13 août 2020

Maggie Nicols John Russell Mia Zabelka/ Yorgos Dimitriadis & Achim Kaufmann/ Derek Bailey Will Gaines Simon H Fell Mark Wastell/ Trevor Watts solo

W : Trio Blurb Maggie Nicols John Russell Mia Zabelka evil rabbit records 27



Enregistré par Tim Fletcher le 16 septembre 2017 au discovery festival et le 13 mars 2018 par saint austral sound au horse improv club / i’klectic , Londres. Wilcumestowe (19 :18) et Work and wild (27 :33).

John Russell avait déjà fait mine de me filer le compact, mais le fil de notre conversation avait dévié. J’ai profité de ma participation à son Quaqua Festival d’août 2019 pour acheter ce beau document et je ne le regrette pas. J’avais déjà reçu le Trio Blurb (Extraplatte) en 2013 et ce deuxième opus monte de deux ou trois crans le régime de cette formule voix – violon – guitare pour le moins originale. La violoniste autrichienne Mia Zabelka est une improvisatrice sensible et compétente dont l’esprit et le traitement sonore de son instrument s’agrègent très bien dans les univers conjoints et très particuliers du guitariste acoustique John Russell et de la chanteuse Maggie Nicols. John Russell a développé un style original à la six cordes non amplifiée, une éthique sourcilleuse et un mode collaboratif très ouvert faisant de lui un fils spirituel de John Stevens et Derek Bailey, s’ingéniant à jouer pour mettre en évidence le meilleur chez ses compagnons d’un soir ou de tournée. 

        Maggie Nicols est une réelle innovatrice dans le domaine de la libre improvisation au même titre que tous ces musiciens légendaires, Bailey, Rutherford, Stevens, Parker, Guy, Prévost, Lovens, Van Hove etc… Elle chantait déjà librement avec John Stevens et Trevor Watts (Berlin TMM 1968), mais aussi avec Terry Day et Lol Coxhill, bien avant que le concept d’improvisation libre européenne « non-idiomatique » se détache de l’univers du free-jazz. Sa voix se mue irrévocablement dans les incarnations successives de la révolte, de la pureté, du plaisir, de l’amour, ... en jouant spontanément avec les couleurs, le timbre, la dynamique, les intervalles et l’expression d’affects profondément vécus ou outrageusement surréalistes. Elle fait éclater les gammes sauvagement en appliquant les principes du dodécaphonisme à sa sauce, susure brièvement historiettes et tranches de vie improbables, étire le timbre en glissandi aux contours constamment renouvelés, râcle son gosier comme une oiselle affamée, des mots inintelligibles s’entrechoquent dans sa mâchoire hébétée. L’art de la conversation intime avec un interlocuteur imaginaire, lequel peut se révéler être chacun d’entre nous.  

           Les deux cordistes ont un malin plaisir à transformer leurs instruments en caisse de résonance des stries de l’espace – temps, compressions d’harmoniques folles sur la touche, archet ou plectre virevoltant sur le chevalet et la surface des cordes, grattant, piquetant, virevoltant. Vision pointilliste et sonique – acoustique de la musique, contorsion bruitiste du geste musical, sifflements gracieux, balancements de notes fantômes (harmoniques) et d’intervalles savants – harmonies schön-bergiennes.  Mia et John sont littéralement happés par la magie du trio et les vocalises visionnaires et improbables de la chanteuse, Maggie, l'unique. L’inspiration de Maggie fait feu de tout bois, recyclant sa mémoire musicale et le fruit toutes ses expériences pour continuellement enchanter l’instant en alimentant l’imagination de ses deux condisciples, tous deux superbement au diapason et sur une autre planète.

          W : double you. Chacun joue – chante avec un double toi-même – moi-même dans une forme triangulaire, perçue, sentie, ouïe sur tous les angles comme une pyramide parfaite en rotation  permanente dans l’espace et la lumière. W : Vivant Maggie, Mia et John !!

     PS : Il y a finalement peu d’albums avec Maggie Nicols ce dernier quart de siècle et celui-ci est une pure merveille. Je viens aussi de chroniquer Myasmo , l’excellent album solo de Mia Zabelka pour Setola di Maiale. Notez aussi John Russell : With / Emanem 5037. 

 

Nowhere One Goes Yorgos Dimitriadis & Achim Kaufmann jazzwerkstatt

https://yorgosdimitriadis.bandcamp.com/album/nowhere-one-goes


Piano et percussions préparés et gémellés. Yorgos Dimitriadis, batteur provenant de Thessalonique, a ajouté un module électronique pour différencier et enrichir ses sonorités. Achim Kaufmann, pianiste originaire d’Aix-la- Chapelle, joue autant sur le clavier (rêveur, anguleux, …) que dans les cordes et sur les mécanismes de résonnance (Marbles). Est-ce une coïncidence, mais la vieille chapelle palatine d’Aix-la Chapelle (8ème s.), est une des rares cathédrales construites avec un plan byzantin. Quatre dialogues fins, méticuleux autant basés sur les sonorités que sur une forme de lyrisme contemporain et un usage remarquable de pulsations étirées et d’accords désagrégés de notes en suspension mêlées au souffle vibratoire timbres métalliques (Samaris). En suivant l’écoute de ces quatre improvisations aux contours à la fois déterminés (intentions initiales) et ouverts (idées et lueurs qui surgissent), on découvre un superbe parcours faits de nuances, d’émotions, d’entrelacs de doigtés subtils et de frappes en cascades tournoyantes (Ersilia). Les sifflements métalliques et frottements / bruissements joués par les deux musiciens semblent sortir d’une seule et unique machinerie bruissante. Remarquable synthèse/ empathie de récents courants au sein de l’improvisation radicale et du jazz libre créant un univers sonore onirique à la fois cohérent et des frictions hétérogènes. À noter l’inventivité diversifiés des frappes de Dimitriadis à la percussion et la superbe qualité de toucher de Kaufmann. Un excellent opus !!

 

Virtual Company : Derek Bailey Will Gaines Simon H.Fell Mark Wastell confront core series/ core 12

https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/virtual-company


Derek Bailey, Will Gaines, Rhodri Davies, Simon H.Fell et Mark Wastell formèrent, il y a une vingtaine d’années, une édition vraiment passionnante de Company, le groupe à géométrie variable de Derek Bailey. Guitare électrique et acoustique, tap-dancing, harpe, contrebasse et violoncelle. Concerts et enregistrements en G-B, à Marseille (Company in Marseille Incus CD 44/45), New York et au Klinker Club/ Sussex Pub (Company – Klinker /Confront Core). Pour son 50ème anniversaire, Mark Wastell, le violoncelliste, avait voulu faire revivre ce groupe. Mais, malheureusement, Bailey et Gaines nous ont tous les deux quitté depuis bien des années. Simon H.Fell, le contrebassiste, suggéra alors de créer une présence virtuelle en utilisant et en éditant des enregistrements solos provenant de disques de Bailey et des cassettes de Gaines. Il mit au point un stock de fragments de durées différentes en insérant des pauses silencieuses. Aux membres du groupe survivants d’improviser avec cette sélection lors d’un concert tenu au Café Oto le 2 mars 2018 marquant aussi la sortie du cd Company - Klinker. Suite à une importante chute de neige, ce fut par miracle que Simon et Mark parvinrent à Dalston avec leurs instruments, Rhodri et sa harpe restant immobilisés. Ces trois musiciens forment un groupe toujours actif, IST, depuis 1995 et ont pas mal enregistré jusqu’à ce que Simon ne nous quitte prématurément le 28 juin dernier. Sans doute Mark a voulu publier cet album pour (aussi) honorer son cher ami disparu, une personnalité engagée, brillante, extrêmement douée et très généreuse . 

       Son arrangement sonore virtuel avec Bailey et Gaines est intitulé (re)Composition N° 81 (for Mark) et sa réalisation dure 46 minutes treize secondes. Les notes de pochette contiennent un texte de SHF expliquant les tenants et les aboutissants de ce projet et de son bienfondé par rapport à la démarche improvisée « non idiomatique » de Derek Bailey. Peu importe, ce qui compte c’est d’écouter si le jeu vaut la chandelle. Je n’étais pas présent et je me contente d’écouter le présent album. Une remarque s’impose. On entend clairement que le son de la guitare de Derek Bailey provient d’une enceinte d’haut-parleur et sa dynamique sonore est assez différente de celle des deux musiciens vivants sur scène. Le crépitement des claquettes sur le sol de Will Gaines crée une percussion inhabituelle agrémentée d’un monologue adressé au public de sa performance solo lors de l’enregistrement de celle-ci. L’ensemble sonne de manière curieuse et suscite souvenirs, supputations, sentiments nostalgique, surprises. 

        Pour les fans de Bailey, ce sera un jeu de devinettes pour retracer les albums solos dont sont extraits les fragments utilisés. À coup sûr Aïda, Incus 40. Il s’agit à mon humble avis d’une curiosité discographique qui souligne l’apparence extrême de l’improvisation libre et son irréductibilité. Parmi les 46 minutes, se trouvent des moments qu’on pourrait choisir comme remarquables et que, peut-être, Derek Bailey aurait édités et conservés en les détachant de l’ensemble. Allez savoir ! Cette formule « virtuelle » est sans doute une piste intéressante à suivre spécialement en studio et en éditant des séquences réussies. Derek a réalisé ce procédé avec Han Bennink dans leurs Post Improvisation 1 & 2, Incus CD 34 et 35. N’hésitez pas à suivre Confront Recordings, il y a souvent de très belles surprises, dont plusieurs albums du trio IST.

 

The Lockdown Solos Trevor Watts Hi4Head HFHCD029


Nick Dart a dédié son label HiFourHead à la personne du saxophoniste Trevor Watts et de ses projets et rééditions. Ces magnifiques Lockdown Solos enregistrés tout récemment pour combattre la morosité et l’absence de concerts sont tout à fait exemplaires d’une expression constitutive / issue du jazz où l’artiste va glaner son inspiration dans d’autres cultures tout en se nourrissant du langage du jazz moderne. Au sax alto, on songe inévitablement à Art Pepper, Eric Dolphy ou Ernie Henry, et à l’influence modale issue de Coltrane et de la musique celtique. Au soprano, il est un fin mélodiste avec une maîtrise supérieure de l’instrument. Arrivé à l’âge de 80 ans, il a conservé sa magnifique sonorité et une articulation du souffle et des notes peu commune. Quatre compositions au sax alto alternent avec quatre compositions au sax soprano. Ses compositions en solo sont thématiquement et improvisationellement reliées à ses compositions pour ses groupes historiques Amalgam et Moiré Music. Elles donnent l’illusion de tournoyer et se suffisent à elles-mêmes car son jeu suggère une dimension orchestrale avec des rythmiques sous-jacentes très particulières, métriques complexes et variables, suggérées par la précision et la diversification des accents qu’il imprime au flux de son jeu remarquablement articulé.  

      En écoutant ces solos à la file, on arrive à oublier s’il joue l’un ou l’autre instrument, alto ou soprano, car on entend la même voix, inimitable, celle de Trevor Watts. Une saveur unique, un son pur, flamboyant, puissant, chaleureux, des doigtés particuliers et quelle sonorité !! Parmi les altistes les plus merveilleux du jazz libre, sa personnalité incontournable s’ajoute à celles des deux génies tutélaires, Ornette Coleman et Eric Dolphy, et de souffleurs de légende comme Marion Brown, Jimmy Lyons, Roscoe Mitchell ou Sonny Simmons ou son compatriote Mike Osborne, la plupart disparus. Quand on évoque Trevor Watts, on songe maintenant à sa figure de vieux mage, sourire espiègle et rythmique ensorceleuse, magicien du son et de l’invention mélodique réunis. 

1 commentaire:

  1. Très belle chronique de ce trio "Blurb" ! ...
    Ça sent le réel de l'inspiration ! ...

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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......