17 mars 2025

Marta Warelis Florian Stoffner Rudi Fischerlehner/ Adam Bohman / Norbert Stein Pata Kandinsky/ The Chemical Expansion League/ Matthias Müller Witold Oleszak Peter Orins Paulina Owczarek

Marta Warelis Florian Stoffner Rudi Fischerlehner Spontaneous Live Series vol. 014
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-014

Piano – guitare – percussion : une combinaison instrumentale difficile et complexe à mettre en valeur en raison des interférences inévitables entre les intervalles spécifiques des doigtés du piano et de la guitare et les harmonies sous-jacentes. Cherchez bien dans la discographie de Derek Bailey s’il y a un seul pianiste (mis à part l’unique concert en duo avec Cecil Taylor publié par FMP en 1989) ou inversément quel pianiste a-t-il jamais enregistré en duo avec Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Misha Mengelberg, Howard Riley ou Veryan Weston. C’est vraiment une affaire compliquée. Mais la pianiste portugaise Marta Warelis et le guitariste suisse Florian Stoffner se sont risqués haut la main à cet exercice en compagnie du batteur autrichien Rudi Fischerlehner. Et c’est une belle réussite. Les trois musiciens utilisent plusieurs options interactives pour imbriquer leur jeu en variant les occurrences des pulsations, répétitions, cadences télégraphiques, sursauts, pointillés, frappes en y interjetant des sonorités électriques déphasées, scintillements et piquetage des cordes du piano etc… Au fil des minutes des trois improvisations (9 :06 / 15 :34 / 9 :53), la musique devient hypnotique, électrique ou irréelle. Le degré d’empathie incisive et d’énergie nerveuse est phénoménal : l’intensité sauvage n’a d’égale que l’ extrême précision sur la crête des secousses rythmiques et dans les interstices qui se font jour entre les ponctuations, vifs accents, coups secs et déflagrations pointilleuses de chacun à la nano-seconde près. Hallucinant ! La furia magnifique du trio sublime le niveau élevé de chacun des trois improvisateurs les propulsant dans un état de transe rarement atteint. Une extrême qualité d’invention collective qui se situe bien au-delà et au-dessus de « musicianship » individuel. À suivre ! La jeune Marta Warelis a enregistré avec Carlos Zingaro, Frank Rosaly, Wilbert De Joode, Ken Vandermark, Toma Gouband ; Florian Stoffner s'est distingué avec Paul Lovens, Rudi Mahall, John Butcher et Zingaro; Rudi Fischerlehner a enregistré avec Zsolt Sörès, Olaf Rupp, Matthias Bauer, Matthias Müller. La musique jouée ici n’est rendue possible que par la magie de l’improvisation libre et collective où chacun est responsable où la notion de « solo » s’est évaporée pour une démentielle imbrication organique de tous les sons joués à tout berzingue. La folie pure.

P.S. Spontaneous Live Series a publié un album digital Meinfreund Der Baum de Florian Stoffner, Rudi Mahall et Paul Lovens : Spontaneous Live Series D02 / Live at the Spontaneous Music Festival 2018.

Adam Bohman Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects KRIM KRaM KK-18
https://krimkram.bandcamp.com/album/text-pieces-compositions-for-prepared-strings-and-objects

Sans doute un sommet de l’œuvre d’Adam Bohman. À lui tout seul, Board Meetings Blackberries And Bladderacks est une pièce d’anthologie de simultanéité bruitiste : grattages, frottements, scintillements, grincements résonnants effectués sur le bric-à-brac d’objets amplifiés et disposés- collés sur la table de l’instrumentiste. Le texte qui suit est un énoncé loufoque, bien enregistré d’un texte – menu de restaurant dit avec une expressivité insistante et hésitante à la fois (Cherry Roma – Jooper Heul – Washirv. La troisième pièce, Philhamonic Bottle Squirmings est encore un témoignage sévère et convaincant de ses Prepared Strings particulièrement sadique et torturé : on finit par y déceler des inflexions vocales. Les deux pièces « instrumentales » durent six ou sept minutes. Un duo parlé avec son camarade Adrian Northover, lecture abracadabrante d’un texte cut-up : Octopax Trixwall – Jc Phedre Variations. Les mots défilent, se télescopent, s’additionnent ou font écho avec un brin de multi-tracking. C’est incompréhensible si vous n’êtes pas un locuteur natif et allumé. Ensuite, Warm Strawberry Infusion Trappings se révèle comme une variante réussie des Philharmonic Bottle Squirmings précédents avec ses frottements maniaques de cordes pressées multilatéraux. On retrouve un peu plus loin la voix de Northover en 8 et avec celle de Sue Lynch en 10. La diction insiste sur chaque syllabe accent et chaque mot sans que filtre la moindre émotion. J’ai un faible pour ses compositions de Prepared Strings. Préparées signifie que les cordes métalliques tendues sur des objets et des boîtes résonnantes lesquelles sont pincées par des pinces à linge en bois, alors que des cartes de crédit, des tiges ou des feuilles de métal sont insérées dans le réseau de cordes tendues. Adam frotte avec deux archets, ou d’autres artifices, autant les cordes, que les boîtes plastiques, les pinces à linge, les cartes de crédit brisées, les verres de vin ou à bière, canettes, ampoules d’éclairages la frigolite. Au fil des morceaux, les pièces « instrumentales » des Prepared Strings and Objects s’animent de leur vie indépendante autonome comme une machinerie illusoire (Coffee Worm Cello Junction ou Confederation For Handkerchiefs and Oil Rigs). Roy – Or Bison Text Piece avec Adrian et Sue couronne cet album vraiment pas comme les autres où il est question éventuellement du Canada de Bison avec un chœur chahuté et Adam qui grogne-chante … Pour votre info : Adam : voice, Three and Four homemade String Instruments, Small Two Strings Instruments, Objects including Metal, Glass, Wood, Knitting Needles Tiles, Polystyrene, Tin Cans, Combs, Light Bulbs, Screwthreads, Etc… Enregistré en Juillet et Août 2023 par Adrian Northover.
Magistralement farfelu, expressif etc... Text Pieces + Compositions For Prepared Strings and Objects is actually Ze Best of Bohman !!

Norbert Stein Pata Kandinsky PATA Music 26 CD
-Suite en Six Mouvements pour 12 Musiciens composée par Norbert Stein.
https://www.patamusic-shop.de/en/p/pata-26-norbert-stein-pata-kandinsky-pata-26

Le compositeur saxophoniste et chef d’orchestre Norbert Stein est une personnalité incontournable du jazz d’avant-garde créatif de Cologne et d’Allemagne. Bien sûr, j’ai entrevu son nom et l’existence de ses nombreuses réalisations depuis de longues années, sans les avoir jamais écoutées, me concentrant nettement plus sur l’improvisation libre radicale, tout en étant un amateur de jazz et d’autres musiques. Mais jouent dans ce remarquable orchestre de Cologne quelques improvisateurs que j’apprécie beaucoup et dont je chronique les albums tant que faire se peut, comme le saxophoniste Georg Wissel, l’électronicien Joker Nies, le pianiste Uwe Oberg et le batteur Jörg Fischer. Un album évoquant le peintre russe Wassili Kandinsky, un créateur initiateur de la peinture abstraite sur son versant géométrique et coloré. Ça me fait penser que Kandinsky a été influencé par la peintre Sonia Delaunay (d’origine ukrainienne) dont le fils Charles fut une personnalité visionnaire de l’univers du jazz comme critique, producteur (disques Swing et Vogue) et agent d’artistes parmi les géants du jazz. Les tableaux de Kandinsky ont aussi servi de point de repère aux compositions d’Anthony Braxton, on en voit même sur les pochettes de ses disques. L’orchestre de PATA Kandinsky est en tout point remarquable mêlant compositions cubistes, solos véhéments et dérapages sonores – bruitistes contrôlés avec subitement une envolée furieuse genre Ascension. Une belle équipe soudée : outre Wissel au sax alto et à la clarinette, Nies, Oberg au piano et Fischer à la batterie, susmentionnés, on trouve le leader Norbert Stein au sax ténor, Michael Heupel aux flûtes, Nicolao Valiensi à l’euphonium, Annette Maye et Rainer Weber à la clarinette et à la clarinette basse, Andreas Wagner aux sax alto et soprano et aux clarinettes, Pacho Davilla au sax ténor, Florian Herzog à la contrebasse. Total de 50 :17 qui commence par des sons épars enchaînant sur une composition qui imbrique intro dodécaphonique, masses sonores et thème modal évolutif remarquablement structuré , le tout navigant adroitement entre puissance expressive, voicings intéressants et légèreté, un brin de pointillisme et de belles nuances. Incorporer d’un seul élan une telle variété d’éléments en l’espace de 10 minutes avec deux ou trois espaces libres pour une individualité (Joker Nies !) de manière que tout semble couler de source, c’est super (Seven Brushstrokes Dark and Light Steps ! Je vous dis : la classe ! D’un point de vue Kandinskien, je me serais attendu à autre chose, mais la musique vaut le détour. Il suffit d’entendre la clarinette de Point And Line To Plane (9 :38) évoluer subtilement par-dessus le drumming ouvert et aéré de Jörg Fischer et la distinction de la contrebasse de Herzog avec le concours adroit et diaphane des souffleurs se partageant en sections ondoyantes, clarinette suivie par un flûtiste inspiré tendance musique contemporaine pour savourer la musique de Norbert Stein, laquelle sollicite aussi de ci- de là , de brefs passages de recherches sonores improvisées. Cette deuxième composition rse clôture avec le thème modal des cuivres de la première composition. On peut donc parcourir cet album sans s’ennuyer un instant en goûtant une belle musicalité mise en valeur par de superbes idées et un travail instrumental coloré de grande qualité. Voilà un magnifique travail qui fait de Norbert Stein un compositeur de jazz contemporain d’envergure. Félicitations !

The Chemical Expansion League Salute to The Rabid Raspberry Adam Bohman, Sue Lynch, Adrian Northover, Ulf Mergensen. Creative Sources CS836CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/salute-to-the-rabid-raspberry

Deuxième CD de ce groupe improbable, The Chemical Expansion League. Le poète « surréaliste », spécialiste des collages de fragments d’articles de journaux et de titres à coucher dehors, Adam Bohman, est un improvisateur d’objets hétéroclites littéralement collés-sur-table et amplifiés sommairement frottés ou titillés au moyen d’archets, de tiges, brosses à dent, cartes à jouer ou de crédit, avec ressorts – résonateurs. On y trouve des verres à vin ou à bière, des cordes tendues sur l’arête de boites métalliques, en bois ou en plastique, un moule à cake, des peignes, etc… simultanément ou alternativement il récite avec maniaquerie et aplomb ses textes sibyllins et détraqués imperturbablement comme un conférencier de fortune qui a fait fuir son public. Mais rassurez-vous, même si on l’entend rarement avec des improvisateurs notoires, ses apparitions et ses performances attirent un public à la fois bon enfant et enthousiaste, surtout dans toute la Grande Bretagne où il personnifie au plus haut point l’excentricité britannique. Sous cette apparence délirante avec sa diction improbable et innocemment narquoise se cache un critique incisif de notre monde contemporain du profit, de la bureaucratie et du mépris des gens. Il joue souvent avec deux saxophonistes, ses deux acolytes du Horse Improvised Club, Sue Lynch et Adrian Northover. Ces trois-là jouent souvent ensemble et s’adjoignent le contrebassiste Ulf Morgensen. Adam est aussi l’auteur des collages qui illustrent leurs pochettes de CD’s ou d’albums (comme celui-ci). Jetez- un coup d’œil à l’intérieur de la pochette à rabats vous aurez droit à un dessin d’anthologie réalisé aux markers colorés d’un affreux personnage de cartoon rose foncé avec mâchoire en dents de scie, regard foudroyant et long pif proéminent, influence indéniable du peintre André Delvaux. Avec des titres tels que Armed Rhubarb Rhumba, Salute to the Rabid Raspberry, Zeroton Police, Salt Mine Salutation, Armchair Sobbing etc… on en a pour ses pennies. La musique titube, gratte, grésille, bruite, frictionne, … La contrebasse et l’achet volage d’Ulf Mergensen concurrence le bruitisme Bohmanien lorsque la flûte de Sue Lynch pépie par-dessus. Quand il ne souffle pas harmoniques et faussoyements incisifs, Adrian Northover intervient à bon escient avec une autoharp ou son Wasp Synthesizer. Les ambiances sonores changent de registre autant que les nuages d’Outre-Manche par-dessus la Tamise et on réalise qu’il s’agit d’improvisateurs expérimentés qui se prêtent à un salutaire exercice poétique décapant autant que leur art d’intégrer leurs interventions – réactions est consommé et illustre bien cet état d’esprit d’écoute mutuelle particulier de l’improvisation collective British.

Matthias Müller Witold Oleszak Peter Orins Paulina Owczarek Spontaneous Live Series 010 Live at the 5th Spontaneous Music Festival 02-10.21
https://matthiasmueller.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-010

Cette Spontaneous Live Series publie régulièrement d’excellents moments collaboratifs triés sur le volet entre différentes – différents improvisatrices/ teurs invités au Spontaneous Music Festival au Club Dragon à Poznan. Certains d’entre eux ont enfin l’occasion de se joindre à des collègues avec qui ils n’ont jamais joués auparavant. Avec pas mal de retard voici un intéressant enregistrement daté du 2 octobre 2021. Désolé pour le retard, il m’est impossible de suivre toutes les sorties à la file, même quand c’est aussi remarquable que cette excellente rencontre. En son temps, j’ai chroniqué plusieurs albums du pianiste Witold Oleszak en duo avec Roger Turner et dans un autre duo avec la saxophoniste ténor Paulina Owczarek, mono no aware / Free Form Association. Tous deux sont Polonais, alors que le tromboniste Matthias Müller vient d’Allemagne et sa musique a fait aussi l’objet de chroniques de ma part, comme son récent duo avec le guitariste Andreas Willers pour le label Trouble in the East. Enfin, je suis fort heureux de découvrir le percussionniste Français Peter Orins qui s’intègre parfaitement dans ce remarquable quartet. On s’éloigne ici de la free-music musclée pour laquelle cette instrumentation sax – trombone – piano – percussions coule de source. Les quatre improvisateurs/trice jouent tout à l’opposé même s’il y a quelques embardées comme dans cette véloce séquence du deuxième et dernier morceau largement applaudi par un public enthousiaste. Mais avant d’atteindre cet apex crucial, ils s’appliquent à improviser de manière introspective, chacun veillant à s’insérer au travers des et dans les interventions pointillistes des autres de manière équilibrée et paradoxalement instable. Attentes, actions, menus bruitages, notes perlées, effets de souffle, cliquetis artistement articulés (Orins), sifflements métalliques, agrégats de timbres, soudaines réponses du tac-au tac, brefs silences, chocs coordonnés. Ils cultivent un remarquable panorama de possibilités sonores, de connivences interactives, de correspondances subtiles au point de créer une véritable entité de groupe, plongé dans l’écoute mutuelle, arpentage millimétré d’artifices soniques qui s’imbriquent organiquement. Ce genre de choses musicales qui ne peut être réalisées autrement qu’en improvisant librement. Chapeau, c’est tout à fait remarquable, il faut les saluer.

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