on entend des col legno, grincements, la touche pressée au point de faire chuinter la corde, violon sifflant dans les aigus, soit un beau et touffu concentré de sonorités expressives tel que le modus operandi , l’empathie et le feeling maniaque de l’improvisation libre collective amène des instrumentistes en trance à laisser éclater au travers de notre perception éblouie. Une séance vraiment réussie.
Breeze Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini Lineae Occultae
https://danielstuder.bandcamp.com/album/breeze
Le duo contrebasse – trombone s’impose comme une des combinaisons instrumentales les plus significatives de la musique improvisée libre. Pensez donc : Paul Rutherford et Barry Guy, Günter Christmann & Torsten Müller, Radu Malfatti & Harry Miller, Paul Hubweber & John Edwards, Patrick Crossland & Alexander Frangenheim. La raison fondamentale : dans les mains d’improvisateurs expérimentés, ces deux instruments sont propices aux dérapages, glissandi, recherches de timbres curieux, effets expressifs, bruissements, délires ludiques, jeu en dehors de la marge et des similitudes au niveau des fréquences…. Giancarlo Schiaffini est un des premiers pionniers du free – jazz en Italie et a contribué à créer le courant improvisation libre « européenne ». Il a laissé un super témoignage « d’avant-garde » sur le légendaire label italien Cramps : Memo From en duo avec le percussionniste Michele Iannacone série DIVerso n°12 – 1979. Schiaffini a gardé pour lui une sonorité issue du jazz tout en jouant vraiment contemporain. On retrouve ces inflexions subtilement blues jouées du bout des lèvres malaxant la pâte sonore alors que G.S. a adopté cet esprit d’invention imaginative instantanée en mutations sonores constantes proches des Rutherford et Christmann avec une expressivité méditerranéenne, abusant joyeusement des sourdines. Daniel Studer, contrebassiste Suisse et brillant partenaire d’Harald Kimmig et d’Alfred Zimmerlin au sein du String Trio de Zürich, un groupe incontournable, ou d’un duo de basses avec Peter K.Frey, incarne la démarche « contemporaine » avant-gardiste « sérieuse » des improvisateurs Européens. Il n’a pas son pareil pour pêcher d’innombrables effets soniques dans les moindres recoins de sa contrebasse. Mais c’est vraiment bien vu, leurs différences et leur capacité à dialoguer et partager leurs inventions font de ce rare duo un tandem de grande classe. Jouer de manière aussi disparate en insérant des silences bien calibrés en alternant aussi précisément les moindres gestes, les sonorités crissantes des cordes, les effets de souffle grasseyant du trombone, des changements de registre, des accents lyriques, zig-zags en vrille, notes tenues à l’archet, sourdines wouah-wouah, effets percussifs soudains à même la surface du gros violon, murmures sotto voce dans le pavillon ou harmoniques effilées… C’est une belle conversation entre deux locuteurs, l’un germanique, l’autre italien qui se comprennent profondément dans ressentir le besoin de traduire dans la langue de l’autre, de s’imiter… Ils se racontent des histoires qui elles-mêmes se transforment en une magnifique narration, en précis de philosophie, audace auditive pour artistes visuels visionnaires. C’est absolument magnifique , généreux et mesuré à la fois. Neuf courtes improvisations qui déclinent tous les possibles de l’improvisation sans tambour ni trompette mais avec un sourire en coin, prodige de subtilités toujours renouvelées.
Manœuvres sentimentales Delightfully Deceitful Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins circum disc.com
lien audio disponible à partir du 15 mai.
https://circum-disc.bandcamp.com/album/delightfully-deceitful
Un sax ténor et alto d’obédience free jazz expressionniste ou rêveur : Laurent Rigaut ; un guitariste « noise » aux trouvailles et effets multiples : Andrea Bazzicalupo ;un batteur réactif dans la marge : Peter Orins ; changements d’ambiances d’un morceau à l’autre. On a droit à des recherches de sons tous azimuts, et des occurrences d’actions et perspectives pluri dimensionnelles des quelles ruissellent de nombreuses inventions sonores d’une variété profuse au niveau de la guitare et des percussions, elles-mêmes parfois discrètes (Not Loud Enough et Into the Boiling Sand), alors que le souffle de Laurent Rigaut truste plusieurs modes de jeux entre expressionnisme free et déambulation lunaire (Into the Boiling Sand). Le travail percussif de Peter Orins est concentré sur la dynamique, la lisibilité et actionne une belle diversité de frappes sur un ensemble d’ustensiles variés qui rend son jeu intéressant, très remarquablement articulé dans le sillage des batteurs free les plus pointus (Lovens, Turner, Blume). Son style remarquable est particulièrement affirmé avec une belle qualité de toucher et incarne le vrai free drumming authentique et complexe celui qui vous donne le tournis (Into the Boiling Sand). Un très bon point : ça tournoie très vif avec une belle classe. Andrea Bazzicalupo utilise à souhait un maximum des possibilités sonores de la guitare électrique avec une large palette aussi détaillée que confinant au noise brut. Laurent Rigaut, saxophoniste qui peut se révéler outrageusement aylérien avec son acolyte Jérôme Ternoy la joue collective s’insérant excellemment entre les deux pôles électrique / acoustique tout s’autorisant de super dérapages. Là, aussi, on salue sa capacité d’adapter son jeu dans ce trio Manoeuvres Sentimentales lequel manifeste une écoute mutuelle fructueuse et un vrai sens du décalage.
1. My guru MM (39:56)
2. Song for AMY~Misha Mengelberg solo (7:38)
3. Teremakashi to Forest of KEYAGU (19:54)
4. Off Minor (Thelonious Monk) (3:44)
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/the-analects-of-confucius
Misha Mengelberg (p) , Sabu Toyozumi (ds)
Recorded on 21,Oct,2000 at Aoshima Hall,Shizuoka City,Japan
Recorded by Shigeru Inoue. Concert produced by Shigeru Inoue/IMA Shizuoka
Produced by Danas Mikailionis & Takeo Suetomi (Chap Chap Records). Thanks to Amy Mengelberg, Hideo Takaoka
Ce n’est pas le premier album de Misha Mengelberg et de Sabu Toyozumi. Chap Chap Records et Takeo Suetomi ont déjà publié The Untrammeled Traveller, un enregistrement de concert de 1994 (CPCD 006). Mais Chap-Chap récidive à travers la série Chap-Chap de No Business avec ce concert du 21 Octobre 2000. Bien que Sabu Toyozumi a joué et enregistré avec de nombreux artistes de haut vol tels que Charlie Mingus, Derek Bailey, Han Bennink, Leo Smith, Barre Phillips, Peter Kowald, Peter Brötzmann, Joseph Jarman, Paul Rutherford, John Russell, ses compatriotes Kaoru Abe, Masahiko Satoh, Yuji Takahashi, Takashi Mizutani, Otomo Yoshihide, le percussionniste voue son plus profond attachement esthétique et spirituel au pianiste Misha Mengelberg, autant au point de vue musical que philosophique. Comme il me l’affirmé : Misha Mengelberg est mon « guru ». Sans doute, Misha est une personne qui lui a beaucoup apporté, pour l’équilibre de sa santé, dit-il. Pour Sabu-san, cet enregistrement revêt une importance tout à fait particulière, une dimension profondément humaine, amicale et admirative. Je dois ajouter que Sabu Toyozumi était un proche du grand maître du shakuhachi, ces flûtes sans bec taillées dans une large tige de bambou par une main experte : Watazumi Dosō. Mais en fait, son instrument était plus exactement un hocchiku dont la pratique très exigeante demandait une ouverture à tous les aléas de la vie et un apprentissage « sauvage » . Celui-ci était aussi une forte personnalité du Zen Rinzai- Shū, et c’est dans le cadre de cette « philosophie » que Sabu est venu à fréquenter le vénérable maître. Indépendant d’esprit, celui-ci refusa de recevoir le titre de Trésor National du Japon pour ces disciplines. Sabu Toyozumi est un homme d’une grande simplicité qui s’intéresse à l’individu musicien et auditeur en tant que personne humaine de manière intensément positive. Il se fait que Misha Mengelberg était très intéressé par les philosophies orientales et l’alimentation japonaise. Amy à qui est dédié le solo de Misha est son épouse dont la mère est d’origine Indonésienne. Un profond échange de valeurs et de sentiments, de discussions musicales ont contribué à créer cette compréhension mutuelle, un lien fondamental entre des improvisateurs qui se fondent en une seule entité lors d’ un concert. L’album se compose d’une longue improvisation de quarante minutes où intervient assez vite un solo de percussion ou plus exactement le batteur joue le temps d’un long silence du pianiste. Celle-ci est suivie d’un solo de Misha Mengelberg dédié à Amy et d’une seconde improvisation en duo longue d’une moitié moindre que la précédente. Le tout est couronné par une interprétation finale de l’Off Minor de Thelonious Monk qui fut une influence majeure de Misha Mengelberg.
On sait que MM fit partie du mouvement Fluxus dans les années 60. Cette démarche a continué à se révéler prépondérante dans sa musique. Il déclarait que sa musique improvisée est vécue comme la vie de tous les jours : on boit un verre, répond au téléphone, ouvre un paquet de cigarettes, on prend une cigarette et on l’allume, on fume, on lit son journal ou on va faire ses emplettes… Sa musique n’établit pas de hiérarchie entre le savant ou le populaire : quelques notes jouées presque par hasard, un morceau de Monk, un air de musique de cirque ou une évocation de chansonnette, des intervalles dissonants dont il a le secret, des miniatures dodécaphoniques ou une cascade de notes virevoltante qui déboule par surprise. Même s’il ne semble pas être concerné, Misha Mengelberg est toujours profondément à l’écoute, car il ne veut pas perdre un seul instant une occasion de nous étonner. À cet égard, le numéro que les deux improvisateurs nous offrent dans cette teremakashi vers la Forêt de KEYAGU aux accents très contrastés. Tout ce que Mengelberg inspire à notre Sabu – san est phénoménal : il y a alors chez le batteur une invention débridée, imaginative et farfelue. Les deux compères s’en donnent à cœur joie, comme des enfants dans un paradis perdu. Sabu Toyozumi fait cliqueter, secouer ou agiter ses ustensiles percussifs, baguettes, cendriers comme on ne l’a jamais entendu faire. Cendriers, oui ! En effet, le cendrier était un objet indispensable pour Misha Mengelberg, ne fut-ce que pour y déposer l’éternel mégot de cigarette qui pendait à ses lèvres par-dessus le clavier. Par contre, lors de la première longue improvisation, Misha -San tâtait scrupuleusement le terrain en jouant avec le silence et laissant les notes parcimonieuses résonner, permettant à Sabu de déployer son univers sonore et rythmique, son abondante imagination. Misha y fait même un long silence, sans doute pour s’intégrer mentalement au rayonnement ludique du percussionniste qui nous donne là une merveilleuse démonstration de son approche joyeuse et unique de la batterie polyrythmique éclatée… et déchaînée lors d’un instant crucial, tant avec les baguettes et les balais que sur toutes les surfaces de ses tambours. Sa démarche est sans nul doute en phase avec cette vision « sauvage », organique de batteurs comme Milford Graves ou Sunny Murray de façon tout aussi originale et authentique. Aussi, on dira que sa spontanéité naturelle est balancée par un sens aigu du dosage équilibré et même de l’épure pointilliste, comme il appert dans cette longue première partie. En finale conclusive, la version à la fois désenchantée et enjouée d’Off Minor est une narquoise, mais fidèle leçon de choses. Le titre de Monk est joué à la lettre un instant par Misha, pour être subitement détourné de manière free au clavier, digne du Cecil des années cinquante (Jazz Advance, High Drivin’Jazz). Sabu ne peut alors s’empêcher de forcer le trait comme une caricature vivante du swing dixieland. Comme quoi, une forme d’humour est partagée par ces deux amis, tout autant que les sujets les plus fondamentaux de l’existence. La musique de la vraie vie. (notes de pochette de J-M VS)
Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira Enleio 4DARecords
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/enleio
Trio à cordes violon -violoncelle – contrebasse avec clarinette basse.
Le violoniste portugais Carlos Alves « Zingaro » a entamé une relation musicale avec le violoncelliste Chicagoan Fred Lonberg-Holm il y a de nombreuses années en 2003 : Grammar les réunissait avec le platiniste Lou Mallozzi (Rossbin CD 2003) et Zingaro / Lonberg- Holm en duo fut enregistré lors du même séjour (label Aspidsitra). Les revoici de 2024 dans deux sessions Lisboètes en compagnie du contrebassiste João Madeira, le boss de 4DARecords et respectivement avec le clarinettiste (basse) Bruno Parrinha dans le présent CD Enleio et avec le guitariste suisse Florian Stoffner dans le CD Na Parede paru sous le même label 4DAR en CD, parution précédée par une publication en digital chez Catalytic et chroniquée dans ces pages. À la fois ou successivement énergique, pointilliste, multiforme et en évolution constante au gré de l’humeur et de l’inspiration instantanée des quatre improvisateurs, la musique d’Enleio comporte plusieurs facettes : dans Trama (9 :47) les improvisateurs sursautent, se relancent par de brèves interventions en zigzag qui se répondent vivement et jouent à saute-mouton sans se laisser le temps de dire ouf, les idées fragmentaires s’emboîtent en cascade… Notez le parti pris du clarinettiste basse, Bruno Parrinha de s’intégrer au plus près de ses camarades comme s’il était l’alto d’un quatuor. Il fait cela avec flair par petites touches plutôt que de jouer au soliste omniprésent par-dessus ses trois camarades. Nervos 18’35’’ commence dans une lente complainte à plusieurs voix formant des torsades expressives. L’accent est mis sur la qualité du travail à l’archet, l’étirement du son, une qualité de timbre spécifique à chacun des trois cordistes s’agrègent et se distinguent par leurs dynamiques, vibrations tactiles boisées respectives et une qualité intensément métamorphique. Il faut vraiment réécouter ce long deuxième morceau est ses multiples phases, ses aspérités, ses fluctuations liquides ou vif argent, ses nuances, ses diversions ludiques et ses formes mouvantes parfois contrastées. Si les violons et violoncelles sont fait de bois, la terminologie générique des vents tels les clarinettes est « les bois ». On ne croyait pas si bien dire tant le souffleur se fond dans ce quartet. Liames 11’35’’ approfondit la démarche initiale de Nervos avec plus de détachement, de lenteur et de langueur et une belle partie de pizzicatos puissants de João Madeira. Notez le contraste entre les envolées en arabesque de Zingaro et certains frottements maniaques et astringents de Lonberg – Holm et aussi comment ils intègrent leurs facéties respectives avec une cohérence complice. Dans Enleio, 5’34’’ , dernier morceau, Lonberg-Holm initie des frappes d’archet en secousse, on entend des col legno, grincements, la touche pressée au point de faire chuinter la corde, violon sifflant dans les aigus, soit un beau et touffu concentré de sonorités expressives tel que le modus operandi , l’empathie et le feeling maniaque de l’improvisation libre collective amène des instrumentistes en trance à laisser éclater au travers de notre perception éblouie. Une séance vraiment réussie.
Breeze Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini Lineae Occultae
https://danielstuder.bandcamp.com/album/breeze
Le duo contrebasse – trombone s’impose comme une des combinaisons instrumentales les plus significatives de la musique improvisée libre. Pensez donc : Paul Rutherford et Barry Guy, Günter Christmann & Torsten Müller, Radu Malfatti & Harry Miller, Paul Hubweber & John Edwards, Patrick Crossland & Alexander Frangenheim. La raison fondamentale : dans les mains d’improvisateurs expérimentés, ces deux instruments sont propices aux dérapages, glissandi, recherches de timbres curieux, effets expressifs, bruissements, délires ludiques, jeu en dehors de la marge et des similitudes au niveau des fréquences…. Giancarlo Schiaffini est un des premiers pionniers du free – jazz en Italie et a contribué à créer le courant improvisation libre « européenne ». Il a laissé un super témoignage « d’avant-garde » sur le légendaire label italien Cramps : Memo From en duo avec le percussionniste Michele Iannacone série DIVerso n°12 – 1979. Schiaffini a gardé pour lui une sonorité issue du jazz tout en jouant vraiment contemporain. On retrouve ces inflexions subtilement blues jouées du bout des lèvres malaxant la pâte sonore alors que G.S. a adopté cet esprit d’invention imaginative instantanée en mutations sonores constantes proches des Rutherford et Christmann avec une expressivité méditerranéenne, abusant joyeusement des sourdines. Daniel Studer, contrebassiste Suisse et brillant partenaire d’Harald Kimmig et d’Alfred Zimmerlin au sein du String Trio de Zürich, un groupe incontournable, ou d’un duo de basses avec Peter K.Frey, incarne la démarche « contemporaine » avant-gardiste « sérieuse » des improvisateurs Européens. Il n’a pas son pareil pour pêcher d’innombrables effets soniques dans les moindres recoins de sa contrebasse. Mais c’est vraiment bien vu, leurs différences et leur capacité à dialoguer et partager leurs inventions font de ce rare duo un tandem de grande classe. Jouer de manière aussi disparate en insérant des silences bien calibrés en alternant aussi précisément les moindres gestes, les sonorités crissantes des cordes, les effets de souffle grasseyant du trombone, des changements de registre, des accents lyriques, zig-zags en vrille, notes tenues à l’archet, sourdines wouah-wouah, effets percussifs soudains à même la surface du gros violon, murmures sotto voce dans le pavillon ou harmoniques effilées… C’est une belle conversation entre deux locuteurs, l’un germanique, l’autre italien qui se comprennent profondément dans ressentir le besoin de traduire dans la langue de l’autre, de s’imiter… Ils se racontent des histoires qui elles-mêmes se transforment en une magnifique narration, en précis de philosophie, audace auditive pour artistes visuels visionnaires. C’est absolument magnifique , généreux et mesuré à la fois. Neuf courtes improvisations qui déclinent tous les possibles de l’improvisation sans tambour ni trompette mais avec un sourire en coin, prodige de subtilités toujours renouvelées.
Manœuvres sentimentales Delightfully Deceitful Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins circum disc.com
lien audio disponible à partir du 15 mai.
https://circum-disc.bandcamp.com/album/delightfully-deceitful
Un sax ténor et alto d’obédience free jazz expressionniste ou rêveur : Laurent Rigaut ; un guitariste « noise » aux trouvailles et effets multiples : Andrea Bazzicalupo ;un batteur réactif dans la marge : Peter Orins ; changements d’ambiances d’un morceau à l’autre. On a droit à des recherches de sons tous azimuts, et des occurrences d’actions et perspectives pluri dimensionnelles des quelles ruissellent de nombreuses inventions sonores d’une variété profuse au niveau de la guitare et des percussions, elles-mêmes parfois discrètes (Not Loud Enough et Into the Boiling Sand), alors que le souffle de Laurent Rigaut truste plusieurs modes de jeux entre expressionnisme free et déambulation lunaire (Into the Boiling Sand). Le travail percussif de Peter Orins est concentré sur la dynamique, la lisibilité et actionne une belle diversité de frappes sur un ensemble d’ustensiles variés qui rend son jeu intéressant, très remarquablement articulé dans le sillage des batteurs free les plus pointus (Lovens, Turner, Blume). Son style remarquable est particulièrement affirmé avec une belle qualité de toucher et incarne le vrai free drumming authentique et complexe celui qui vous donne le tournis (Into the Boiling Sand). Un très bon point : ça tournoie très vif avec une belle classe. Andrea Bazzicalupo utilise à souhait un maximum des possibilités sonores de la guitare électrique avec une large palette aussi détaillée que confinant au noise brut. Laurent Rigaut, saxophoniste qui peut se révéler outrageusement aylérien avec son acolyte Jérôme Ternoy la joue collective s’insérant excellemment entre les deux pôles électrique / acoustique tout s’autorisant de super dérapages. Là, aussi, on salue sa capacité d’adapter son jeu dans ce trio Manoeuvres Sentimentales lequel manifeste une écoute mutuelle fructueuse et un vrai sens du décalage.
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