23 mars 2025

Laurent Paris & Jean Luc Petit / Michael Gregory Jackson Julius Hemphill Abdul Wadud & Pheeroan ak Laff / Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker/Alex Ward Dominic Lash & Emil Karlsen/ Phil Wachsmann Bruno Guastalla David Leahy Trevor Taylor & Catherine Hope Jones

Laurent Paris & Jean Luc Petit Présence Label au bois dormant 001
https://labelauboisdormant.bandcamp.com/album/pr-sence

Duo percussions – Laurent Paris – et clarinette contrebasse / saxophone sopranino - Jean-Luc Petit -. Huit improvisations inspirées et remarquablement enregistrées dans l’Église St Martin de Bignac le 3 septembre 2024 s’échelonnent tout au long d’un échange fructueux. Le souffle de Jean-Luc Petit anime les sons graveleux à travers le bec et l’énorme tube usiné d’orifices, de clapets, tiges et clés. Ça bourdonne, chuinte, gémit, oscille dans l’espace et par-dessus les frappes précises et cliquetantes de Laurent Paris, un habile percussionniste volatile, méticuleux et particulièrement inventif. Il agite allègrement ses fines baguettes sur les rebords des tambours et des ustensiles en bois avec un superbe sens de la dynamique. Son jeu décline de subtiles nuances pour chacune de ses frappes articulées avec vivacité, légèreté …. Ça coule de source : poésie, variations infinies de touchers, rebonds, vibrations, frottements entre murmures et grincements jusqu’à ces superbes éparpillements de pulsations, une articulation éclatée des gestes qui évoque les Lovens et Turner. Jean-Luc Petit métamorphose le souffle en bulles d’air chargé de vapeurs sombres,grondements gravissimes, grumeaux de liquides huileux, vibrations gazeuses, grisailles vapotantes, frissons aériens de la clarinette contrebasse et les harmoniques extrêmes et zézeyantes du sopranino… Laurent Paris joue aussi à mains nues sur les peaux et on songe incidemment à la technique persane du zarb et on entend une cithare, l’archet frottant les cymbales... Voilà un percussionniste qui a compris beaucoup de choses et qui va jusqu’au bout de son potentiel. J’estimais déjà bien Jean-Luc Petit ; l’heureuse compagnie de Laurent Paris le pousse au meilleur. Et une fois arrivé au bout du chemin, Laurent s'éclate en secouant ses ustensiles à même le plancher par surprise. Un sens de la narration s’insinue dans les huit pièces de ce recueil captées d’un seul tenant : ouverture – relâchement – présence – révolution – mobilité – plasticité – tellurique – prémonitoire. C’est un album exquis, fascinant, un univers acoustique foncièrement subtil et sans manière plus qu’un dialogue. Une volière arborescente, un rêve éveillé.
J’avais réussi à écrire la meilleure chronique à propos de cette modeste merveille, mais le texte s’est envolé dans les limbes d’ICloud. J’ai été forcé à réécrire un autre texte et en réécoutant Présence, j’ai encore été ébahi par leur inspiration sans faille. Merveilleux.

FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN // MICHAEL GREGORY JACKSON LIVE! THE LADIES FORT NYC 1977
https://michaelgregoryjackson.bandcamp.com/album/frequency-equilibrium-koan

1. FREQUENCY EQUILIBRIUM KO AN (9:18) 2. HEART & CENTER (9:46) 3. CLARITY 3 (11:20) 4. A MEDITATION (9:09)
MICHAEL GREGORY JACKSON Electric Guitar, Acoustic Guitar Percussion Chimes, Bamboo Flutes & Compositions JULIUS HEMPHILL Alto Saxophone ABDUL WADUD Cello PHEEROAN AK LAFF Drums. MICHAEL GREGORY JACKSON Recording, Post-Production & Digital Editing PETE KEPPLER Mastering.
Au sommet de la vague du Loft Jazz New Yorkais des années 70, un grand nombre de musiciens improvisateurs afro-américains du Midwest et d’ailleurs se produisaient journellement dans une série de lieux consacrés au jazz d’avant-garde : Studio Rivbea, Studio We, Ladie’s Fort etc… rassemblant auditeurs et musiciens enthousiastes découvrant une nouvelle musique. À l’époque une série de 5 LP’s intitulés Wildflowers Sessions virent le jour en 1977, produites par Alan Douglas. Le guitariste Michael Gregory Jackson figure dans cette anthologie en compagnie du saxophoniste Oliver Lake, le bassiste Fred Hopkins et le batteur Paul Maddox a/k/a Pheeroan ak Laff. Ce quartet a enregistré le LP Holding Together et Julius Hemphill, l’album Raw Materials & Residuals avec le violoncelliste Abdul Wadud et le batteur Don Moye, musiciens devenus légendaires par la suite (LP's Black Saint 1976-1977). Ce concert enregistré en 1977 au Ladies’Fort rassemble deux des musiciens des deux groupes aux personnels interchangeables au fil des concerts programmés à NYC. Dès le morceau titre de l’album, Frequency Equilibrium Koan, on navigue à vue dans l’avant-garde faite de subits changements de décor, de timbres rares, de collages de sonorités expressives et d’éléments thématiques/ micro-structures juxtaposées alternativement par l’un ou l’autre instrument et s’emboîtant judicieusement avec un goût pour le contraste avec une évidente dimension visuelle et un impérative concision qui évoquerait les tableaux de Kandinsky ou de Klee. C’est une excellente réussite qui évoque un morceau risqué ou l’autre d’Ornette (cfr The London Concert) et de Marion Brown (cfr Porto Novo ou son duo avec Leo Smith). Le deuxième morceau vole littéralement dans une veine rythmique plus funky propulsant la sonorité chaleureuse de Julius Hemphill (Heart and Center). Le jeu dynamique du violoncelliste Abdul Wadud faisait alors sensation. Hemphill et Wadud avaient déjà beaucoup travaillé ensemble et produit un trésor de plaque : M’Bari, avec le batteur Philipp Wilson et le trompettiste Baïkida EJ Caroll. Le troisième morceau Clarity est un morceau free d’anthologie : on y entend le jeune Pheeroan ak Laff démarrer le morceau avec un drumming ultra éclaté proche de celui d’un Paul Lovens avec ses volées de micro-frappes dans tous les angles de ses tambours et cymbales. Michael G Jackson se révèle un innovateur free à la six cordes avec un jeu hyper mobile, précis, percutant tout en zig-zags et dérapages contrôlés, rejoint par les audaces du violoncelliste et les spirales d’Hemphill. C’est frais, audacieux, kinétique, enchaînant rebondissements et surprises, pas loin de l’improvisation totale. Meditation : un beau moment de poésie sonore en suspension avec le souffle délicat de Jackson avec une flûte de bambou. Du vrai free-jazz ouvert qui inventait alors de nouvelles formules.

Armageddon Flowers Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker Tao Forms CD

Il y a une trentaine d’années, le Matt Shipp String Trio a enregistré By the Law Of Music pour Hat Art en compagnie de ses fidèles compagnons l’altiste Mat Maneri et le contrebassiste William Parker avec qui il jouait dans le légendaire quartet du saxophoniste David S Ware. Avec cette musique de chambre avec cordes sans batterie ni cuivres, le pianiste montrait une autre facette de son travail de compositeur et d’improvisateur. Que le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman insère son souffle si caractéristique dans ce trio singulier n’est sûrement pas qu’un bon arrangement ou échange de politesses, ces quatre musiciens ont tissé des liens musicaux très approfondis voire vitaux. C’est en compagnie de William Parker, alors duettiste incontournable du pianiste, qu’Ivo Perelman a fait ses premiers pas dans la scène free-jazz de New York avec, entre autres, le batteur Rashied Ali et très vite, il a enregistré avec Shipp et Parker en trio (Terra Da Cama). Au fil des années, ces quatre musiciens ont accumulé enregistrements et concerts en duos, trios , quartets et avec d’autres improvisateurs proches de manière exponentielle. Le duo Perelman-Shipp à lui seul compte une vingtaine d’enregistrements d’une constance créative exceptionnelle au niveau des formes et de l’expression avec beaucoup de liberté et d’inspiration. Ce String Trio plus sax ténor fait entrer le souffle libre, échevelé et expressionniste d’Ivo Perelman dans l’univers construit et structuré du pianiste, un compositeur de l’instant d’une singulière complexité harmonique à la jonction de la musique classique contemporaine pour piano et de la pratique contemporaine du jazz hérité de ces pianistes atypiques que sont Herbie Nicols, Thelonious Monk, Mal Waldron, Lennie Tristano, Randy Weston, Jaki Byard et bien sûr, Cecil Taylor. Si Matthew Shipp construit obstinément une architecture multiforme à la fois tournoyante et segmentée par de virtuels escaliers eschériens qui divergent et convergent miraculeusement dans une déclinaison infinie d’ostinatos mouvants, de marches altières, d’harmonies secrètes, de pulsations décalées etc…, il laisse toute la liberté à ses trois acolytes de créer leurs contributions individuelles dans son univers. La contrebasse de Parker échange plusieurs rôles définis logiquement ou spontanément délibérés et disruptifs. La conjonction du souffle et des notes étirées de Perelman trouve un écho presque mimétique dans les phrasés microtonaux de Mat Maneri avec son (violon) alto dont il subdivise les intervalles de chaque octave en 72 microtons en adaptant les doigtés !! Il y a donc une dimension orchestrale à laquelle le contrebassiste, le saxophoniste et l’altiste insufflent une expressivité, une physicalité atavique de l’improvisation afro-américaine et l’exubérance du free-jazz. On y trouve un sens de la forme avec les contrepoints de William Parker et les pulsations boisées de la walking bass, les interférences striées et ondulatoires de l’archet étrange de Mat Maneri et le lyrisme « brésilien » si caractéristique d’Ivo Perelman au sax ténor, son sens mélodique, ses harmoniques curieusement chantantes et ses mordantes imprécations aylériennes. Leur entente est magnifiée dans cette séquence sans piano du n°3. Je ne pense pas que ces quatre musiciens aient pu concevoir et réaliser ce magnifique équilibre, ses rebondissements, les déchirements ou les dialogues intimes qui surviennent à ravir avec une science du dosage de tous leurs effets expressifs, s’ils n’avaient pas poursuivis intensément leurs expériences communes antérieures au fil de trois décennies. Bien plus qu’une curiosité dans leur discographie, Armageddon Flowers est un challenge musical vraiment réussi qui ouvre une toute autre dimension que si Perelman, Shipp et Parker avaient enregistré avec un de leurs batteurs favoris, formule instrumentale plus conventionnelle qui les inspire tout autant sans être aussi exigeante que cette configuration d'une densité aussi granitique qu'efflorescente dans un véritable jungle sonore qui marie un hiératisme polymorphe et un expressionnisme irrépressible.

Alex Ward/Dominic Lash /Emil Karlsen Intent Spoonhunt / Copepod COPELOAD 06
https://dominiclash.bandcamp.com/album/intent
https://alexward.bandcamp.com/album/intent

Co–production des labels Spoonhunt (Dominic Lash) et Copepod (Alex Ward). Intent a été enregistré le 24 septembre 2023 à Birmingham, un haut lieu de l’improvisation et du free jazz britannique. Ici, Alex Ward joue exclusivement de la clarinette et Dominic Lash uniquement de la contrebasse, instruments avec lesquels ils se sont fait connaître parmi les meilleurs improvisateurs de Grande-Bretagne alors qu'ils se positionnent comme guitaristes électriques de choc. Se joint à eux l’excellent batteur norvégien Ed Karlsen, établi en UK et coproducteur pour le légendaire label Bead Records (Est. 1974 !). Voilà une musique improvisée pointue, exigeante et qui couvre un large domaine de perspectives sonores, formelles et de multiples combinaisons d’interactions. Bien plus que de maîtriser un style ou une formule, c’est l’entièreté du spectre sonore et des nombreuses possibilités expressives de la clarinette que nous fait découvrir Alex Ward, un extraordinaire virtuose de l’instrument. Il en étire les notes dans d’extravagants glissandi, gloussements, rengorgements, aigus vertiginieux, avec une articulation démente et des spirales qui épousent tous les angles de vue dans des espaces multidimensionnels, sans parler des audacieux effets de souffle. Sa maîtrise de la composition musicale instantanée est exceptionnelle tout autant que son travail dans le jazz moderne. Pour rappel, il se commet dans un groupe de jazz « normal » le plus original qui soit, le Duck Baker Trio. Avec Dominic Lash, Alex a trouvé un compagnon de choix à la contrebasse qui s’intègre parfaitement dans ce trio avec une serein mais formidable assurance. Toutes ses interventions tombent toujours à point : elles sont calibrées, senties et inventées dans l’instant avec une remarquable maîtrise et un sens inné de l’intention juste avec un beau timbre, un sens du silence et de la respiration. Toujours à l’écoute, le « jeune » Emil Karlsen varie adroitement les effets percussifs, les suggestions de pulsations, une finesse dans l’interactivité qui enlumine les groupes auxquels il participe. Intent (29:25) sonne comme la parfaite intégration du jazz free intelligent et subtil dans l’expérience radicale de l’improvisation libre. In Tension (8:08) en est une belle conclusion. Exemplaire !
Pour rappel, ces trois musiciens ont travaillé avec Derek Bailey, Phil Wachsmann, Simon H Fell, Mark Sanders, John Butcher, Pat Thomas, Steve Noble…. En feuilletant mon blog , vous trouverez des chroniques de leurs albums précédents.

Imaginary String Quintet Phil Wachsmann Bruno Guastalla David Leahy Trevor Taylor Catherine Hope Jones. Wood Paper Paint Sound FMR.

L’Imaginary String Trio s’est formé il y une vingtaine d’années lors d’un concert à Oxford durant lequel le violoniste Philipp Wachsmann, le violoncelliste Bruno Guastalla et le contrebassiste Dominic Lash ont essayé de créer une improvisation en trio tellement réussie qu’ils se sont proposés de continuer sur cette voie. Ils enregistrèrent alors un album extrêmement réussi « Imaginary String Trio » (Bead CDO8SP : https://beadrecords.bandcamp.com/album/imaginary-trio-2) dont la pochette est décorée par une œuvre colorée de Catherine Hope Jones. J’ai souvent fait tourner ce compact durant mes soirées des années 2006-2010 : une merveille. Depuis lors, Philipp Wachsmann a enregistré un excellent duo avec le contrebassiste David Leahy : translated space (Bead Records CD BDSSP14 – FMRCD539-0519 avec œuvre de Catherine Hope Jones sur la pochette). Dominic Lash a transhumé à Bristol, puis Cambridge, et donc maintenant l’Imaginary String est devenu un Quintet avec Phil, Bruno, David Leahy et un ancien compagnon de route de Wachsmann, le percussionniste Trevor Taylor du label FMR. Les sons de la peintre Catherine Hope Jones s’ajoutent pour deux morceaux, Spruce et Willow. En fait, tous les titres des dix improvisations enregistrées ici portent les noms d’une variété de bois : Spruce, Maple, Willow, Poplar, Sycamore, Ebony, Rosewood, Pernambuco, Snakewood et Padauk, comme pour ne pas rappeler que les violons, violoncelles sont fait de bois "d'essences" rares, malgré les effets électroniques de Phil et de la percussion de Tevor. Si l’Imaginary Trio se focalisait essentiellement sur l’interrelation active et centripète improvisée des trois cordes et leurs archets comme un archétype ludique, cet Imaginary String Quintet étale ses ramifications dans l’espace, le silence, les bruissements … les formes se dissocient, l’énergie s’éparpille pour ensuite se ressaisir subitement d’un instant à l’autre. Des apartés intimes surgissent, des ambiances naissent élégiaques ou parfois tourmentées, improvisations du bout des doigts, pizzicatos délicats, effets d’harpe par la grâce de l’électronique du violoniste, col legno hyper discret en boucle… Il y a bien un duo contrebasse et percussions en roue libre, Ebony, pour un peu changer. Mais on entend tinter des timbres métalliques (cloche, crotale) en filant dans le champ auditif. Chacun des morceaux semble être la redéfinition de l'équilibre du Quintet, comme si on avait voulu oublier ce qui a été joué pour aborder un univers différent. Morceaux courts, morceaux longs (deux pièces font 12 minutes). Créer un paysage imaginaire, des agrégats sonores mystérieux, un moment d’indécision à l’écoute de ce qui adviendra peut-être, faire naître une respiration, un soupir, un silence (Rosewood). Voilà bien un album de musiques improvisées qui ne ressemble pas à quelque chose que l’on pense connaître ou reconnaître alors qu’il s’agit de découvrir.

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