17 septembre 2022

Trevor Watts & Liam Genockey/ Massimo De Mattia Vija Bazalorsky Zlatko Kaucic / Dominic Lash & Alex Ward Antonyms

The Art is in the Rhythm Trevor Watts Liam Genockey Jazz in Britain JIB-39-S-CD
https://jazzinbritain.co.uk/album/the-art-is-in-the-rhythm

Enregistré en 1989, ce duo du saxophoniste Trevor Watts et du batteur Liam Genockey est sans nul doute un maillon fondamental de la collaboration intensive de ce batteur « de rock » avec un des piliers du free-jazz Britannique et membre légendaire du Spontaneous Music Ensemble (SME) dans sa démarche « rythmique ». Suite à la défection du batteur John Stevens, son frère d’armes du SME, Trevor Watts dénicha un remplaçant de dernière minute pour la tournée européenne de son groupe Amalgam, l’irlandais Liam Genockey (Zzebra, Steeleye Span). Après cette tournée mémorable, Trevor et Liam ne se quittèrent plus durant une vingtaine d’années. Son groupe Amalgam avait transmué sa musique free dans un style hybride rock – jazz- funk avec guitare et basse électrique (tout comme John Stevens d’ailleurs avec son propre groupe Away ou Ornette Coleman et Prime Time). Il s’ensuivit que Keith Rowe d’AMM et sa guitare noise réapparurent dans Amalgam après un hiatus de quelques années transformant le groupe dans un des plus étonnants outfit free-jazz-rock-noise particulièrement abrasif et intense. Mais Trevor Watts ne tarda pas à s’associer avec le pianiste Veryan Weston et des percussionnistes africains dans ses Moiré Music Orchestra, Moiré Drum Orchestra et Moiré Music Group créant des musiques jazz « fusion » world celtico-afro-latino qui firent le tour de la planète en Asie, Afrique et Amérique Latine auprès de très larges publics. Sa musique requiert une maîtrise absolue des rythmes complexes enlacés dans de véritables trompe l’œil sonores. Au fil de l’évolution de la saga Amalgam et Moiré Music , le fidèle et inébranlable batteur Liam Genockey se révéla le cœur battant des groupes successifs dans le bouillonnement rythmique de ses percussionnistes africains déchaînés. Liam fut aussi engagé par Elton Dean à quelques reprises. Fort heureusement, Trevor et Liam eurent l’heureuse idée de jouer et d’enregistrer en duo ce « The Art Is In The Rythm », un des meilleurs albums free-jazz réunissant un saxophoniste (ici à l’alto et au soprano) et un batteur. Même si son jeu « est issu du rock », Liam Genockey lui donne une dimension ludique en variant continuellement les pulsations, l’approche rythmique, l’intensité et les motifs offrant ainsi une inspiration constante à l’invention mélodique et sonore de Trevor Watts. Au fur et à mesure que la durée se creuse un fort sentiment d’empathie partagée, d’émotions bouillonnantes, nous emporte, l’imagination aspirée par leurs spirales étirées, et étoilées et cette interaction incessante qui fait disparaître la sensation du temps. L’ écoute s’adresse de plus en plus à nos réactions physiques et sensitives. Trois longues improvisations de de 28, 25 et 12 minutes dédiées à Charlie Parker (Echoes of Bird) et Eric Dolphy (Dedicated to Eric D.). Ce dernier morceau est joué au sax soprano, instrument dont il tire profit maîtrisant la particularité conique de la colonne d’air comme le ferait un « charmeur de serpents ». La trajectoire musicale particulière de Trevor Watts occulte quand même qu’il est un des saxophonistes les plus inspirés du free jazz, une fontaine mélodico-rythmique intarissable. Le feu roulant des vagues de pulsations , roulements, scansions, rim shots alimente le jeu colloquial et gorgé de blues sidéral de Trevor Watts, qui s’il a un « style », excelle avant tout pour en sortir avec son imagination créatrice. Trevor fut longtemps l’associé privilégié du percussionniste John Stevens, un des créateurs les plus inspirés et intransigeants de la musique improvisée radicale, outrepassant les limites physiques et humaines en improvisant continuellement tous les jours de la semaine à la recherche de sons et cellules rythmiques libres, éclatées, et flottantes. En 1969, Trevor Watts enregistra le légendaire « Prayer For Peace » sous la bannière Amalgam (avec Jeff Clyne et John Stevens), un des cinq ou six meilleurs albums enregistrés par un saxophoniste alto dans le sillage d’Ornette Coleman et Eric Dolphy à l’instar de Jimmy Lyons, Sonny Simmons ou Marion Brown. Vingt ans plus tard en 1989, il nous laisse un témoignage irremplaçable en duo avec un batteur qui a partagé son intense vie musicale, Liam Genockey. Une véritable perle mettant en évidence l’Art du Rythme de manière étonnante.

Trio Electroscope Massimo De Mattia Vitja Bazalorsky Zlatko Kaucic Klopotek IZK CD 132

https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_electroscope/
Le contraste entre les flûtes classieuses, charnelles et virevoltantes de Massimo De Mattia et les bruitages électroniques déjantés du guitariste « électronicien » Vitja Bazalorsky est sûrement la première impression reçue. Mais on ressent petit à petit le questionnement de formes sonores et de flux juxtaposées par les deux musiciens et le rôle à la fois discret et subtil joué par le percussionniste Zlatko Kaucic qui opère par petites touches parfois à la limite du silence. Que vais – je dire de cette musique en trio ? Elle a surtout le don de convaincre, de susciter l’écoute, démontrant que la liberté que s’accorde les improvisateurs contemporains en mettant en commun leurs marottes musicales disparates, voire presque diamétralement opposées parviennent à créer un univers musical cohérent, imbriquant leurs dynamiques avec un sens de l’écoute collective oblique et une curieuse synchronicité. Chacun tire parti des choix sonores de ses partenaires, lesquels amplifient l’écho de leurs trouvailles dans cette curieuse cohabitation. J’attire l’attention sur l’accomplissement de Massimo De Matia, un flûtiste italien talentueux rencontré sur de nombreux albums en compagnie du pianiste Giorgio Pacorig, du contrebassiste Giovanni Maier ou du guitariste Denis Biason (albums chez Setola di Maiale, Spasc(h), Klopotec) et l’incontournable batteur slovène Zlatko Kaucic dont on trouve des albums chez Not Two ou Fundacja Sluchaj avec Evan Parker, Agusti Fernandez, Joëlle Léandre, Ad Baars ou Barry Guy et un nombre croissant de collaborations avec une multitude d’artistes de son aire de jeu régionale dont l’étonnant contrebassiste Tomas Grom (Ratzrgana Folklorica Spomina chez Zavod Sploh). Son talent est demandé par de prestigieux collègues, mais il n’hésite pas à se lancer dans des aventures alambiquées comme ce curieux Trio Electroscope, sans doute pour tromper la routine. Massimo et Zoltan avaient déjà travaillé en trio avec le contrebassiste Giovanni Maier (the Jazz Hram Suite /Palomar). Un récent coffret CD de Zoltan célèbre la Diversity (titre du 5CD paru chez NotTwo). Et donc je salue l’apparition de ce guitariste inventif qui trouve admirablement sa place auprès de ces deux routiers du free-jazz libre en imposant sa singulière explosion des paramètres sonores et dynamiques de la six cordes avec force effets et pédales rayonnante de couleurs, de fulgurances et de textures électrogènes voire électrocutées. Super Vitja Basalorsky !!

Dominic Lash Alex Ward Antonyms Copepod 17
https://alexward.bandcamp.com/album/antonyms

Un contrebassiste et un clarinettiste britanniques se réunissent pour créer ensemble leurs compositions respectives et conjointes. Ils ont tous deux une passion pour la guitare électrique et c’est le clarinettiste Alex Ward qui en joue ici , alternant les deux instruments, sans doute parce qu’il en a plus longue expérience. C’est tout récemment que Dominic Lash a enregistré à la guitare en compagnie du pianiste Pat Thomas (New Oxford Brevity / Spoonhunt recommandé ici dans ces lignes). Mais pour ce disque, ce musicien incontournable se concentre essentiellement sur la contrebasse laissant son collègue à son mystère antonymique. Quoi de plus curieux qu’un improvisateur talentueux et virtuose à la clarinette comme Alex Ward se compromettre avec un instrument amplifié aussi bâtard sur son versant rock/ noise dans la même composition. Car ce sont des compositions, ludiques certes, qu’ont concoctées Dominic Lash (1/ Recap – 9 :26 2/ Ballast - 11 :44) et Alex Ward (4/ Unfriendly Manœuvre – 12 :22 5/ Right Shoes - 6 :12) tout en s’associant pour une œuvre conjointe (3/ Gegenwort 5 :21). Leurs univers se situent à la croisée du jazz avant-gardiste, de la musique contemporaine et de l’improvisation free. On notera l’engagement physique du clarinettiste avec son jeu à la fois expressionniste et complexe avec une articulation éblouissante, étirant et vocalisant les notes en maintenant des coups de langue assassins avec une logique harmonique fascinante. Un phénomène ! Son époustouflant abattage à la guitare électrique dans Ballast et Unfriendly Manœuvre ravira autant les mordus du punk hérissé, les inconditionnels du noise et les admirateurs de Derek Bailey. Une approche musicale et sonore hybride. Une sonorité mordante, acide, bruitiste, un jeu virulent hachant les cascades de notes et leurs intervalles périlleux, guidé par un sens aigu et méthodique de la construction musicale, du crescendo lumineux : aucun errement, droit au but. Une grande spontanéité alliée à une précision diabolique : pas une note de trop. Décoiffant ! Ailleurs, il gravite dans le noise minimaliste (Ballast) ou dans l’art de distiller une comptine à l’unisson de la contrebasse qui dérive dans la folie totale (Ballast). En s’associant avec Dominic Lash, le clarinettiste – guitariste qui jouait avec Derek Bailey dès l’âge de 14 ans (Company 1988 !), a trouvé le comparse idéal. Le jeu élastique et rebondissant du contrebassiste son coup d’archet dynamique (Ballast - Gegenwort), la puissance hadenienne et l’aplomb hollandien de sa walking-bass (Recap), sa précision rythmique, sa capacité à imprimer l’évidence du talent en jouant des parties élémentaires, en swinguant avec élégance ou en jonglant avec les contre-temps vicelards. Chaque composition truste des matériaux musicaux contrastés comme le mariage de la carpe et du lapin et leurs curieux agencements provoquent l’intérêt, l’étonnement et les rendent plus vrais que nature. Ce qui pouvait finir en exercice de style se révèle un réussite emballante, un challenge parfaitement maîtrisé alliant une profondeur musicale incontestable et une joie de jouer audacieuse. Musique antonymique de la plus belle efficacité : vous n’allez pas vous ennuyer en écoutant Antonyms !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......