28 mars 2024

Paul Lovens ' recordings issued recently with Florian Stoffner Peter Kowald Günter Christmann Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Rudi Mahall Stefan Keune John Russell Hans Schneider Seppe Gebruers Hugo Antunes Hans Koch Paul Hubweber John Edwards Harri Sjöström Matthias Bauer Teppo Hauta-Aho Veli Kujala Sebi Tramontana Phil Wachsmann Emilio Gordoa Evan Parker Libero Mureddu

Paul Lovens & Florian Stoffner Tetratne ezz-thetics 1026
https://www.nrwvertrieb.de/products/0752156102625
https://now-ezz-thetics.bandcamp.com/album/tetratne

Le vieux label Hat Hut / Hat Art / Hatology a fait peau neuve depuis quelques temps : prénommé ezz-thetics du nom d’un album génial de George Russell avec un Round About Midnight d’anthologie et un exceptionnel Eric Dolphy en soliste. Voici l’anecdote : Paul Lovens, Paul Lytton et Wolfgang Fuchs logeaient chez moi durant le Festival Percussion – Improvisation en février 1986 à Bruxelles. Au petit déjeuner, je propose d’écouter quelques albums de jazz : Paul Lovens me suggère d’écouter le pirate de Rollins à la Mutualité en 1965 avec Art Taylor et Paul Lytton recommande les Berlin Concerts d’Eric Dolphy, entre autres, aussi pour les solos de Benny Bailey. Des connaisseurs ! Je mets sur la platine une compile Milestones de George Russell qui reprend les perles d’Ezz-thetics (avec Dolphy, David Baker au trombone, Don Ellis, Steve Swallow à la contrebasse et le batteur Joe Hunt) et je leur fais écouter cette version extraordinaire de Round Midnight où Eric Dolphy prend un solo de plus en plus zig-zaguant. Paul Lovens qui est un écouteur obsessionnel demande de le réécouter au moins une demi-douzaine de fois en comptant le rythme avec ses phalanges retournées sur le bord de la table avec un découpage rythmique magique. C’est cette magie que je retrouve dans ce duo extraordinaire face à la guitare électrique avec effets et pédales de Florian Stoffner, qui n’était sans doute pas encore né lors de cette réunion à mon domicile. Les afficionados doivent sans doute regretter que Derek Bailey n’ait jamais enregistré plus qu'un seul morceau avec Paul Lovens, le prince de la percussion librement improvisée. (cfr Idyllen Und Katastrophen poTorch ptr jwd 6)
Rassurons – les avec ce Tetratne, on tient un véritable trésor digne d’être comparé à un duo avec D.B. Florian & Paul ont déjà été entendus dans le superbe Mein Freund Der Baum avec Rudi Mahall, un rare zèbre de la clarinette basse qui se hausse à la mesure d’Eric Dolphy. Quelle coïncidence ! Florian Stoffner sélectionne soigneusement ses effets électroniques et parmi les infinies possibilités sonores via ces pédales rassemblées en rack qui lui font faire plus d’efforts avec ses pieds, ses genoux et ses mollets qu’avec ses doigts et ses mains sur le manche. Il s’agit d’une démarche cohérente et pointilleuse sans effusion ni explosion logorrhéique (comme cela arrive souvent avec ces engins) qui contrebalance le jeu hyper précis, faussement aléatoire et épuré jusqu’à l’ascèse de Paul Lovens. On entend les ustensiles et baguettes frotter et percuter légèrement les surfaces amorties des tambours, woodblocks, cymbales posées à même les peaux. Il imprime des hauteurs clairement définies à chaque frappe répondant à la quasi vocalité des timbres du guitariste, lequel développe une dynamique sonore d’une parfaite lisibilité. Sa démarche est bruitiste, mais elle se réfère à des intervalles et des une expressivité instrumentale chaleureuse et suprêmement explicite qu’on en oublie toute la pagaille électronique des boutons, voyants, câbles, pressoirs, potentiomètres, préamplis, que sais-je encore, souvent coupables d’une bouillie sonore indigeste chez nombre de praticiens. Bref , je ne vous le fais pas dire, mais ces trente-quatre minutes concentrées en font l’album (ou un des albums) en duo par excellence de ces dernières années. Notes de pochette d’Evan Parker.

FMP0070 Peter Kowald Quintet Peter Kowald Günter Christmann Peter Van De Locht Paul Rutherford Paul Lovens Corbett vs Dempsey. https://www.corbettvsdempsey.com/records/peter-kowald-quintet/ Le son audio remixé et amélioré par Olaf Rupp :
https://destination-out.bandcamp.com/album/peter-kowald-quintet

Oolyakoo !! 14 janvier 1972. C’était l’époque de la bande à Baader. Une nation entière restait accrochée aux nouvelles télévisées avec inquiétude. Braquages et enlèvements se succédaient : la police et les enquêteurs étaient à la recherche des militants de la Rote Armee Fraktion. Signalement : des jeunes chevelus et barbus se déplaçant en station wagon cinq portes BMW à toute vitesse. Et donc la police allemande fut un jour mise sur la trace d’une BMW aperçue par d'honnêtes citoyens filant à tombeau ouvert sur une autoroute quelque part entre Frankfurt et la Bavière. La piste mena à une salle où cinq musiciens préparaient leur concert. Sommés de se rendre et de livrer leur identité, Peter Kowald, contrebasse, Paul Lovens, batterie, Günter Christmann, trombone, Paul Rutherford, trombone et Peter Van De Locht, saxophone alto, très interloqués par la maréchaussée, ne purent réprimer un grand éclat de rire. Fort heureusement, leur identité correspondait aux noms des artistes inscrits à l’affiche du concert. La BMW était celle de Günter Christmann quand il était un fonctionnaire et expert des propriétés foncières du Lander d’Hannovre et elle lui était indispensable pour rejoindre son service au lendemain d’une prestation musicale. Peter Van De Locht fut un de ces allumés du free et hurleur de saxophone dont la performance ici enregistrée devait le placer en première ligne parmi les légendes méconnues du free. Plus impressionnant que Kaoru Abe, par exemple. Il souffle à pleins poumons dans une dimension ultra-free : le timbre du sax alto est comprimé au maximum et explose comme des giclées de vitriol. Ses improvisations hallucinantes sont paradoxalement intelligemment construites en relation avec les passages obligés des deux trombones. Extraordinaire !! Ce quintet sax – deux trombones – contrebasse – batterie nous remémore celui d’Archie Shepp avec les trombonistes Grachan Moncur III et Roswell Rudd, Jimmy Garrison à la contrebasse et Beaver Harris à la batterie enregistré cinq ans plus tôt à Donaueschingen, en présence de Paul Lovens dans le public. Archie Shepp Live at Donaueschingen documente une des rares tournées d’un groupe de free-jazz afro-américain en Europe durant les sixties et eut une véritable influence à l’époque. C'était un des rares disques de free-jazz publié et distribué régulièrement en Europe par une compagnie importante, MPS Saba et il était dédié à John Coltrane. De ce point de départ qui semblait alors le point ultime du free convulsif « supportable » à bon nombre d’auditeurs grâce aux références au RnB et à la mélodie de The Shadow of Your Smile, le quintet de Kowald en écartèle tous les paramètres lyriques et rythmiques en malaxant sonorités et fréquences vers l’inconnu. On reconnaît déjà un Paul Lovens jeune, tant dans le solo de percussion qui débute à la 2’25’’ de Platte Talloere, le premier morceau, et que dans le duo qu’il enchaîne avec le trombone avant-gardiste de Paul Rutherford, ici (déjà) au sommet de son art. Platte Talloere est un jeu de mot en dialecte d’Anvers, où Kowald a résidé un temps certain : en quelque sorte, un plat « plat » du Plat Pays ou une assiette vide. À l’époque, obnubilé par Han Bennink, Lovens se faisait raser le crâne de très près comme son idole et on retrouve quelques figures percussives benninkiennes au fil de l’enregistrement.
Contrebassiste classique dans le domaine contemporain ayant joué du jazz moderne, Christmann a adopté le trombone pour pouvoir jouer du free-jazz. Son jeu expressionniste assez tonitruant d’alors est d’ailleurs un vrai régal et documenté aussi sur King Alcohol / Rudiger Carl Inc FMP0060, enregistré deux jours plus tôt, dans le même lieu à l’Akademie der Kunste, Berlin. Croiser sur sa route Paul Rutherford fut pour Günter Christmann une inspiration providentielle le mettant définitivement sur orbite dans son exploration méticuleuse et aérienne du trombone dans les années qui suivront. Durant ce concert, le génie sonore de Rutherford est éclatant et délirant et Lovens dialogue avec lui à deux reprises dans son style « Lovens » alors qu’il soutient les efforts expressionnistes de Christmann « à la Bennink ». Le solo de Rutherford qui clôture Pavement Bolognaise avec force harmoniques et vocalisations (démentiel!) laisse la place au alphorn de Peter Kowald en un jeu modal avec les deux trombonistes pour un final nettement plus lyrique, « folk imaginaire », si on veut. Peter Kowald a rassemblé fort heureusement ce groupe et conçu très adroitement le déroulement des opérations et de ses séquences. Platte Talloere est à cet égard un classique du genre : toutes les situations explosives ou implosives s’enchaînent comme dans un dessin animé et cela continue avec Wenn Mir Kehlkopfoperierte Uns Unterhalten. Cette phrase surréaliste nonsensique suggère qu’en opérant le larynx (sans doute parce qu’on a avalé l’assiette vide de travers), « nous » subvenons à nos besoins (de nourriture). Confirmé par le titre suivant : Pavement Bolognaise ! C’est vrai que nombre d’entre eux mangeaient de la vache enragée.
On peut dire que la musique du PKQ se situe au point d’intersection du free-jazz dans ce qu’il a de plus radical et de la pratique de l’improvisation libre, chacune des pièces étant mises au point au préalable en vue de stimuler la spontanéité. On appréciera la rage avec laquelle Kowald torture littéralement les cordes de sa contrebasse ou la délicatesse de son col legno en symbiose avec le percussionniste au milieu de Pavement Bolognaise qu’ils cuisinent comme des chefs. Cette contrebasse aboutira chez un de mes meilleurs amis qui la prêta ensuite à son coiffeur, lequel la laissa s’échapper du toit de sa voiture en allant essayer d’en jouer (sic !). Un album fantastique, non seulement parce qu’il rassemble des incontournables de l’improvisation libre de première grandeur, mais surtout par le fait que dans leur cheminement évolutif d’alors, ces jeunes musiciens ont mis un point d’honneur à mettre en boîte un monument d’énergie rebelle, de rage ludique et de surprise éclatée sur le temps d’un concert avec (aussi) une réelle musicalité et une logique confondante. On envahit un territoire inconnu, mais on ne s’égare jamais ! Cette suite démesurée dans sa folle énergie narre une histoire, une aventure, une traversée devant un public ébahi. Un must éphémère mais intégral !! La pochette est ornée de douze créations graphiques réalisées par des amis de Peter Kowald, dont Fritze Margull et Krista Brötzmann. Dire que j’ai réussi à égarer ma copie « 19 Mierendorfstrasse » il y a trop longtemps. Ah ! La jeunesse.

Madly You Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens FOU Records FR – CD 46. Reissue 2022
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm

Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au-boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!

Florian Stoffner Paul Lovens Rudi Mahall Mein Freund der Baum Wide Hear WER032
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/mein-freund-der-baum

Enfin !! Après avoir délaissé, sans doute définitivement, le catalogue entier de son légendaire label Po Torch à l’écart des rééditions vinyliques ou digitales depuis l’avènement du CD, Paul Lovens (et Florian Stoffner) est crédité « Produced by Flo and Lo » ! Tous ses autres albums parus en cd depuis la fin de la saga Po Torch, l’auraient été à la demande expresse d’excellents collègues, comme Alex von Schlippenbach, Stefan Keune, Thomas Lehn, Rajesh Mehta, Georg Gräwe, etc… Le fabuleux trio PaPaJo avec le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste John Edwards se distinguant comme une véritable coopérative tri-partite assumée et un des rares groupes permanents du percussionniste.
C’est bien le pari de ce remarquable trio avec le guitariste Suisse Florian Stoffner et l’incontournable clarinettiste basse Berlinois Rudi Mahall. Mein Freund der Baum : chacun de ces mots (Mon Ami l’Arbre) intitule quatre intrigantes improvisations enregistrées à Zürich et à Lisbonne en 2016. Florian Stoffner est un sérieux client, disposant de tous les moyens nécessaires pour tirer parti des possibilités sonores et ludiques de la guitare dans une voie éclairée par les effets que Derek Bailey a mis en lumière, fait front aux audaces et facéties du percussionniste en se laissant entraîner par ou en résistant à la force centrifuge et les arcanes de la maestria lovensienne. Voletant avec un extrême brio dans le registre aigu de son instrument mis au jour il y un demi-siècle déjà par la magie d’Eric Dolphy, Rudi Mahall enfourne inlassablement harmoniques piquantes et coups de bec péremptoires comme un pivert obsédé ou une oie folle. Il faut absolument suivre le percussionniste à la trace en se concentrant sur son jeu et le moindre de ses écarts pour saisir ce que signifie l’état permanent d’improviser et tirer parti du moindre accident de parcours et le rendre musical en toute spontanéité. Cosmique. C’est une leçon sur laquelle nombre de praticiens de la libre percussion et leurs auditeurs concernés / obsédés doivent absolument méditer. Je suis souvent fatigué d’entendre de la batterie roule ta boule sans trop d’acuité, d’expressivité et de dynamique. Lovens joue comme il parle : tout a une signification. Le jeu de Florian Stoffner recèle des impromptus magiques, imaginatifs nourrissant à bon escient l’inspiration des deux complices. C’est rempli de plans séquences à faire péter l’éclairage pour laisser miroiter le clair de lune sur un lac de haute montagne dans le silence du vent sifflant légèrement sur les crêtes. Mon ami, vieille branche ou jeune pousse, grimpe dans l’arbre immédiatement. Hautement recommandable : un des rares albums dont la ludicité et l'acuité n’ont rien à envier aux albums mythiques de notre jeunesse, Po Torch, London Concert, Gentle Harm, et cie....

Joëlle Léandre et Paul Lovens Off Course ! Fou records FR CD 41
https://fou-records.bandcamp.com/album/off-course

Contrebasse et percussions une combinaison instrumentale qui fait sens, ces deux instruments étant associés dans la section rythmique de la musique de jazz, qu’il soit « Chigago », « Swing », « Be-bop », « Modal » ou « Free ». Mais en tandem, c’est une autre affaire. La grande dame de la contrebasse fait ici équipe avec le farfadet de la percussion improvisée, cadet de la génération des pionniers européens (Brötz, Evan, Bennink, Derek, Stevens etc…) pour une rencontre sonore pointue, avec une belle dose de focus et de perspicacité épurée. Enregistré en 2013 aux Temps du Corps à Paris en 2013, ce concert compte dans les quelques duos de Paul Lovens documentés alors qu’il quitte définitivement la scène pour des raisons de santé. La sortie récente de Tetratne avec le guitariste Florian Stoffner et de Nephlokokkygia avec le souffleur Hans Koch par le label Ezz Thetics démontre à souhait que ce percussionniste en fin de carrière n’avait pas fini de nous étonner, ne fut-ce qu’avec son sens profond de l’essentiel. Ces frappes sélectionnées dans l’instant pour exprimer le poids, la densité et le rebond des objets percutés, égratignés ou frottés, les éphémères vibrations qui soulèvent le silence, cette poursuite de l’improbable, ces cascades métaphoriques de l'évidence exprimée définitivement. De même, Joëlle Léandre s'est impliquée dans des duos de haute tenue avec Derek Bailey, Steve Lacy, Irene Schweizer, Lauren Newton (etc...) sortant la contrebasse de son rôle parfois étriqué d'instrument de "support" pour lui conférer une musicalité évidente en libre parcours. Avec Joëlle, Paul a trouvé une partenaire qui partage cette capacité optimale de dialogue, accouplée avec un sens de la proportionnalité du geste en traçant une trame limpide, des oscillations ludiques du timbre des bois et cordes de son gros violon. L’attention auditive et humaine de Paul Lovens ouvre tout le champ sonore à la sonorité de la contrebasse qu’elle contribue à mettre en valeur tout en tirant avantage de cet espace et ses silences, et lui (Paul) pour insinuer toute sa science de la percussion libérée des tics et des tocs et rendue à l’état de nature, sauvage et merveilleuse. Paradoxalement hyperactif avec un sens inné de l’épure où chaque instant compte et brille. Des sons vocaux de Joëlle Léandre expriment le non-dit qui anime ses entrailles. On aime à la suivre furetant entre les scintillements des cymbales qui s'éclipsent dans le silence et se créer des passages secrets dans une belle trame narrative. Les vibrations de la contrebasse charment et fertilisent les micro-frappes obsédées de son acolyte. Une communion ouverte sur l'infini. Un chant intime, un équilibre choisi. Dure-t-il 32 minutes (Off Course !) et 6 minutes 6 secondes (…where else.), ce CD courte durée nous permet de nous repasser encore et à nouveau tout le cheminement de cette conversation musicale (sonore, émotionnelle, improvisée) inédite sans nous embarquer dans les grandes longueurs d’une écoute interminable. Tout est dit dans le temps qu’il faut pour le jouer, le distendre, le compresser et nous livrer une belle invention d’instants ludiques. Pour ceux qui aiment à être documenté au-delà du raisonnable, je signale l'existence d'enregistrements réunissant une contrebasse et une batterie dans le cadre de la libre improvisation : Léon Francioli et Pierre Favre "Le Bruit Court" (LP L'Escargot 1979), John Edwards et Mark Sanders "Nisus" (Emanem CD), Peter Kowald et Tatsuya Nakatani "13 Definitions of Truth" (QuakeBasket CD) et les sessions publiées par Damon Smith avec Bob Moses ou Alvin Fiedler. Avec ce Off Course ! providentiel, on tient un très beau document !

Nothing Particularly Horrible Live in Bochum ’93 Stefan Keune John Russell Hans Schneider Paul Lovens FMR CD560-1119
Avec un titre aussi tiré par les cheveux, cette rencontre datant d’il y a plus de 25 ans ne présage pas d’une aussi convaincante réussite à l’écart des modèles – enregistrements déjà réalisés par deux ou voire trois des quatre compères, ici rassemblés pour la première fois. En effet, il s’agit de la toute première rencontre du guitariste John Russell et du saxophoniste Stefan Keune, ici au sopranino et au ténor. À l’époque, ce jeune nouveau-venu dans la scène improvisée venait de jouer et enregistrer avec Paul Lytton et le contrebassiste Hans Schneider, présent ici (Loft Stefan Keune Trio/ Hybrid 3 1992). Par la suite, Russell et Keune vont collaborer étroitement et nous laisser deux magnifiques CD's, Excerpts and Offerings/ Acta et Frequency of Use/ NurNichtNur. Paul Lovens et John Russell sont des habitués du groupe Vario du tromboniste Günther Christmann. Hans Schneider et Lytton ont joué fréquemment avec le clarinettiste basse et souffleur de sax sopranino Wolfgang Fuchs, disparu depuis. Il y a un peu de Fuchs chez Keune. Mais ne jouent-ils pas « la même musique » ? Malgré l’acoustique réverbérante du Musée de Bochum et en dépit du professionnalisme d’Ansgar Balhorn, preneur de sons réputé, l’enregistrement à la fois dur et caverneux de ce superbe concert ne parvient pas à altérer la fascination de cette musique improvisée collective. Elle l'amplifie même. On connaît la vélocité légendaire de Paul Lovens et l’articulation quasi evanparkerienne et la puissance mordante du sopranino de Stefan Keune et, en bonne connaissance de cause, nous nous serions attendus à une foire d’empoigne étourdissante, une cavalcade pétaradante. Mais il n’en n’est rien. Si Stefan Keune a tout le profil sonore du hard-free (cfr Evan Parker avec Schlippenbach et Lovens), les deux autres acolytes cordistes, par la nature de leurs instruments, favorisent le concept de musique de chambre pointilliste, connu par les brötzmanniaques sous l’appellation « english disease ». John Russell joue exclusivement de la guitare acoustique et, à cette époque, évoluait avec John Butcher et Phil Durrant dans leur trio légendaire. Le contrebassiste Hans Schneider ne se commet jamais dans le hard free, mais privilégie la qualité de timbre et la palette sonore détaillée de son grand violon avec un superbe coup d’archet chercheur et découvreur de sonorités. Et donc, s’étale devant nous un remarquable échange improvisé où chaque improvisateur laisse aux trois autres l’espace et le temps de faire des propositions et se met à intervenir / répondre alternativement en favorisant des pauses silencieuses. Durant la première partie du concert, une longue suite de 23:13 intitulée Stretchers, le jeu du saxophoniste au sopranino est extrême dans l’aigu, chargé, vitriolique. Le guitariste joue des harmoniques pastorales ou racle méchamment les cordes en suivant les volutes du souffleur qui dépasse ensuite la tessiture de l’instrument dans des harmoniques fantômes.
Paul Lovens veille au grain avec des commentaires étouffés qui peuvent se métamorphoser très épisodiquement en une multiplication de roulements secs rendus possibles par les propriétés sonores des tambours chinois. La contrebasse ronronne entraînant les acolytes vers plus de délicatesses, dispensant des descentes graveleuses qui appellent des sons ultra aigus, crotales à l’archet du percussionniste et harmoniques extrêmes de l’anche. Subitement la séquence s’arrête dans un échange vif percussion/ sax qui enchaîne sur les tracés arachnéens forcenés du guitariste. L’aspect ludique, la fluidité et la vivacité propulsent les sons dans une tournoiement contrôlé. Stop ! Lovens atterrit sur des détails infimes grattant et frottant un woodblock éborgné et il s’ensuit des échanges en métamorphose permanente où chacun essaie avec succès de superposer des modes de jeux très différents, mais complémentaires et marqués par une forte indépendance de chaque improvisateur dans l’interpénétration des sonorités individuelles. Le batteur relâche chaque fois la tension vers le quasi silence, laissant l’initiative à ses collègues qui rivalisent d’esprit d’à-propos, d’initiative et de quelques fantaisies impromptues. Après cette longue improvisation, le quartet se concentre en des échappées plus brèves et concises. Cuism dure 9:43, Drei (Trois) 4 :29 et With a big stick 6:51. La musique de Cuism atteint d’autres horizons et renouvelle l’atmosphère du concert en combinant différents ostinatos de manière retenue laissant le saxophoniste placer de remarquables doigtés fourchus. Cette séquence s’évanouit devant le jeu ténu et fantomatique de la scie musicale à l’archet auquel répondent des sons métalliques improbables de Russell. On entend poindre ci et là les lents et imperceptibles glissandos de la contrebasse, Schneider saupoudrant les options les mieux choisies dans le flux du collectif avec un goût sûr. Chaque improvisation collective a son caractère propre et distinct de la précédente rendant légitime la publication de ce document rare qui transcende allègrement sa relative qualité sonore enregistrée. Laquelle lui donne curieusement son aura magique. L’âpreté et l’urgence du jeu de Keune sont renforcées par les interventions soignées, méticuleuses et presqu’éthérées des trois autres. Quoi qu’il se passe, nous avons à affaire à une qualité d’invention, une pureté d’intention et une écoute mutuelle merveilleuses. Enregistrée à une époque où ce type d’approche sonore épurée était marginale et encore quasiment inconnue en France, Espagne, Portugal, Italie etc... enregistrements du début des années nonante à l’appui. Je songe aussi à Quintet Moderne qui réunissait Lovens Harri Sjöström, Phil Wachsmann, Teppo Hauta-aho et Paul Rutherford (Ikkunan Takaina / Bead Records). À plébisciter avec insistance. Surclasse de nombreux enregistrements récents.
The Room : Time and Space Seppe Gebruers Hugo Antunes Paul Lovens LP el Negocito Records troika 3 Po Torch Records
https://elnegocitorecords.com/releases/eNR084+.html
https://elnegocito.bandcamp.com/album/the-room-time-space

Cette Room dans le Temps et l’Espace (Time and Space) a été enregistrée en février 2016 à Malines. J’ai fait l’acquisition d’une copie CD que tout récemment, c’est donc pour cette raison que mon compte rendu ne paraît que trois ans après sa parution. Les courtes notes de Paul Lovens sur la pochette reflètent le sentiment ou la sensation qu’une pièce, un lieu (The Room) a sa propre personnalité qui vous aide à faire silence et écouter intensément. Je crois que cet enregistrement avec le pianiste Seppe Gebruers et le contrebassiste Hugo Antunes, l’instant et le lieu revêtent une grande et profonde signification qu’il a (sans doute) tenu à faire inscrire le titre de son vieux label Po Torch sur la pochette pour bien signaler cela à ses auditeurs fidèles. Il y a longtemps que Po Torch vinyle a cessé ses activités, mais on retrouve ici toute l’acuité créative liée à la pratique de Paul Lovens. On est loin ici de la free – music énergétique du trio avec Schlippenbach et Parker. Seppe Gebruers joue de deux grands pianos accordés un quart de ton l’un par rapport à l’autre et simultanément quand il le faut. Cinq plages rassemblent les différentes « unedited free improvisations », vraisemblablement dans le désordre de la prise de son initiale, car on passe de Room 1 à Room 6/7 puis 3, 5b et 2 , sans doute pour des raisons de dynamique et d’enchaînement logique qui vont de soi pour des improvisateurs expérimentés. Hugo Antunes est crédité contrebasse préparée et non préparée. Son jeu un peu assourdi est oblique, percussif et épuré et se situe au centre créant un point d’ancrage ouvert et attentif entre les frappes millimétrées du batteur sur les peaux amorties (chiffons, gongs, petites cymbales), les bords des tambours et la frange des cymbales. L’archet fait subrepticement grincer les cordes amorties et les doigts bienveillants de Seppe pincent les cordes dans la table d’harmonie comme une harpe irréelle. Il joue quelques notes avec des intervalles secrets, lesquels se révèlent comme les clés de la réussite. Une voix parle dans le tambour, chaque frappe jouant une note – hauteur distincte, indéfinie et sans résonnance. Une musique aussi raffinée que sauvage étalée dans l’espace, l’écoute, sans aucune hâte, lentement pour nous laisser le temps d’entendre chaque son, chaque rebond, chaque résonnance. Le morceau le plus animé et anguleux (en 4 : Room 5b) est encore dans cette retenue, cet élan brisé avec ces frappes isochrones imperturbables sur woodblocks et gongs qui dans leur déraison suscitent des réactions subtilement ludiques avec une précision maniaque. Seppe et Hugo manifestent une maturité remarquable qui rentre complètement en phase avec les exigences esthétiques de ce batteur légendaire. Un trio tout en finesse d’ improvisateurs qui assument leur démarche collective jusqu’au bout des ongles. Pour une écoute individuelle profonde dans le calme de la nuit.
El Negocito est un label gantois (belge) fédérant une multiplicité d’initiatives focalisées sur le jazz contemporain ou free avec une ouverture d’esprit propice à une expression aussi « sérieusement » pointue ...et lucide jusqu’à l’ascétisme comme celle-ci.

Nephlokokkygia 1992 Hans Koch et Paul Lovens Ezz-Thetics 1033
https://ezz-thetics.bandcamp.com/album/nephlokokkygia
Deuxième album de Paul Lovens pour Ezz-Thetics (ex Hart-Art / Hatology), le premier étant une superbe collaboration avec le guitariste Florian Stöffner (Tetratne Ezz-Thetics 1023) absolument incontournable, surtout qu’on trouve peu de duos affolants de Lovens à la fois disponibles et aussi convaincants. Et c’est bien ce que je répéterai pour ce Nephlokokkygia 1992 providentiel. Héritier prodigieux de la grandiose veine percussive et rythmique de Milford Graves et Han Bennink, Paul Lovens a creusé sa galerie de forçat du son et des sens cachés de la gestuelle batteristique dans une manière aussi explosive qu’introvertie – intimiste dans le but unique de créer un véritable dialogue avec ses camarades duettistes d’un jour (ici Hans Koch) ou de toujours (Günter Christmann, Paul Rutherford, Evan Parker, Paul Lytton, Alex von Schlippenbach, Paul Hubweber, etc..) en étendant presqu’à l’infini sa palette acoustique et expressive. Son secret tient dans la dynamique miraculeuse de son jeu. Sa méthode personnelle consiste à allier la complexité avec la simplicité, ses frappes (inspirées autant par la percussion contemporaine, l’art des tablas indiens, le souffle swinguant de Kenny Clarke et les vibrations rythmiques de Sunny Murray) sont d’une concision inouïe. Contrastés et surprenantes, ses volées percussives favorisent l’art du crescendo, de la déconstruction et un chassé-croisé d’accélérations éruptives et d’arrêts sur images actionnant cymbales chinoises, râcloirs, crotales, et une scie musicale entortillée sur la caisse claire amortie d’un sempiternel chiffon. Comme me l’a dit un jour Lê Quan Ninh très honnêtement : il est un grand maître de la percussion et maints fantastiques improvisateurs de la percussion libérée souffrent encore de la comparaison, …si c’est possible de comparer. Et ce que j’apprécie franchement chez Paul Lovens, c’est son absence de « … isme » dans le face à face avec quiconque joue avec lui, quelque soit son « langage » ou sa « grammaire ». Il n’a même pas à adapter son jeu à celui d’Hans Koch, souffleur free qui aime à introduire dans son jeu déjanté et mordant une subtile dimension mélodique un brin tortueuse. Au fil des quatre concerts (Sofia, Warna, Russe, Plovdiv) dont un extrait est chaque fois reproduit dans cet album (indispensable) avec une qualité sonore lisible, physique et réaliste, on peut suivre à la trace la merveilleuse évolution de leur entente mutuelle. Celle-ci s’ouvre à de nouvelles coïncidences au départ de digressions intuitives, lesquelles sont le fruit d’une expérience extrême de l’improvisation (libre) sans faux détours. On découvre la quintessence de l’articulation de ce singulier clarinettiste – saxophoniste helvétique autrefois valeur sûre des labels ECM, Intakt et Hat Art et qui cultive autant un déchiquetage du chant de la colonne d’air en cisaillant la vibration de l’anche que des flashbacks de fragments de mélodies et d’airs disparus ou des growls rauques et désincarnés. Une excellente paire de joyeux drilles aussi volatiles que concentrés à outrance.

Spielä PaPaJo Paul Hubweber Paul Lovens John Edwards Creative Sources CS 340 CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/spiel

Troisième enregistrement de ce magnifique trio, sans hésitation unes des toutes meilleures associations d’improvisateurs en exercice. Enregistrées respectivement à Zagreb et Aachen en 2003 et 2009, ces deux concerts fournissent la matière précieuse des deux compacts de Spielä. Le farfadet juvénile de la percussion libérée qui nous avait tant enchanté dans notre prime jeunesse, nous revient tel un vieux sage, savant de l’épure et du geste essentiel, Paul Lovens. Ce magicien hors norme a trouvé un alter-ego incontournable, le contrebassiste John Edwards, un des improvisateurs les plus demandés (Butcher, Weston, Parker, Dunmall, Brötzmann, Steve Noble, Mark Sanders etc…). C’est à cette aune qu’il faut apprécier le tromboniste Paul Hubweber, un musicien trop sous-estimé, sans doute parce que, sexagénaire, sa carrière a décollé sur le tard, malgré une créativité et des capacités musicales sans égal. Suivez son cheminement et ses albums à la trace et vous découvrirez un improvisateur insaisissable capable d’adapter son jeu au plus profond avec ses divers collaborateurs tout en continuant sa trajectoire esthétique et en maintenant ce qui fait de lui un improvisateur essentiel. Pour ma part, je vous dirais que, depuis la disparition de Rutherford et de Mangelsdorff chez les trombonistes, il y a George Lewis, bien sûr et puis, surtout, Paul Hubweber. Qui d'autre pssède cette dynamique qui lui permet de délivrer autant d'énergie tout en jouant "doucement parfois au bord du silence ? Mais au-delà des qualités individuelles de chacun de ses membres, ce trio PaPaJo vaut pour son alchimie particulière, la symbiose des sons, des timbres avec un équilibre fragile des dynamiques, une invention renouvelée des formes, des interactions subtiles, une empathie rare. Pour Alex Schlippenbach, PaPaJo est le trio qui exprime le mieux les qualités de la musique libre depuis ces quinze dernières années. On y trouve presque tous les éléments qui créent toute la fascination que cette musique procure sur ses auditeurs : simplicité, complexité, dérivation du free-jazz ou du contemporain, changement perpétuel des paramètres des sons et de la pratique instrumentale, écoute mutuelle, indépendance et entente tacite, invention et tentative simultanée et risquée d’idées les plus folles, surprises, variété kaléidoscopique des timbres … Si Paul Lovens est un des percussionnistes les plus « vite », PaPaJo, « lui », prend le temps de jouer, chacun laissant de l’espace à l’autre afin que les sonorités soient lisibles et que la musique respire. Cette qualité primordiale distingue PaPaJo de la lingua franca du free jazz, alors que la mélodie détournée (évocation de Loverman ou d’une ballade d’Ellington) et le pizz charnu d’Edwards s’y rattachent. Spielä : un double album de référence qui devrait fédérer bien des auditeurs éparpillés sur les micro-univers de l’improsphère.

The Balderin Sali Variations : Matthias Bauer Emilio Gordoa Teppo Hauta-aho Veli Kujala Paul Lovens Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Evan Parker Harri Sjöström Sebi Tramontana Philipp Wachsmann Leo Records double CD LR 870-871.
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/the-balderin-sali-variations

Non, vous ne rêvez pas ! Un tel rassemblement d’improvisateurs à-la-Company. Non, ils ne jouent pas toujours tous ensemble : un seul tutti pour chacun des deux CD's. En début du premier (Balderin Sali 1, 12 :58) et en fin du second (Balderin Sali 13, 12 :41). Pour le reste, onze improvisations en duos, trios, quartettes etc... répartis de manière équilibrée en offrant des configurations instrumentales différentes. L’accordéoniste Veli Kujala en duo avec Harri Sjöström ou Evan Parker, le vibraphoniste Emilio Gordoa avec le bassiste Teppo Hauta-aho, le batteur Dag Magnus Narvesen et Evan Parker. Le percussionnistePaul Lovens avec le pianiste Libero Mureddu et le tromboniste Sebi Tramontana. Gordoa, Mureddu et le violoniste Philipp Wachsmann ou le contrebassiste Matthias Bauer avec Narvesen, Parker, Sjöström, Tramontana et Wachsmann etc… Il y eut sans doute d’autres combinaisons lors de ces concerts du 8 et 9 septembre 2018 à Helsinki. La sélection proposée offre sans doute les morceaux ou extraits les plus convaincants. Saxophone ténor, deux sax soprano, trombone, violon, deux contrebasses, deux percussions, un accordéon, un piano et un vibraphone, de quoi faire des Variations avec une instrumentation changeante. Des vétérans (Parker, Lovens, Wachsmann, Hauta-aho), des « jeunes » (Narvesen, Gordoa, Libero Mureddu) et des entre les deux (Bauer, Kujala). Il manque des joueuses, mais une belle diversité quand même : Finlandais, Mexicain, Allemand, Norvégien, Italiens, Britanniques. Un fil conducteur, la libre improvisation et aussi l’alternance des deux saxophonistes aisément reconnaissables entre eux sur huit morceaux. De beaux échanges. Les mauvaises langues diront que ces sentiers sont battus et rebattus. Je répondrai que dans le flux intarissable des nouveaux projets « identifiables » et enregistrés que de nombreux artistes lancent sur le marché des concerts, clubs et festivals, depuis quand avons nous l’occasion d’entendre sur deux compacts bien fournis des libres associations instantanées entre improvisateurs et souhaitées par chacun d’eux ? C’est ici que l’éphémère et le « parfois » miracle se révèle dans son unicité, dans le sens de l’imprévu, de la rareté. Un éclair de bon sens : ah oui X, Y et Z :la plus belle constellation auquel personne n’avait songé. Les compétences de ces musiciens le permettent de calibrer leurs extravaganzas dans des durées moyennes entre les sept et douze minutes et de créer très souvent un momentum, un événement sonore remarquable sans devoir s’échauffer et ni tâtonner. Du sur mesure dans l’imprévu, une réaction immédiate dans l’instant. On y découvre toutes sortes d’atmosphères, d’intensités, de langueurs et de trouvailles. Une manière de dialoguer qui se renouvelle et évolue de plage en plage. Le n°5, par exemple, est une petite merveille de métamorphose des sons : l’accordéon de Veli Kujala, la contrebasse de Teppo Hauta-aho et la percussion de Paul Lovens nous font oublier l’instrumentation et ses caractéristiques propres pour un joyeux kaléidoscope de sons en liberté s’affranchissant des langages codés ou de ce qui semble libéré des conventions en se promenant comme dans un rêve. Le deuxième cd débute avec une nouvelle édition de Quintet Moderne où Sebi Tramontana remplace Paul Rutherford auprès de Teppo Hauta-aho, Paul Lovens, Harri Sjöström et Phil Wachsmann pour une improvisation collective véritablement réussie. Lovens y déconstruit le drumming conventionnel pour passer en revue des frappes, grattements, grincements, sifflements transformés en tracés pointillistes , ondes sonores, couleurs cuivrées, … Un duo Parker-Wachsmann nous fait regretter qu’ils n’aient pas encore publié un album en duo. Pour ces raisons et bien d’autres, je décrète que la parution de ces Variations de Balderin Sali est salutaire.

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