Matthias Müller & Andreas Willers - Matthias Müller & Andreas Willers Trouble in the East Records 039
https://matthiasmueller.bandcamp.com/album/matthias-m-ller-andreas-willers
Il y a une dizaine d’années, j’avais chroniqué MM Squared Session des trombonistes Matthias Müller et Matthias Muche (Creative Sources CS306CD), un excellent duo de trombones. Par la suite Matthias Muche a développé le duo Superimpose avec le percussionniste Marcel Marien dans une série d’albums qui culminent dans un super coffret publié par inexhaustible editions « , sans parler de son Bone Crusher, un super ensemble de trombones auquel participaaitt Matthias Müller. Je me remémore tout cela parce que je suis un fan de trombone improvisé ( Rutherford, Christmann, Malfatti, Tomlinson Hubweber, Schiaffini etc…). Ça change du saxophone ou du piano et je déteste écouter toujours la même chose. Tout récemment la présence de Matthias Müller dans l’ensemble Fluid Fixations de John Butcher + 13 a ravivé mon excellent souvenir de ce remarquable tromboniste et j’ai sauté sur l’occasion de me procurer ce nouveau CD de Matthias avec le guitariste Andreas Willers. Par la même occasion Matthias Müller m’a fait envoyer Spontaneous Live Series 010, un enregistrement live avec le pianiste Witold Oleszak, le batteur Peter Orins et la saxophoniste Paulina Owczarek. Ce sera pour une prochaine publication. En effet, ce CD en duo dont les prénoms et noms des musiciens servent de titre est encore un merveilleux et savant dosage de timbres, sonorités, d’actions, d’interactions et réactions, de bruitages et d’effets électroniques (la guitare) démultipliés sans qu’on ait l’impression qu’il y ait de redite, de retour en arrière et d’utilisations de trucs et ficelles. Andreas Willers est un vieux routier du jazz libre et de la free-music. Il a débuté à l’époque du vinyle en publiant un album solo pour le légendaire FMP (Hier als Auch FMP 0880) dans lequel ses improvisations et techniques intrigantes ont attiré l’attention. On l’entend par la suite souvent avec le super clarinettiste basse et saxophoniste Gebhard Ullman avec lequel il enregistre en duo et aussi avec des jazzmen tels que Marvin Smith, Bob Stewart, Enrico Rava, Phil Haynes. Plus tard, on le retrouve à collaborer au label Between the Lines de Franz Köglmann et dans Gri Mesh avec Frank Paul Schubert. Mais plus récemment , il s’affirme comme un véritable explorateur sonore dans Nulli Secundus avec le bassiste Meinrad Kneer et le batteur Christian Marien, le pote à M Muche et j’ai chroniqué cet album. Il y a aussi un duo avec le saxophoniste Urs Leimgruber (Pale White Shout /Jazz Werkstatt) que je n’ai pu écouter même si je suis un fan d’Urs. Mais j’ai passé en revue Rome Ing où ces deux musiciens improvisent avec Fabrizio Spera et Alvin Curran (Leo Records). Mais revenons à nos moutons. Matthias Müller est un solide tromboniste et un véritable improvisateur libre qui traque les sonorités rares, les effets de souffle, les dérapages des lèvres, les grumeaux de la colonne d’air, les grognements, éclats, sons vocalisés, effets percussifs, des fragments mélodiques ou riffs égrillards en digne héritier de Paul Rutherford (R.I.P.) et de Radu Malfatti. Son jeu devient encore plus fascinant face à la palette électrique étendue de Andreas Willers. Celui-ci diversifie son jeu à outrance avec une qualité sonore et une maîtrise exemplaire, que son jeu éclate profusément en gerbes d’étincelles ou qu’il commente discrètement avec quelques glissandi électroniques ou deux notes suspendues dans le silence. Le renouvellement constant des modes de jeux, des combinaisons sonores et des trouvailles ludiques s’impose avec une belle évidence. Il y a énormément de choses à en tirer. Le fruit de l’expérience, d’un travail intense, d’une concertation / concentration maximale basée sur une écoute de tous les instants et un sens de l’initiative assuré. Et parfois, l’art de divaguer pour faire semblant de parler pour ne rien dire, juste pour vous inviter à les suivre là où vous n’auriez pu imaginer qu’ils vous aient entraînés.. Si vous aimez l’improvisation libre et le jazz free qui a complètement rompu les amarres de tout formatage, Matthias Müller & Andreas Willers, c’est pour vous. Excellent !
At Khoen’s Luc Houtkamp & Alex Maguire FMR Records 2024
Le pianiste Alex Maguire a commencé sa carrière en tandem avec le batteur Steve Noble. Il reste de cette collaboration un vinyle Incus (n°52), le dernier LP du label, Live at Oscar’s (Incus 52 1987). Il a joué et enregistré par la suite avec Michael Moore, Elton Dean, Sean Bergin, Paul Rogers, Simon H Fell, Martin Speake. Un excellent pianiste de jazz contemporain free habile au dialogue et à l’écoute mutuelle. Cet album a été enregistré live en septembre 2023 à Malte où s’est retiré le saxophoniste ténor et clarinettiste Néerlandais Luc Houtkamp, un artiste d’avant-garde original assez inclassable. Il eut en son temps un label vinyle, Ooyevaar et par la suite un label CD expérimental , X-OR. Son style au sax ténor est aisément reconnaissable par ses staccatos soniques, le travail sur les effets sonores particuliers et prises de bec tranchantes dans l’aigu. Il est aussi impliqué dans l’innovation électronique. Il a enregistré en trio avec Fred Van Hove et Gert-Jan Prins et plus récemment avec Martin Blume et Steve Beresford. J’ai bien essayé d’obtenir une copie des CD’s FMR de ce dernier trio, Shed et de Frush, celui-ci augmenté du tromboniste Sebi Tramontana. Mais en vain. Donc, je me suis rabattu sur ce duo et je ne m’en plains pas, que du contraire. Luc Houtkamp conjugue de manière originale une approche non conventionnelle et des sonorités délicieusement « traditionnelles » issues d’un jazz d’une autre temps, celui qui a gardé une saveur non pareille. Avec ses fabuleux coups de langue rapides sur le bord de l’anche et son art consommé pour hacher menu un phrasé, émettre des harmoniques charnelles et pointilleuses ou les projeter subitement avec un expressionnisme raffiné, il figure parmi cette fratrie de souffleurs pas comme les autres de la scène Européenne. Ses compatriote Wim Breuker et Peter Van Bergen, Lol Coxhill, Wolfgang Fuchs ou Stefan Keune. On l’entend aussi à la clarinette d’une manière placidement détachée ou stridente dans les aigus qui dérapent allègrement un bref instant. La communication entre le souffleur et le pianiste est tangentielle et elliptique. Maguire cultive une approche parfois minimaliste, presque conceptuelle adaptant graduellement son jeu en soustrayant ou additionnant une note ou deux, clin d’œil subtil. Plutôt que « d’accompagner », relancer le souffleur ou lui imposer un « solo », il crée un espace pour un échange collectif où chaque improvisateur contribue égalitairement, chacun prenant brièvement l’initiative. L’art précis du commentaire, de souligner et de doser les interventions successives et alternées dans un superbe numéro d’équilibrisme épuré. Un magnifique sens de l’écoute mutuelle.
Ivo Perelman Nate Wooley Polarity 3 Burning Ambulance
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-3
Quand le free-jazz devient « cool ». « West Coast » je veux dire. Cette musique duale de souffle vaporeuse, sensuelle et éperdument lyrique est basée sur la sculpture aérienne des sonorités et vibrations des colonnes d’air d’un saxophone ténor et d’une trompette par deux des plus remarquables praticiens héritiers des Albert Ayler et Bill Dixon, Steve Lacy et Leo Smith. Comme le titre du compact Polarity 3 l’indique, il s’agit de leur troisième album en duo. Dix improvisations soigneusement calibrées naviguent avec de multiples surprises et détours entre l’expressionnisme émotionnel du free-jazz afro-américain issu du blues et une conception spontanée d’extension ludique des timbres et des notes basée sur l’improvisation totale. Intuitivement, les deux musiciens rapprochent leurs sonorités charnelles par de multiples artifices, une étonnante similarité dans le grain du son et les moindres inflexions. Ils semblent chanter d’une même voix une déambulation gémellaire dans la musique des sphères établissant d’infinies connections – correspondances entre les fragments mélodiques imbriqués en hoquets ou spirales, les stridences des harmoniques, les effets de souffles profus et . L’art du glissando est omniprésent dans le souffle, tout autant que le sens profond du timing de chacune de leurs interventions. Il n’est pas rare que Nate Wooley retient son souffle pour s’insérer adroitement dans le flux du saxophoniste. En comparant avec leur premier album duo Polarity (2021), ce troisième enregistrement reflète de toute évidence une évolution bien marquée dans le traitement du son, de l’inspiration, vers plus de légèreté de sons suspendus dans le temps alors que les échanges de Polarity « 1 » font dans la cascade et le staccato et de fréquents changements de cap et de tentatives sonores hétérogènes, comme dans 6 / Eight où Ivo vocalise hardiment. Le 4/ Three A de ce premier CD contient en germe l’essentiel de la démarche et de l’état d’esprit sensible et émotionnel à l’œuvre dans Polarity 3. Même si Polarity « 1 » est un album exemplaire par la profusion imaginative de ses duettistes qui marquent leurs territoires, Polarity « 3 » nous fait découvrir l’expression d’une extrême empathie au niveau des timbres, des effets sonores, du flottement des sons tout en relaxation avec une écoute mutuelle raffinée qui embrasse les moindres détails sonores et « feelings » de leur jeu respectif. Le son du ténor est devenu plus diaphane, intériorisé et sa vocalité irradie comme rarement. Son alter-ego exploite adroitement de nombreuses ressources sonores de la trompette et de l’embouchure parmi les plus audacieuses tout en puisant éventuellement dans le langage traditionnel du jazz quand une idée surgit. On est passé du stade de « confrontation » dialoguée entre deux fortes personnalités qui font l’effort de mettre ensemble leurs musiques respectives à une vision de « musique de groupe » s’apparentant à celui d’une Complete Communion, fusion des énergies et des imaginaires dans un climat de décontraction totale. Et en cela leur démarche est unique. Ici, la moindre trace d’ego et une volonté de contradiction et de contraste sont évacuées au profit d’une magnifique empathie. Je veux dire cette tradition de « cutting contest » héritée des jam-sessions du temps passé qui s’est imprimé inconsciemment dans la pratique du jazz, ce goût de l’exploit technique bravache … qu’il soit swing, « moderne » ou free. Moins de vivacité et plus de profondeur émotionnelle. Un véritable bijou ou un fruit si rare au goût inconnu qu’il semble venu de terres inviolées.
Tungu – Mia Zabelka - Stefan Strasser the confidence of one swimming against the current. FMR CD707-0824
Trio atypique qu’on qualifiera d’ expérimental – électronique réunissant Sergiy Senchuk a/k/a Tungu (field recording, acoustic bass, voice, samples), Stefan Strassner (synth, piano, guitar, electronics) et Mia Zabelka (violin, voice, electronics). Musique futuriste construite / assemblée / improvisée avec de multiples sources sonores se ramifiant et s’interpénétrant dans des flux différenciés qui se stratifient, s’agrègent, naissent ou disparaissent en créant des ambiances et des mouvements en mutation, suspendus dans l’éther, un espace hors du temps. C’est enregistré de manière efficace et sans effets de studio et chacun des 17 morceaux d’environ trois minutes racontent une autre histoire, qu’elle soit mystérieuse, oscillante, nébuleuse, planante, vénéneuse, électrique, tendue, chargée d’éclairs, profuse, bourdonnante, menaçante… On distingue de temps à autre, le violon survolté de Mia Zabelka qui scie frénétiquement les cordes avec son archet batailleur. On a l’embarras du choix, leur insistance réussie à la diversification des formes, des combinaisons sonores, des affects fait que l’auditeur n’a pas le temps de s’ennuyer, même si on retrouve parfois un type de drones ou de sonorités récurrentes. Toujours est-il, cette équipe nage hardiment contre le courant avec une belle foi et quelques confidences secrètes
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
12 mars 2025
Matthias Müller & Andreas Willers/ Luc Houtkamp & Alex Maguire/ Ivo Perelman Nate Wooley/ Tungu – Mia Zabelka - Stefan Strasser
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......